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« Il n'y a rien de plus bourgeois que la classe ouvrière »

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28042010

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« Il n'y a rien de plus bourgeois que la classe ouvrière » Empty « Il n'y a rien de plus bourgeois que la classe ouvrière »




George Orwell
« Charles Dickens » in Essais, articles, lettres (volume I)

Se faire traiter de bourgeois… il n'y a pas pire déshonneur pour un -militant communiste ou un sympathisant marxiste. Difficile, dans ces conditions, de se marier, d'emmener ses enfants voir Guignol ou d'aller au restaurant avec l'esprit tranquille… Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents communistes, rouges de honte en avouant leur passion (petite-bourgeoise) pour Mozart. Puisque la science marxiste a divisé l'humanité en deux classes – les bourgeois et les prolétaires – et affirmé que l'irréversible sens de l'histoire allait donner victoire aux derniers, il fallait tout faire pour éviter l'insulte ultime.

Par Yann Pinon

C'est dans cette pieuse ambiance de chasse aux moeurs bourgeoises et dégénérées, qui a régné une bonne partie du XXe siècle et dont le stalinisme a fait un sport international, que George Orwell affirme, en 1939, qu'en ce qui concerne les conceptions morales, « il n'y a rien de plus bourgeois que la classe ouvrière ». Ce que veut dire l'auteur de 1984, c'est que dans l'opposition entre la morale capitaliste et la morale ouvrière, le camp révolutionnaire, contrairement aux apparences, a choisi la première.

La morale révolutionnaire est, selon Orwell, une éthique de la table rase, de la haine de tout ce qui est, du ressentiment envers ce que l'on n'a pas et ce que l'on n'est pas. Le militant révolutionnaire, pour qui seul compte le renversement du système, quel qu'en soit le prix à payer, fait sien l'adage machiavélien : la fin (de l'histoire) justifie les moyens. Or cette même logique de l'intérêt régit la morale capitaliste, dont l'unique fin est l'accumulation sans limite du capital, par n'importe quel moyen.

Mais ce n'est pas ainsi que les classes populaires vivent car, pour ces dernières, « il y a des choses qui ne se font pas », quel que soit le contexte. La morale des classes populaires est celle du don, du désintéressement, de l'honneur et de l'amitié, cet ensemble de vertus humaines qui régit quotidiennement la vie des gens ordinaires et que George Orwell appelle la common decency, ou décence ordinaire.

C'est donc ironiquement qu'Orwell utilise le jargon des intellectuels révolutionnaires, qui méprisent toutes ces valeurs qu'ils qualifient naïvement de « bourgeoises », alors qu'elles sont en réalité celles de la classe ouvrière. Ce n'est pas le feu du bûcher révolutionnaire, mais la chaleur humaine dans laquelle baignent les rapports populaires, qui, seule, peut réchauffer les relations noyées dans les eaux glacées du capital.



Yann Pinon
brusyl
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« Il n'y a rien de plus bourgeois que la classe ouvrière » :: Commentaires

country skinner

Message Jeu 29 Avr 2010 - 5:40 par country skinner

La morale des classes populaires est celle du don, du désintéressement, de l'honneur et de l'amitié, cet ensemble de vertus humaines qui régit quotidiennement la vie des gens ordinaires et que George Orwell appelle la common decency, ou décence ordinaire.
J'adhère totalement...
Mais là ou Orwell semble (selon ce qu'en dit Piron en tout cas - il faudrait revenir au texte d'Orwell) effectuer un triple tour de passe passe intellectuel, c'est quand il pose comme allant de soi que ces valeurs seraient celles pronées aussi par la morale bourgeoise ?
- Le premier en ce qu'à l'analyse, la "morale" bourgeoise prone beaucoup plus l'épargne et l'enrichissement individuel (l'amitié désintéressée), le respect de l'ordre établi (en bon père de famille) et la soumission au pouvoir en place (l'honneur bourgeois) que des valeurs aussi "révolutionnaires" que le don et le partage (stupidités "droitdelhommistes")
- Le second, en considérant "naturellement" que ce que dit (discours ideologique) la morale bourgeoise ne peut que correspondre effectivement à ce que fait (praxis) la bourgeoisie...
- Le troisième en laissant entendre que parce qu'elles seraient partagées par tous, (bourgeois et prolétaires) ces valeurs "morales" (louables) devraient être admises ipso facto comme "bonnes" et ne sauraient être soumises à une étude critique (généalogique au sens nietzschéen du "soupçon") sur l'idiosyncrasie sociale qui les sous tend.
Par souci de lucidité, il conviendrait de se demander pouquoi on partage des valeurs morales (toujours louables bien sur puisqu'on les partage), pourquoi on les respecte et pourquoi, curieusement, les lois morales partagées ont toujours pour effet de "solidariser en excluant". Ne serait-ce que pour ne pas se retrouver à hurler avec les loups - même populaires, décents et communs - contre les indécents, les marginaux, les inclassables, les intouchables, tous les réprouvés qu'aime bien dénoncer elle aussi la common decency "ouvrière"...

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