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Une crise économique structurelle, aujourd’hui comme en 1930

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Une crise économique structurelle, aujourd’hui comme en 1930 Empty Une crise économique structurelle, aujourd’hui comme en 1930




Une crise économique structurelle, aujourd’hui comme en 1930, par Joseph Stiglitz (I/II)
5 janvier 2012

« Le problème aujourd’hui, c’est l’économie dite réelle. Ce problème trouve sa source dans le type d’emplois que nous avons, le type d’emplois dont nous avons besoin, et le type d’emplois que nous perdons. Ainsi que dans le type de compétences que nous voulons et le type de compétences dont nous ne savons que faire. L’économie réelle est depuis des décennies dans un état de transition épuisant, et ses dislocations n’ont jamais été envisagées en face. Sous le Long Marasme [actuel], on trouve une crise de l’économie réelle, tout comme c’était le cas à l’époque de la Grande Dépression. » Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz diagnostique une crise profonde de l’économie américaine, et considère que la crise financière n’est que la résultante ultime de déséquilibres structurels nés du passage d’une économie industrielle à une économie de services. Prenant le contre pied de la lecture classique de la Dépression des années 1930, couramment attribuée aux politiques restrictives de la Fed, il affirme que ce sont les gains de productivité de l’agriculture qui ont initialement provoqué une baisse généralisée de l’activité, de l’emploi et des revenus, avant que l’effort de guerre ne donne naissance à une industrie capable d’offrir de nouveaux emplois aux américains et de relancer la machine économique. Pour lui, la situation actuelle relève de la même grille d’analyse, et les seules politiques monétaires ne pourront suffire pour accomplir la transformation requise.

Par Joseph E. Stiglitz, Vanity Fair, 28 décembre 2011

Près de cinq ans se sont écoulés depuis l’éclatement de la bulle immobilière, et quatre ans depuis le début de la récession. Les Etats-Unis ont perdu 6,6 millions d’emplois en quatre ans. Près de 23 millions d’américains qui voudraient travailler à temps plein ne peuvent trouver un emploi. Près de la moitié de ceux qui sont sans emploi sont des chômeurs de longue durée. Les salaires ont baissé et le revenu réel d’un ménage américain moyen se situe à présent en dessous du niveau de 1997.

Nous savions depuis 2008 que cette crise était grave. Et nous pensions savoir qui étaient les « méchants » : les grandes banques américaines, qui, en accordant sans scrupules des prêts et en prenant des paris irresponsables ont conduit les Etats-Unis au bord de la ruine. Les gouvernements Bush et Obama ont justifié les plans de sauvetage en affirmant que l’économie ne pourrait se rétablir qu’à la condition que les banques reçoivent des fonds sans limites ni conditions. Nous avons fait cela non pas parce que nous aimons les banques, mais parce que (nous disait-on) nous ne pouvions pas nous passer du crédit qu’elles distribuent. De nombreuses voix, en particulier dans le secteur financier, ont soutenu qu’une action généreuse, forte et résolue, pour sauver non seulement les banques mais les banquiers, leurs actionnaires et leurs créanciers, rétablirait l’économie à son niveau d’avant la crise. Dans l’intervalle, une relance à court terme, d’ampleur modérée, suffirait à soutenir l’économie jusqu’à que les banques retrouvent leur santé.

Les banques ont obtenu leur renflouement. Une partie de ces fonds a financé les primes des banquiers. Bien peu se sont transformés en prêts. Et l’économie n’a pas réellement redémarré - la production actuelle est à peine supérieure à ce qu’elle était avant la crise, et la situation de l’emploi reste préoccupante. Le diagnostic sur la situation et les prescriptions qui ont suivi étaient incorrectes, à commencer par l’idée que les banques allaient amender leur pratiques, et qu’elles accorderaient à nouveau des crédits si ont les traitait suffisamment bien. On nous a dit : « N’imposez pas aux banques de conditions les obligeant à restructurer les prêts hypothécaires ou à se comporter plus décemment lors des saisies. Ne les obligez pas à utiliser ces fonds pour octroyer des prêts. De telles conditions déstabiliseraient des marchés fragiles. » Au bout du compte, les dirigeants des banques se sont préoccupés d’eux-mêmes et ont continué à faire ce dont ils avaient l’habitude.

Même lorsque nous aurons entièrement réparé le système bancaire, nous serons toujours dans une situation très difficile. Car la situation l’était déjà auparavant. L’apparent âge d’or de 2007 était loin d’être un paradis. Certes, sur de nombreux points, l’Amérique pourrait être fière. Les entreprises du secteur des technologies de l’information étaient à la pointe d’une révolution. Mais les revenus de la plupart des salariés Américains n’avaient pas encore retrouvé leurs niveaux d’avant la récession précédente. Le niveau de vie américain n’était soutenu que par l’augmentation de la dette. Une dette si massive que le taux d’épargne aux USA est tombé à pratiquement zéro. Et ce « zéro » ne décrit pas vraiment la réalité. Dans la mesure où les riches ont toujours été en mesure d’économiser une part importante de leurs revenus, qui viennent augmenter l’épargne, un taux moyen proche de zéro signifie que tous les autres sont situés en territoire négatif. (Voici quelle était la réalité : dans les années qui ont précédé la récession, selon une étude faite par mon collègue Bruce Greenwald, de l’université de Columbia, les 80% les moins riches de la population américaine ont dépensés près de 110% de leurs revenus.) Ce qui a rendu possible un tel niveau de l’endettement, c’est la bulle immobilière, que les gouverneurs de la Fed, Alan Greenspan puis Ben Bernanke, ont contribué à encourager par des taux d’intérêt faibles et l’absence de régulation- et en n’utilisant même pas les outils réglementaires dont ils disposaient. Comme nous le savons désormais, cela a permis aux banques de prêter et aux ménages d’emprunter sur la base d’actifs dont la valeur était en partie déterminée par une illusion collective.

Le fait est que l’économie dans les années précédant la crise actuelle était fondamentalement en état de faiblesse, avec la bulle et le niveau de consommation insoutenable qu’elle permettait, lui servant de perfusion. Sans ces facteurs, le taux de chômage aurait été élevé. Il était absurde de penser que la réparation du système bancaire pourrait en soi restaurer la santé économique. Se contenter de ramener l’économie à la situation précédente ne s’attaquerait pas aux problèmes sous-jacents.

Le traumatisme que nous vivons en ce moment ressemble à celui que nous avons connu il y a 80 ans, pendant la Grande Dépression, et il a été provoqué par une série analogue de circonstances. Hier, comme aujourd’hui, nous avons été confrontés à l’effondrement du système bancaire. Mais hier, comme aujourd’hui, l’effondrement du système bancaire a été en partie la conséquence de problèmes plus profonds. Même si nous traitons correctement ce traumatisme - l’échec du secteur financier - il faudra une décennie ou plus pour parvenir à un complet rétablissement. Dans le meilleur des cas, nous allons devoir endurer un « Long Marasme ». Si nos réactions ne sont pas les bonnes, comme cela a été le cas jusqu’à présent, ce Long Marasme perdurera encore plus longtemps, et le parallèle avec la dépression prendra alors une nouvelle dimension tragique.

Avant aujourd’hui, la Dépression restait la dernière occurrence dans l’histoire américaine où le chômage dépassait les 8% quatre ans après le début de la récession. Et jamais au cours des 60 dernières années, le niveau d’activité économique n’a été qu’à peine supérieur quatre ans après le début de la récession à ce qu’il était avant celle-ci. Le pourcentage de la population active a diminué deux fois plus que durant n’importe quelle récession depuis la Seconde Guerre mondiale. Comme on pouvait s’y attendre, les économistes ont commencé à réfléchir sur les similitudes et les différences entre ce Long Marasme et la Grande Dépression. Mais en tirer les bons enseignements n’est pas chose aisée.

Nombre d’entre eux soutiennent que la Dépression avait été causée principalement par un resserrement excessif de l’offre monétaire de la Fed. Ben Bernanke, qui est un spécialiste de la Grande Dépression, a déclaré publiquement que c’était la leçon qu’il en tirait, et la raison pour laquelle il a ouvert les vannes monétaires. Il les a ouvertes en grand. Depuis 2008, la taille du bilan de la Fed a doublé, puis augmenté jusqu’à trois fois son niveau antérieur. Aujourd’hui, il atteint 2 800 milliards de dollars. Ce faisant, la Fed a peut-être réussi à sauver les banques, mais elle n’a pas réussi à sauver l’économie.

La réalité a non seulement discrédité la Fed, mais aussi soulevé des questions sur l’une des interprétations conventionnelles quant aux origines de la dépression. On a avancé que la Fed avait causé la dépression par un resserrement de l’offre de monnaie, et estimé que si la Fed avait alors accru l’offre monétaire - en d’autres termes, avait fait ce que la Fed a fait aujourd’hui - une dépression totale aurait probablement été évitée. En économie, il est difficile de tester des hypothèses avec des expériences contrôlées du genre de celles pratiquées par les sciences exactes. Mais l’inefficacité de l’expansion monétaire à contrer la récession actuelle devrait enterrer à jamais l’idée que la politique monétaire était la première coupable dans les années 1930. Le problème aujourd’hui, comme hier, est d’une autre nature. Le problème aujourd’hui, c’est l’économie dite réelle. Ce problème trouve sa source dans le type d’emplois que nous avons, le type d’emplois dont nous avons besoin, et le type d’emplois que nous perdons. Ainsi que dans le type de compétences que nous voulons et le type de compétences dont nous ne savons que faire. L’économie réelle est depuis des décennies dans un état de transition épuisant, et ses dislocations n’ont jamais été envisagées en face. Sous le Long Marasme, on trouve une crise de l’économie réelle, tout comme c’était le cas à l’époque de la Grande Dépression.

Ces dernières années, Bruce Greenwald et moi-même nous sommes engagés dans des travaux de recherches sur une théorie alternative de la Dépression et une analyse alternative des dysfonctionnements de l’économie actuelle. Cette analyse voit dans la crise financière des années 1930 une conséquence non pas tant d’une implosion financière, mais de la faiblesse de l’économie sous-jacente. L’effondrement du système bancaire a culminé en 1933, longtemps après le début de la Grande Dépression et longtemps après que le chômage ait commencé à monter en flèche. En 1931, le taux de chômage était déjà à environ 16%, et il a atteint 23% en 1932. Les bidonvilles surnommés « Hoovervilles » ont fleuri un peu partout. La cause sous-jacente était un changement structurel dans l’économie réelle : la baisse généralisée des prix et des revenus agricoles, causée par ce qui est ordinairement considéré comme une « bonne chose » : une plus grande productivité.

Au début de la Dépression, plus d’un cinquième des américains travaillaient dans des fermes. Entre 1929 et 1932, ils ont vu leurs revenus réduits d’une fourchette entre un tiers et deux tiers, ce qui a aggravé les problèmes auxquels les agriculteurs étaient confrontés depuis des années. L’agriculture avait été victime de son propre succès. En 1900, pour produire suffisamment de nourriture pour le pays tout entier, il fallait employer une grande partie de la population américaine. Puis, survint une révolution dans l’agriculture, qui s’accélérera tout au long du siècle : meilleures semences, meilleur engrais, de meilleures pratiques agricoles, et une mécanisation généralisée. Aujourd’hui, deux pour cent des Américains produisent plus de nourriture que nous n’en pouvons consommer.

Cependant, cette transition se traduisant par une disparition des emplois agricoles et des moyens de subsistance des fermiers. En raison de l’accélération de la productivité, la production a augmenté plus vite que la demande et les prix ont fortement chuté. C’est ce facteur, plus que toute autre, qui a provoqué une baisse rapide des revenus. Les agriculteurs d’alors (comme les travailleurs aujourd’hui) ont beaucoup emprunté pour soutenir leur niveau de vie et financer leur activité. Ni les agriculteurs ni les banquiers n’ayant anticipé la tendance à la baisse des prix, un resserrement du crédit s’en est rapidement suivi. Les agriculteurs ne pouvaient tout simplement plus rembourser ce qu’ils devaient, et le secteur financier a été entraîné dans le tourbillon de la baisse des revenus agricoles.

Les villes n’ont pas été épargnées, loin de là. Avec la baisse de leurs revenus, les agriculteurs avaient de moins en moins d’argent pour acheter les marchandises produites dans les usines. Les industriels ont dû licencier des travailleurs, ce qui a encore diminué la demande pour les produits agricoles, entraînant une baisse des prix encore plus marquée. En peu de temps, ce cercle vicieux a affecté l’économie américaine tout entière.

La valeur des actifs (comme par exemple l’immobilier) diminue souvent lorsque les revenus baissent. Les agriculteurs se sont retrouvés piégés dans un secteur en déclin, dans des régions en proie à la désolation. La baisse des revenus et de la valeur des patrimoines rendait plus difficile la migration vers les villes ; le chômage élevé en milieu urbain rendait également cette migration moins attrayante. Tout au long des années 1930, en dépit de la baisse massive du revenu agricole, il y eut dans l’ensemble peu de migrations. Pourtant, les agriculteurs ont continué à produire, travaillant parfois encore plus dur pour compenser la baisse des prix. Individuellement, cela avait un sens ; collectivement, cela en était dépourvu, car toute augmentation de la production forçait les prix à la baisse.

Etant donné l’ampleur de la baisse des revenus agricoles, il n’est pas étonnant que le New Deal lui-même n’ait pas réussi à sortir le pays de la crise. Ses programmes étaient trop limités, et nombre d’entre eux ont été rapidement abandonnés. En 1937, Franklin Roosevelt, laissant libre cours aux faucons voulant lutter contre le déficit public, avait réduit l’ampleur des plans de relance, ce qui fur une erreur désastreuse. Au même moment, les États et municipalités en proie à de graves difficultés étaient contraints de licencier leurs employés, comme c’est le cas aujourd’hui. La crise bancaire a sans aucun doute aggravé tous ces problèmes, prolongeant et aggravant la récession. Mais toute analyse de la crise financière doit commencer par ce qui a déclenché cette réaction en chaîne.

La Loi sur l’adaptation de l’agriculture, le programme de Roosevelt en direction du secteur agricole, qui était conçu pour provoquer une augmentation des prix en réduisant la production, peut avoir amélioré quelque peu la situation, à la marge. Mais il a fallu attendre que les dépenses publiques explosent en préparation à la guerre mondiale, pour que l’Amérique commence à émerger de la Dépression. Il est important de souligner cette vérité simple : ce sont les dépenses publiques - c’est à dire une relance keynésienne - et non pas une quelconque correction de la politique monétaire ou la restauration du système bancaire, qui a déclenché la reprise économique. Les perspectives à long terme de l’économie auraient bien évidemment été encore meilleures si plus d’argent avait été consacré à des investissements dans l’éducation, la technologie et les infrastructures plutôt qu’à des munitions, mais même ainsi, de fortes dépenses publiques ont plus que compensé la faiblesse des dépenses du secteur privé.

Ces dépenses publiques ont résolu de façon involontaire le problème sous-jacent de l’économie : elles ont permis d’achever une transformation structurelle nécessaire, en conduisant de manière décisive l’Amérique, et en particulier son Sud, de l’agriculture à l’industrie. Les Américains ont tendance à être allergique à des termes comme « politique industrielle », mais c’est pourtant ce qu’ont représenté les dépenses de l’effort de guerre. Cette politique a définitivement transformé la nature de l’économie. La création massive d’emplois dans les zones urbaines - dans l’industrie - a permis aux américains de quitter le secteur agricole. L’offre et la demande des produits de ce secteur retrouvèrent à nouveau un équilibre. Les prix agricoles ont commencé à augmenter. Les nouveaux migrants vers les villes se sont accoutumés à la vie urbaine et acquis les compétences utilisées dans les usines. Après guerre, le GI Bill [1] a garanti que les soldats démobilisés soient formés et puissent s’insérer dans une société industrielle moderne. Durant cette période, la masse de main-d’œuvre qui était restée piégée dans les régions agricoles avait presque entièrement disparu. Le processus avait été long et fort douloureux, mais la cause ayant provoqué la crise économique avait disparu.
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Une crise économique structurelle, aujourd’hui comme en 1930 :: Commentaires

brusyl

Message Ven 13 Jan 2012 - 9:52 par brusyl

930-2008 : Crises économiques structurelles - le rôle de l’Etat, par Joseph Stiglitz (II/II)
9 janvier 2012

Traçant un parallèle avec les années 1930, qu’il analyse comme la crise du passage d’une société agricole vers le monde industriel, Stiglitz voit dans la crise actuelle le résultat des déséquilibres provoqués par la transition de l’industrie aux services. Dans les deux cas, ce sont d’abord les gains de productivité qui sont en cause, note-t-il. L’augmentation de la production, accompagnée par une baisse des prix, du volume d’emploi et des revenus, provoque une crise de la demande avant que le nouveau secteur à même de prendre le relais soit arrivé à maturité. Aux USA, c’est l’effort de guerre, rappelle-t-il, qui a permis de créer les industries capables d’absorber les millions de paysans que la crise avait ruinés. « Le secteur privé ne veut ni ne peut par lui-même entreprendre une transformation structurelle de l’ampleur nécessaire, même si la Fed maintient son taux d’intérêt à zéro pour les années à venir. La seule méthode pour y parvenir, c’est une relance publique conçue non pas pour préserver l’ancienne économie, mais se concentrant plutôt sur la création d’une économie nouvelle, » juge-t-il, en appelant au lancement d’un programme d’investissement public massif dans la formation, les infrastructures et les nouvelles technologies de développement durable, mais aussi à une refonte de la finance, qui doit être ramené au rôle subalterne qu’elle n’aurait jamais du quitter.

Par Joseph E. Stiglitz, Vanity Fair, 28 décembre 2011

Les parallèles que l’on peut établir entre l’histoire de l’origine de la Grande Dépression et celle de notre Long Marasme sont importants. À l’époque, nous passions de l’agriculture à l’industrie. Aujourd’hui, nous passons de l’industrie à une économie de services. Le déclin de l’emploi dans l’industrie a été spectaculaire, passant d’environ un tiers de la population active il y a 60 ans à moins d’un dixième aujourd’hui. Et ce phénomène s’est accéléré de façon marquée au cours de la dernière décennie. Cette baisse a deux causes. Premièrement une plus grande productivité - la même dynamique qui avait révolutionné l’agriculture et contraint la majorité des agriculteurs américains à rechercher du travail ailleurs. Deuxièmement, la mondialisation, qui a délocalisé des millions d’emplois à l’étranger, dans les pays à bas salaires ou ceux qui ont investi davantage dans les infrastructures ou la technologie. (Comme Greenwald l’a souligné, la plupart des pertes d’emplois dans les années 1990 étaient liées à des augmentations de productivité, et non à la mondialisation) Quelle que soit la cause spécifique, le résultat - inévitable - est exactement le même qu’il y a 80 ans : une baisse du revenu et une disparition d’emplois. Les millions de chômeurs, anciens salariés de l’industrie auparavant employés dans des villes telles que Birmingham et Youngstown, Gary et Detroit, sont l’équivalent moderne des agriculteurs ruinés lors de la dépression.

Les conséquences en termes de dépenses de consommation, de santé économique, - sans parler du coût humain épouvantable - sont évidentes, bien que nous ayons été capables de les ignorer pour un temps. Durant la dernière période, les bulles dans les marchés immobiliers et du crédit ont dissimulé le problème, en créant une demande artificielle, qui à son tour à généré des emplois dans le secteur financier, dans le bâtiment et autres secteurs d’activité. La bulle a même réussi à faire oublier aux salariés que leurs revenus baissaient. Ils se sont réjouis de la possibilité de s’enrichir au-delà même de leurs rêves, lorsque la valeur de leurs maisons atteignit des sommets et que la valeur de leurs fonds de pensions, investis dans le marché boursier, semblait devoir faire de même. Mais ces emplois étaient temporaires, basés sur du vent.

La majorité des macro-économistes affirment que lors d’une récession, le véritable problème n’est pas la baisse des salaires, mais leur rigidité. Si les salaires étaient plus flexibles (ce qui revient à dire moins élevés), les ralentissements économiques se corrigeraient d’eux-mêmes ! Mais ce n’était pas vrai pendant la Dépression, et ce n’est pas toujours vrai aujourd’hui. Bien au contraire, une réduction des salaires et des revenus ferait tout simplement baisser la demande, affaiblissant encore plus l’économie.

Parmi les quatre grands secteurs de services - finance, immobilier, santé et éducation - les deux premiers ont été surdimensionnés avant le début de la crise actuelle. Les deux autres, la santé et l’éducation, reçoivent traditionnellement un fort soutien de l’Etat. Mais, l’austérité à tous les étages - consistant à sabrer les budgets lors d’une récession - a tout particulièrement frappé l’éducation tout comme elle a décimé le secteur public dans son ensemble. Près de 700 000 emplois publics, de l’Etat et des collectivités territoriales, ont disparu ces quatre dernières années, reproduisant ce qui s’était déroulé durant la Dépression. Comme en 1937, les faucons anti-déficit réclament aujourd’hui le retour à l’équilibre budgétaire et toujours plus de compressions des dépenses. Au lieu de promouvoir une transition structurelle qui est inévitable - au lieu d’investir dans le capital humain, la technologie et l’infrastructure, qui finiront par nous amener là où nous devrions être, le gouvernement appuie sur le frein. Les stratégies actuelles ne peuvent produire qu’un résultat : elles assurent que le Long Marasme sera plus long et plus profond que nécessaire.

On peut tirer deux conclusions de cet bref rappel historique. La première est que l’économie ne rebondira pas d’elle même, du moins pas dans un laps de temps qui convienne pour les gens ordinaires. Oui, tous ces logements saisis finiront par trouver quelqu’un qui y habitera, ou bien ils seront démolis. Les prix vont finir par se stabiliser et commenceront même à remonter. Les américains vont également s’adapter à un niveau de vie inférieur, et vont non seulement vivre selon leurs moyens, mais vivre en dessous de leurs moyens, en devant se battre pour rembourser une montagne de dettes. Mais les dégâts seront énormes. La conception que l’Amérique a d’elle-même, en tant que terre d’opportunité est déjà écornée. Les jeunes chômeurs sont sur le bord du chemin. Il sera plus difficile et plus difficile d’en ramener un nombre important sur une voie productive. Ils seront marqués à vie par ce qui advient aujourd’hui. En traversant les vallées industrielles du Midwest, les petites villes de la Plaine ou les concentrations d’usine du Sud, on voit l’image d’une décadence irréversible.

La politique monétaire ne nous aidera pas à sortir de ce pétrin. Ben Bernanke l’a, tardivement, en grande partie reconnu. La Fed a joué un rôle important dans la création des conditions actuelles - en encourageant la bulle qui a permis un niveau de consommation insoutenable - mais elle ne peut désormais que peu de choses pour atténuer les conséquences. Je peux comprendre que ses membres puissent ressentir un certain degré de culpabilité. Mais quiconque croyant que la politique monétaire va ramener à la vie l’économie sera amèrement déçu. Cette idée est une lubie, du genre dangereux.

Ce que nous devons faire, c’est lancer un programme d’investissements massifs - comme nous l’avions fait, presque par accident, il y a 80 ans - qui permette d’accroître notre productivité pour les années à venir, et permette également de créer des emplois dès maintenant. Cet investissement public, et le redressement du PIB qui en résulte, améliore le rendement de l’investissement privé. Les investissements publics pourraient viser à améliorer la qualité de vie et la productivité réelle, à la différence des investissements du secteur privé dirigés dans les innovations de la finance, qui se sont avérées être plutôt des armes financières de destruction massive.

Pouvons-nous réellement nous diriger vers cela, en l’absence d’une mobilisation pour une guerre mondiale ? Peut-être pas. La bonne nouvelle (en un sens), est que les États-Unis ont sous-investi dans les infrastructures, la technologie et l’éducation pendant des décennies, de sorte que le retour sur tout investissement supplémentaire est élevé, alors que le coût du capital est au plus bas, à un niveau sans précédent. Si nous empruntons aujourd’hui pour financer des investissements à haut rendement, le ratio de la dette par rapport au PIB - qui est la mesure habituelle de la soutenabilité de la dette - en sera nettement amélioré. Si dans le même temps nous augmentons les impôts - par exemple, pour le 1% des ménages les plus riches, en termes de revenu - cette soutenabilité serait encore améliorée.

Le secteur privé ne veut ni ne peut par lui-même entreprendre une transformation structurelle de l’ampleur nécessaire, même si la Fed maintient son taux d’intérêt à zéro pour les années à venir. La seule méthode pour y parvenir, c’est par une relance publique conçue non pas pour préserver l’ancienne économie, mais se concentrant plutôt sur la création d’une économie nouvelle. Nous devons effectuer la transition hors du secteur industriel, et en direction des services que les gens attendent - dans des activités productives qui accroissent le niveau de vie, pas celles qui augmentent le risque et l’inégalité. À cette fin, il existe beaucoup d’investissements à haut rendement que nous pouvons décider. L’éducation est un élément crucial - une population de haut niveau d’instruction est un moteur fondamental de croissance économique. Il est nécessaire d’apporter un soutien à la recherche fondamentale. Les investissements publics durant les décennies précédentes - par exemple, dans le développement d’Internet et de la biotechnologie - ont contribué à alimenter la croissance économique. Sans investissement dans la recherche fondamentale, comment alimenter la vague suivante d’innovation ? En attendant, les Etats pourraient certainement utiliser l’aide fédérale pour combler leurs déficits budgétaires. À long terme la croissance économique au rythme actuel de notre consommation de ressources est impossible. De ce fait, financer la recherche, des techniciens qualifiés, et des initiatives pour la production d’énergies plus propres et plus efficaces peuvent non seulement nous aider à sortir de la récession, mais aussi à bâtir une économie robuste pour les décennies à venir. Enfin, nos infrastructures délabrées, des routes et des chemins de fer aux digues et aux centrales électriques, sont une cible à privilégier pour des investissements rentables.

La deuxième conclusion est la suivante : Si nous nous attendons à maintenir un semblant de « normalité », nous devons réparer le système financier. Comme indiqué précédemment, l’implosion du secteur financier n’est peut être pas la cause de notre crise actuelle mais elle l’a rendue bien pire, et c’est un obstacle pour une reprise à long terme. Les petites et moyennes entreprises, en particulier les nouvelles, sont une source très importante de création d’emplois dans toute économie, et elles ont été particulièrement durement touchées. Il est nécessaire que les banques mettent un terme à leurs dangereuses spéculations et reviennent au métier ennuyeux consistant à accorder des prêts. Mais nous n’avons pas réparé le système financier. Nous avons versé de l’argent aux banques, sans restrictions, sans conditions, et sans une vision de la nature du système bancaire dont nous avons besoin et que nous voulons. Nous avons, en un mot, confondu la fin et les moyens. Un système bancaire est censé servir la société, et non l’inverse.

Que nous tolérions une telle confusion des fins et des moyens révèle quelque chose de profondément troublant sur l’orientation prise par notre économie et notre société. Les américains dans leur ensemble sont en train de comprendre ce qui s’est passé. Les manifestants à travers le pays, galvanisés par le mouvement Occuper Wall Street, le savent déjà.

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