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LE COIN BOUQUINS

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29102009

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J'ouvre cette nouvelles rubrique en espérant que cela vous tentera de partager sur les livres que nous avons lus, aimés ou détestés.

J'ai eu envie de vous présenter, en réponse (partielle car il est très riche d'interrogations ) du texte d'Augure, cette interview de J.C . Guillebaud... présentant au journal "l'humanité" son livre "le goût de l'avenir".
L'artice date de 2003, ce n'est pas d'hier, mais son actualité reste toujours aussi frappante...
Je sais que tout le monde ici n'adhèrera pas à ce texte très marqué 'humaniste" mais Augure, je crois qu'il répond directement aux questions que tu poses

Ce journaliste, mais aussi analyste politique et économique et philosophe est pour moi un source toujours renouvelée de confiance et d'optimisme dans l'avenir.

une rapide biographie de l'auteur avant de poster ce texte :

Après des études de droit et de sciences criminelles, Jean-Claude Guillebaud se lance dans le journalisme en tant que grand reporter pour le quotidien Sud-Ouest en 1965. En 1972, il pousse les portes du Monde, puis celles du Nouvel Observateur dix-sept ans plus tard. Son travail d'excellente qualité est rapidement reconnu et récompensé : il obtient le prix Albert Londres en 1972 - décerné à ceux qui osent se rebeller 'contre un ordre social aux idées égoïstes et aberrantes'. Président de Reporter sans frontières, il fait de la question de l'auto-critique des médias son cheval de bataille. 'Arpenteur de terres et sondeur d'âmes', il sillonne les continents à la recherche de modèles sociaux et politiques différents, en évolution permanente. Au fil de ses découvertes, il se fait peu à peu écrivain, essayiste puis éditeur de la collection Arléa. Jean-Claude Guillebaud tente de décrire un monde contemporain dépassé par ses contradictions à travers des oeuvres comme 'La Trahison des Lumières', 'La Tyrannie du plaisir', 'La Refondation du monde' ou 'Le Commencement d'un monde' "la force de conviction"


Réenchanter le présent Jean-Claude Guillebaud.

Pour l’écrivain Jean-Claude Guillebaud, il est temps de réagir face au danger que représente le renoncement quasi général à l’élaboration de perspectives politiques.

Le goût de l’avenir. Jean-Claude Guillebaud.

Éditions Le Seuil, septembre 2003. 360 pages

Après la Trahison des Lumières (1995), la Tyrannie du plaisir (1998) et la Refondation du monde (2002), l’écrivain, journaliste et éditeur Jean-Claude Guillebaud poursuit dans son dernier livre son analyse des mutations anthropologiques et sociales auxquelles nous sommes confrontés depuis une quinzaine d’années. Mutations qui résultent tout à la fois, selon lui, de l’évolution de l’individualisme, de la révolution informationnelle et de l’extension mondiale du capitalisme.

L’ouvrage que vous venez de publier part d’un constat : nos sociétés semblent ne plus se préoccuper de leur devenir, elles ont abandonné le cour de la politique, le projet.

Jean-Claude Guillebaud. Le constat est encore plus violent : depuis une dizaine d’années, nous avons déserté l’histoire. Sous prétexte que les totalitarismes du XXe siècle ont instrumentalisé l’espérance, le progrès, nous nous sommes détournés de tout projet. Or renoncer au projet, c’est renoncer à la politique. Et renoncer à la politique, c’est - j’aime bien cette expression de la tradition juive - " accepter que le monde soit laissé aux méchants ". Le libéralisme portait en germe ce renoncement au politique. Nous sommes en train de le redécouvrir. Consentir au monde, vivre dans le présent : personne n’a pensé contredire cette petite morale néostoïcienne qui accompagne le développement libéral. Seulement, aujourd’hui, il faudrait peut-être se rendre compte que nous avons réduit notre temps à un présent perpétuel, et qu’ainsi nous avons fermé toute perspective d’avenir. C’est au final renoncer à être homme. Parce que l’homme est le seul animal à pouvoir dire " non " à l’ordre apparent des choses.

Nos sociétés se refusent à distinguer le mal du bien, dites-vous, et vous précisez de prime abord : " Le contraire du mal n’est pas le bien, mais le sens. " Qu’est-ce à dire ?

Jean-Claude Guillebaud. J’ai trouvé cette magnifique formule chez le pasteur Lytta Basset. Elle signifie tout simplement ceci : penser que le contraire du mal c’est le bien, le bien absolutisé, conduit à se prendre pour l’incarnation du bien dès lors que l’on s’oppose au mal. L’exemple le plus frappant de cette logique en miroir nous est donné par l’attitude de Georges W. Bush après les attentats du Worl Trade Center. Et le combat du bien contre le mal est un jeu de dupes. Les deux adversaires en présence utilisent les mêmes armes et produisent les mêmes dégâts. Pour sortir de cette spirale infernale, il y a le sens. C’est-à-dire ce minimum de représentations collectives que nous sommes capables de partager et qui fondent notre communauté d’hommes. Dans les faits, c’est cela que le mal vient briser. Je me suis dit qu’au fond, si nous voulions nous opposer au mal, il faudrait étudier ce sens. Et, dans cette perspective, j’ai choisi d’explorer six des principales contradictions contemporaines : limite et transgression, autonomie et lien, transparence et intériorité, innocence et culpabilité, corps et esprit, savoir et croyance.

À propos de ces contradictions, une seconde raison de notre désistement politique réside, notez-vous, dans le manichéisme du débat public.

Jean-Claude Guillebaud. Nous sommes en train de vivre des bouleversements anthropologiques considérables, sans comparaison même avec ceux du temps de la Renaissance ou des Lumières. Le philosophe Jean-Luc Nancy écrit à ce propos que nous n’avons pas encore les concepts qui permettront de penser le monde nouveau. Cela signifie aussi que toutes nos querelles partisanes, manichéennes sont dérisoires, parce qu’elles s’énoncent dans un vieux langage. Elles se tiennent sur d’anciennes lignes de front. J’ai donc essayé de mettre en perspective ces contradictions, d’en bouger les termes, de les dialectiser.

À propos de l’individu, vous écrivez que " le lien n’est pas le contraire du sujet autonome : il le constitue ". Qu’entendez-vous par-là ?

Jean -Claude Guillebaud. Nous avons, en Occident, au cours des trois derniers siècles, marché continûment vers l’autonomie de l’individu. Celle-ci s’est construite théoriquement en prenant le contre-pied du fonctionnement des nos sociétés jusqu’alors, en rompant avec les pesanteurs traditionnelles, qu’elles soient religieuses, sociales ou familiales. Nous avons donc bâti un type anthropologique qu’aucune société n’avait connu avant nous : l’individu souverain. C’est une conquête formidable. Pourtant, de nos jours, l’autonomie s’accompagne d’un sentiment de deuil, d’exclusion, de solitude. On est en fait en train d’apprendre que l’individualisme, grâce auquel nous devons notre autonomie récente, une fois dogmatisé, érigé en principe organisateur, se retourne contre les individus. C’est un peu comme si l’individu vainqueur, pris dans sa rage de vaincre, continuait la bataille contre lui-même et détruisait ce qui le rendait lui-même possible. La récente hécatombe de personnes âgées cet été révèle le désastre de l’application de la logique marchande au système de santé, mais elle dévoile aussi cet effet des plus pervers sous forme de rupture du lien intergénérationnel : à l’appartenance solidaire succède la désaffiliation. L’individu souverain que nous avons fait émerger est maintenant orphelin. Par la négative, nous comprenons donc que le lien social, la culture humaine, les relations interindividuelles, les phénomènes institutionnels sont au fondement même de l’existence de chacun. Il nous faut donc procéder à un dépassement de cette opposition constitutive de l’individu moderne : ou l’autonomie ou le lien. Nous avons besoin des deux. En ce sens, comme le dit Lévinas : tout individualiste est un usurpateur.

Autre paradoxe : vous dites que l’exigence de transparence de nos démocraties libérales, qui répond, pour la prévenir, à l’opacité procédurale des régimes dictatoriaux, relève tout autant d’une démarche totalitaire. Pouvez-vous expliquer en quoi ?

Jean-Claude Guillebaud. Là, de même, le constat peut se faire au quotidien : nous assistons à une espèce de compétition vers la transparence. Volontairement ou involontairement, nous y sommes tous soumis. L’aveu est devenu une obsession : télévisée, radiodiffusée. Il faut réaliser à quel point cela a constitue un renversement de principe. L’intimité était encore, il n’y a pas si longtemps, considéré comme un acquis démocratique, une conquête faite sur le fonctionnement de l’ancien régime. Et seules les sociétés totalitaires violaient cette intimité. Aujourd’hui, nos sociétés démocratiques, leurs institutions peuvent nous suivrent à la trace. Elles en savent bien plus sur nous que nous ne pouvons même l’imaginer. La révolution informatique permet à cet égard tous les excès. Or, s’il y a quelque chose d’orwellien dans ce nouveau monde, nous redécouvrons qu’un minimum d’intériorité est nécessaire à l’être de l’humain. Je voulais un peu creuser cette question. Grâce au travail d’une jeune sociologue québécoise, Céline Lafontaine, j’ai compris que la tyrannie de la transparence était le dernier rebondissement des théories dites cybernétiques, développées dans l’après-guerre aux États-Unis. Celles-ci postulaient un homme dénué de toute intériorité, uniquement défini comme le noud d’un réseau communicationnel, déterminé de l’extérieur. C’est un modèle anthropologique qui porte en lui-même le renoncement à la politique parce qu’il évide l’engagement et la responsabilité des individus de leur sens. La tyrannie de la transparence n’aurait donc pas pour objectif de responsabiliser les individus, mais de les rendre translucides, parfaitement prévisibles.

Dernier paradoxe : alors que notre société n’a jamais été aussi technicienne, vous affirmez qu’il faut " relativiser le savoir et réhabiliter la croyance ". Que voulez-vous dire et ne craignez-vous pas de faire ainsi le jeu des conflits de religion ?

Jean-Claude Guillebaud. Je ne parle pas seulement des croyances religieuses. Tout choix politique repose sur la croyance. Le libéralisme repose sur des croyances - dans " la main invisible ", par exemple -, même s’il se sert de la scientificité de l’économie pour s’imposer. Cependant, sous prétexte d’une absence de savoir économique des masses, celles-ci sont dépossédées de toute réflexion démocratique. L’économie est une affaire savante ; laissons gérer les technocrates. Il y a donc un discours d’intimidation de la croyance démocratique au profit d’un prétendu savoir. On comprend l’enjeu. Cette contradiction entre croyance et savoir est tout simplement infondée. Les Grecs, inventeurs de la raison, conjuguaient habilement croyance et savoir. Nous avons perdu cette habileté et devons la retrouver. La croyance doit être réhabilitée, mais sans renoncer bien sûr à la critique de la raison. C’est la dialectique, le dialogue entre ces deux façons d’appréhender le monde qui compte. La refondation de la politique passe aussi par-là.

On peut vous retourner l’une des questions que vous posez : " En l’absence de tout messianisme séculier, sur quoi pouvons-nous asseoir un projet, une volonté de peser sur le cours de l’histoire, un refus des fatalités mécaniques du destin ? "

Jean-Claude Guillebaud. Je serais tenté de vous répondre que je crois encore, résolument, au progrès, à son messianisme. Le messianisme a jailli dans l’histoire du monde occidental de la bouche des grands prophètes juifs. Il rompait avec la pensée circulaire et introduisait l’idée d’un " temps qui va quelque part ", selon la belle expression de Lévinas. " Il n’y a pas de destin pour Israël " signifiait que l’avenir d’Israël serait fonction de ce que les hommes voudraient en faire. Ce thème a été reformulé par les chrétiens sous le nom d’espérance, puis laïcisé au XVIIIe siècle. On le retrouve même sous la plume d’un philosophe marxiste comme Ernst Bloch. J’en garde l’idée d’une responsabilité humaine quant à l’avenir du monde. Si nous le voulons, il y a d’autres mondes possibles que celui que l’on nous impose comme une fatalité. Si nous avons le goût de nous projeter politiquement dans l’avenir.

http://www.humanite.fr/2003-09-03_Tribune-libre_-Reenchanter-le-present-Jean-Claude-Guillebaud
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LE COIN BOUQUINS :: Commentaires

brusyl

Message Lun 7 Déc 2009 - 16:21 par brusyl

Qu’est-ce que la mondialisation ? D’abord un changement radical
d’époque, de repères culturels, de façon de penser la vie, le
temps, l’espace, les autres. Changement fascinant : les barrières
culturelles s’effondrent, les métissages se multiplient et s’accélèrent,
les flux d’images, de sons et de discours ouvrent à la mise
en partage des imaginaires de l’humanité tout entière, potentiellement
unifiée dans la diversification infinie de ses mondes subjectifs.
Ce changement, bien souvent, fait peur. Il va vite, trop vite peutêtre
pour des femmes et des hommes devenus soudainement
comme étrangers à eux-mêmes. Il porte surtout en lui l’orage :
le monde s’est aussi ouvert à la marchandisation du vivant, à la
financiarisation de l’économie et de la ville, à l’usage généralisé
de la guerre comme mode de gouvernement. La planète ellemême
est en danger.
Plus que jamais dans son histoire, l’humanité a aujourd’hui les
moyens de s’enrichir de ses différences pour maîtriser collectivement
son destin. Mais le repli frileux sur la haine de l’autre
devient trop souvent le moyen choisi pour conjurer la peur de
son propre devenir, l’angoisse devant l’incertitude de sa propre
identité.
Cette ethnographie politique du présent propose d’essayer de
voir clair dans les bouleversements symboliques et culturels qui
nous transforment, de lire notre présent avec le souci des possibles
et non la nostalgie du passé.
Car pour Alain Bertho, le pire danger qui nous menace réside en
nous-mêmes, dans la peur de l’époque et la tentation d’une identité
collective assiégée, d’une fragmentation sociale et politique
régressive et agressive.
Cette politique exclusive du « nous autres », du ressentiment,
de la frontière, du barbelé, voire du massacre nous livre tous,
sans défense, aux logiques financières prédatrices. L’auteur lui
oppose la construction au quotidien d’un nouveau « commun »
de l’humanité,
d’une nouvelle puissance solidaire du « nousmêmes
», ouverte à toutes les singularités et toutes les altérités.
Alain Bertho est professeur d’anthropologie à l’université
de Paris 8. Il consacre ses travaux depuis vingt-cinq ans à
la crise de la politique, étudiant successivement la fin du communisme
municipal, le mouvement de 1995, le mouvement
altermondialiste et les banlieues françaises. Il est l’auteur de
Banlieue banlieue banlieue (1997), Contre l’État la politique
(1999) et L’État de guerre (2003).

son livre (passionnant)est en téléchargement libre ici :
http://berthoalain.files.wordpress.com/2007/06/nanmcomplet.pdf


Table des matières
Introduction 7
Penser autrement 9
Lire le présent comme un texte 11
Quelques éclaireurs 13
Où regarder ? 14
Chapitre 1 – Être de son temps 17
La discontinuité de l’esprit du temps 18
Globalisation : la multiplicité du contemporain 20
Être ou non de son temps : une question politique 24
Les lieux de l’esprit du temps 26
Chapitre 2 – Les mots nous manquent 29
Les mots contre l’ordre du discours 32
Les mots, champs de batailles urbaines 35
Les mots de Babylone 38
Chapitre 3 – Le temps nous manque 41
Fin de la raison historique 42
Un nouveau régime d’historicité 46
L’utopie au présent. 49
La mémoire et l’histoire 50
Aujourd’hui ou demain ? 51
L’utopie contre la « vie nue » 53
Temps, politique et pouvoir 55
L’actualité et la maîtrise du temps 58
Chapitre 4 – Nous et les autres 61
Le deuil identitaire 63
Identités et altérités de proximité 67
Épuisement de l’incomplétude républicaine 69
La laïcité républicaine contre la multitude ? 71
2007 : fédérer les haines 74
Chapitre 5 – Ville ouverte 77
La ville interface 78
Quels mots pour la ville ? 81
Production immatérielle et rente foncière 83
Quel espace politique ? 87
Altérité et nouvelles frontières 90
La ville monde entre football et sans-papiers 91
Chapitre 6 – L’ordre et la peur 95
L’oeuvre et la discipline 97
Les deux peurs 99
Un mouvement urbain entre l’ancien et le nouveau 101
Le fordisme paradoxal 104
La banalisation du mal 107
Chapitre 7 – Le commun et l’universel 109
Le présent invisible 110
Le retournement de l’universel 112
Rupture des flux, rupture du droit 115
La globalisation cellulaire ou la politique des grumeaux 117
Deep democracy 120
La fin des temps 123
Soi et le monde 124
Conclusion – Pour une éthique du commun 127
Aveuglante transparence 128
La gauche déboussolée 129
Une éthique du commun contre l’éthique du ressentiment 131
Richesses du présent 133
Postface 135
À qui servent les sciences sociales ? 137
Une connaissance réciproque 139

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brusyl

Message Mar 24 Nov 2009 - 10:05 par brusyl

Voyage en Éditocratie
Présentation d’un très bon livre

Par Sebastien Fontenelle, 22 novembre

Dix paires de couilles bien blanches et bien bourgeoises, dans la fleur de l’âge (la cinquantaine ou la soixantaine) , toutes bien nées, bien friquées et tout ce qu’il y a de plus hétéro et fier de l’être... Qui sont-ils ? Allez, un indice supplémentaire : ils expliquent quotidiennement au bas peuple, aux vieux, aux jeunes, aux femmes, aux homos, aux immigré-e-s et à tou-te-s les autres ce qu’est la vie, ce qu’il faut en penser et surtout pourquoi il est urgent de « se serrer la ceinture », de baisser la tête et de fermer sa gueule… Vous les avez reconnus : ce sont les éditocrates ! C’est à ces vingt couilles blanches à doublure argentée – le flamboyant Bernard-Henri Lévy, le sémillant Jacques Marseille, l’omniscient Jacques Attali, le visionnaire Nicolas Baverez, le débonnaire Laurent Joffrin, l’inusable Alain Duhamel, le juvénile Christophe Barbier, le viril Ivan Rioufol, le patibulaire Philippe Val et le gros Alexandre Adler – qu’ont décidé de s’en prendre quatre excellentes plumes de la presse dite alternative : Mona Chollet, Olivier Cyran, Sébastien Fontenelle et Mathias Reymond. Le résultat est un très bon livre intitulé Les éditocrates, drôle et en même temps fort instructif sur cette petite caste qui ne connaît à peu près rien à rien mais s’autorise, comme dit le sous-titre du livre, à parler de (presque) tout en racontant (vraiment) n’importe quoi. En voici l’introduction, signée Sébastien Fontenelle

Les éditocrates font partie de nos vies. Ils sont un élément familier de notre environnement quotidien, comme les placards publicitaires sur les murs de nos rues, ou les platanes au bord de nos routes. Avec, cependant, cette différence de fond que les affiches et les platanes ne parlent pas. Les éditocrates, si.

Ils parlent même tout le temps, du matin au soir, du soir au matin, du lundi au dimanche. Et partout : dans la presse écrite, à la télévision, à la radio, sur Internet. Ils ne se taisent jamais : c’est à cela, aussi, qu’on les reconnaît. Quiconque a fait le pari un peu fou de traverser toute une semaine sans se cogner sur Jacques Attali ou Bernard-Henri Lévy à tous les coins de médias sait, pour avoir fait là l’amère expérience de l’échec, qu’un tel défi est impossible à relever.

Ils font partie du paysage, et certains sont là depuis très, très, très longtemps : on est pris de vertige, quand on réalise que l’homme n’avait pas encore marché sur la lune quand Alain Duhamel a écrit sa première chronique, en… 1963.

Loin – très loin – des contingences des petites mains du journalisme, les éditocrates se sont érigés en crème de l’aristocratie médiatique, en élite au sein de l’élite, soigneusement cadenassée. Où l’on n’entre que par cooptation, après avoir montré patte blanche. Après s’être coulé dans le moule d’une complète adhésion aux dogmes de l’époque. Après avoir pieusement psalmodié, parmi d’autres mantras, qu’il n’y a aucune alternative à la loi absolue du marché – celle du renard libre dans le poulailler de la concurrence « libre et non faussée »…

Car on ne naît pas éditocrate. On le devient à force d’application, au prix de l’abandon de toute velléité de penser par soi-même et d’une soumission absolue à l’air du temps. L’itinéraire d’un Philippe Val, passé en quelques années de la direction de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, où il moquait avec délectation les « amis de Bernard-Henri » (Lévy), à celle de France Inter, où il se compte au nombre des bons amis de « Bernard-Henri », est à cet égard exemplaire.

Omniscients, les éditocrates ont un avis sur tout (et l’obsession de le faire partager au plus grand nombre). Ils peuvent, avec la même assurance, disserter un jour de la crise financière – péripétie incontestablement regrettable, mais qui ne saurait au fond remettre en question l’excellence du modèle capitaliste –, puis le jour d’après de la disparition de Michael Jackson ou de l’urgente nécessité d’économiser l’eau du robinet, puis encore, le surlendemain, de la guerre d’Afghanistan – d’où les troupes d’occupation de l’OTAN ne sauraient se retirer sans exposer l’Occident à de pénibles périls.

Interchangeables, les éditocrates parlent surtout d’une seule et même voix, pour dire tous (presque) la même chose. Et pour cause : par-delà d’éventuelles nuances dans l’expression de leurs opinions – question de forme – ils sont, au fond, d’accord sur (presque) tout, dans un unanimisme qui transcende les appartenances politiques. Quand l’un, Laurent Joffrin (de Libération), dénonce par exemple l’« État obèse », un autre, Ivan Rioufol (du Figaro), prétendument calé à l’autre extrémité de l’échiquier politique, fustige quant à lui l’« État-mamma ». En vrac, ils stigmatisent le « modèle social français » (évidemment) coûteux et inefficace, les « privilèges » de toutes sortes (surtout ceux des fonctionnaires) – et gémissent, dès que sa population met un bout d’orteil dans la rue, que la France, rongée par d’ancestrales passions révolutionnaires, est « impossible à réformer ».



Ils se répondent, dans un même chœur, pour déplorer des entraves à l’esprit de libre entreprise qui n’existent que dans leurs imaginations. Et ainsi de suite : quand l’un, Nicolas Baverez, qui a conseillé Nicolas Sarkozy, observe, choqué, que le Parti socialiste français « n’a pas fait son Bad Godesberg » [2], un autre, Bernard-Henri Lévy, qui a conseillé Ségolène Royal, déclame, comme en écho, qu’il faut pour le Parti socialiste français, « plutôt vite que tard, […] un vrai Bad Godesberg, un Bad Godesberg bien solennel » [3].

Et tous de tomber d’accord, à l’heure où le chef de l’État français – Nicolas Sarkozy, tel qu’en lui-même – juge qu’il y a tout de même « trop de musulmans en Europe » [4] pour considérer que l’islam pose en effet de sérieux problèmes à l’Occident. Ce qui leur donne souvent l’occasion de tirer la « sonnette d’alarme » et de clamer à tout bout de champ que « la République est menacée par le communautarisme ». Frissons garantis…

Bien évidemment : les éditocrates s’érigent en prétendus « briseurs de tabous », en courageux pourfendeurs du « politiquement correct » et de la « pensée unique », alors même qu’ils sont les plus éminents représentants du conformisme intellectuel et politique le plus étroit.

De fait, par une permanente réinterprétation des mêmes psaumes, par la récitation, jour après jour, des mêmes vraies-fausses évidences, par le développement obsessif des mêmes clichés mensongers, ils fabriquent, en permanence, du consentement [5] : ils entretiennent un public captif dans la résignation, dans l’acceptation passive d’un système où le salarié ne trouve pas forcément son compte, mais dont eux-mêmes n’ont, certes, guère à se plaindre.

Pour ce faire, ils biaisent continuellement la réalité, la tordent et la contrefont au besoin, pour mieux la faire entrer dans leur cadre idéologique : les éditocrates tiennent le fait vrai pour quantité négligeable. Mais ils sont leurs propres arbitres et jouissent par conséquent d’une totale impunité. Ils peuvent donc, très librement, raconter n’importe quoi, se ridiculiser même, lorsque, découvrant soudain les menus travers du capitalisme financier, ils font mine de brûler – à très petit feu, il est vrai – ce qu’ils ont toujours adoré : jamais cela ne les disqualifie. Puis ils ont pour eux cet atout, qui les protège des affres du doute : ils ne connaissent pas la honte. De sorte qu’ils continuent à « donner le la » du prêt-à-penser médiatique.

On trouvera, dans les pages qui suivent, les portraits de dix de ces folkloriques personnages. D’autres que ces dix-là (point si nombreux toutefois, tant l’éditocratie est concentrée) auraient certainement eu toute leur place dans cette galerie. Comme Jacques Julliard, du Nouvel Observateur, minutieux artisan autrefois de la « deuxième gauche », devenu le témoin consterné (mais consentant) de la débâcle entraînée par le ralliement au marché des socialistes. Ou l’inévitable Alain Minc, rescapé de tout, ami autoproclamé des grands et des puissants, qui se présente, sans rire, comme le « dernier marxiste » de France. Et quelques autres encore : l’inimitable Alain-Gérard Slama. L’inénarrable Bernard Guetta. La pétulante Caroline Fourest. Liste non exhaustive…

Mais dix faisaient un compte rond et, on l’espère, une divertissante photographie du pays des faiseurs d’opinion.


http://lmsi.net/spip.php?article961

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Donald11

Message Mer 4 Nov 2009 - 16:03 par Donald11

Augure a écrit:Notre rapport aux choses, aux gens, aux autres, à notre environnement, doit être radicalement remis en question. Mais pour cela, je le crains, il va falloir trouver une représentation commune de ce qui doit et de ce vers quoi l'on doit tendre.
En mathematiques, on appelle ca une asymptote... Et c'est loin d'etre tendre !!!

Je pense neanmoins que nous ne pourrons survivre que sous la contrainte ...
Il nous restera la liberte de l'accepter ... et encore, ou de disparaitre.

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Message Mer 4 Nov 2009 - 13:45 par Invité

@brusyl

Merci pour cette présentation de Guillebaud.


Je trouve que Guillebaud fait un constat juste de la situation telle que je la perçois, pour autant, je ne vois pas de réponses ...


Sa conclusion :

J’en garde l’idée d’une responsabilité humaine quant à l’avenir du monde. Si nous le voulons, il y a d’autres mondes possibles que celui que l’on nous impose comme une fatalité. Si nous avons le goût de nous projeter politiquement dans l’avenir.

SI nous le voulons ...


Mais cela, a toujours été vrai, et reste vrai en toutes circonstances, tout ne dépend que de la volonté. Nous pourrions très bien nourrir toute la planète SI nous le voulions, nous pourrions très bien œuvrer à l'élaboration d'un monde sensé "SI nous le voulions"... etc etc etc.

Ce que ne dit pas Guillebaud (du moins dans l'interview que tu nous présentes), c'est :

Comment faire pour redonner la volonté de faire aux gens ?
Comment faire pour les sortir de leur perception nombrilique du monde ?
Comment faire pour que cet individualisme forcené, érigé au rang de dogme et destructeur d'esprit commun, soit remis à sa place ?

Si l'épanouissement individuel est la clef pour la construction d'une société épanouie, au même titre que l'épanouissement des deux membres d'un couple est la clef de l'épanouissement commun, (tant que, la notion de bien commun et de volonté commune reste l'objectif primordial), comment faire pour conjuguer intérêt individuel et intérêt commun ?

Ce que certains perçoivent comme sacrifice, et que d'autres conçoivent comme concessions utiles, loin d'être un obstacle, devrait être intégré comme une nécessité qui n'est pas attentatoire à la liberté individuelle.

Et là on rejoint l'analyse d'Alexandru Dragomir sur la notion de liberté et la libération (merci Ducky).

Cette quête illusoire, d'une liberté qui n'existe pas, et qui n'est en faite qu'une quête de libération, ne doit elle pas au refus de l'être d'admettre sa soumission ?

Soumis du jour de sa naissance au jour de sa mort aux contraintes, qu'elles soient vitales (boire, manger, dormir) familiales (devoir parentales ou filiales, devoir de transmission/reproduction) ou sociétale (intégration à un système de règles et aux interactions de groupe), "l'homme" semble intégrer le nécessaire comme un fardeau (quelle horreur, il faut que je boive, que je respire que je dorme), dont il cherche sans cesse à se libérer. Mais ce faisant, il se condamne à ne pas faire évoluer ce qui pourrait être amélioré. Il s'oppose en dehors de toute raison, et fini par se soumettre à des processus qui ne sont pas basés sur des constructions "positives", mais, le plus souvent, sur des postures d'abandon.


Nous sommes en train de vivre des bouleversements anthropologiques considérables, sans comparaison même avec ceux du temps de la Renaissance ou des Lumières. Le philosophe Jean-Luc Nancy écrit à ce propos que nous n’avons pas encore les concepts qui permettront de penser le monde nouveau. Cela signifie aussi que toutes nos querelles partisanes, manichéennes sont dérisoires, parce qu’elles s’énoncent dans un vieux langage. Elles se tiennent sur d’anciennes lignes de front. J’ai donc essayé de mettre en perspective ces contradictions, d’en bouger les termes, de les dialectiser.


Bien évidement... comme je n'ai pas lu ses œuvres, je ne sais pas de quelle manière Guillebaud les mets en perspective, ni comment il en a bougé les termes. Toutefois, je rejoins le constat, et cela fait parti de ce dont nous parlions ce matin (mercredi 4 novembre). Il nous faut trouver de nouveaux sens, parce que les valeurs que nous prétendons défendre, ne sont pas celles que nous défendons. La compréhension que nous en avons, tient à une représentation passéiste, pour ne pas dire iconographique, qui n'a plus aucune réalité (mais en a-t-elle jamais eu ?). De ce fait, chacun des arguments, chacune des idées, est interprétée au travers d'une filtre qui en dénature le sens.

Trouver un langage nouveau, une expression inédite, qui bouleverse les compréhensions attendues et convenues, sur lesquelles s'arcboutent à la fois, la société, et les individus, (par besoin de certitude (?), de savoir d'où on vient et où l'on va, sans se préoccuper de ce que l'on est réellement (?)), est peut être la condition sine qua non a l'élaboration d'un nouveau projet de société.


Notre rapport aux choses, aux gens, aux autres, à notre environnement, doit être radicalement remis en question. Mais pour cela, je le crains, il va falloir trouver une représentation commune de ce qui doit et de ce vers quoi l'on doit tendre.

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