L'élitisme républicain. L'école française à l'épreuve des comparaisons internationales,
par Christian Baudelot et Roger Establet
coll. La République des idées, éd. du Seuil, 2009, 118 p., 10,50 euros.

http://www.alternatives-economiques.fr/une-france-malade-de-son-elitisme_fr_art_834_42845.html

L'importance d'un ouvrage ne se mesure pas nécessairement à son épaisseur ni au fait qu'il prétend couvrir un champ très vaste. Le dernier livre de Christian Baudelot et Roger Establet est court (118 pages) et son objet est très précis: la comparaison des performances du système éducatif français avec celui des autres pays développés à travers les enquêtes Pisa réalisées par l'OCDE, le club des pays riches. Et pourtant, les deux sociologues éclairent d'un jour particulièrement cru les faiblesses spécifiques du modèle français. Et cela bien au-delà du seul champ de l'école et beaucoup plus efficacement que de nombreux essais a priori plus ambitieux.



Contradiction


Ils illustrent en effet, de façon difficilement contestable, la contradiction criante entre une société qui se croit volontiers égalitaire, du fait notamment de l'importance qu'elle accorde traditionnellement à l'action publique, et une réalité sociale qui, elle, demeure terriblement inégalitaire. Dans ce processus, l'école joue un rôle central à travers l'élitisme républicain qui prétend légitimer, par des diplômes ne résultant que du seul mérite scolaire, les privilèges accordés à l'élite vis-à-vis de la masse de ceux qui n'ont pas eu accès au Graal de nos grandes écoles prestigieuses.

C'est une hypocrisie totale: Christian Baudelot et Roger Establet montrent au contraire que notre pays est, parmi les 30 pays qui se soumettent à l'exercice Pisa, celui où l'origine sociale des parents a le plus d'influence sur les résultats scolaires des enfants. Au sein de ces 30 pays, on ne trouve pas seulement les pays scandinaves, mais aussi le Royaume-Uni et les Etats-Unis, symboles du modèle anglo-saxon honni, car si tolérant à l'inégalité. On trouve également des pays comme le Mexique, la Turquie ou encore la Grèce, qu'on a pourtant du mal à considérer a priori comme plus égalitaires que le pays de la Révolution de 1789...

A travers ces comparaisons internationales, les deux auteurs ne montrent pas seulement combien l'élitisme républicain est injuste, mais aussi combien il est inefficace. Les pays qui s'en sortent le mieux économiquement sont en effet ceux qui, au contraire de la France, privilégient la formation du plus grand nombre: "Tout porte à penser que l'élite est bonne, novatrice et abondante si la masse est bien formée et l'échec le plus rare possible", soulignent-ils. Et cela vaut, de la Finlande à la Corée du Sud en passant par le Canada, pour des pays qui ont par ailleurs des histoires, des systèmes politiques et des cultures très divers.



Démonstration


Bref, même si dans la crise économique actuelle on se focalise volontiers - de manière compréhensible - sur les dysfonctionnements de la régulation à l'échelle internationale, Christian Baudelot et Roger Establet nous rappellent que tous nos malheurs ne viennent pas des méchants capitalistes de Wall Street, ni des vilains libéraux de la Commission européenne de Bruxelles. La société française a aussi beaucoup de travail à faire sur elle-même.

Si la démonstration est convaincante, ce n'est pas seulement parce qu'elle se nourrit d'une utilisation précise et scrupuleuse des résultats des études Pisa. C'est aussi parce qu'elle s'appuie sur une connaissance profonde du système éducatif français et de ses dysfonctionnements. Le premier ouvrage des deux auteurs sur la question, qui avait déjà fait date à l'époque, remonte à 1971 (L'école capitaliste en France, éd. Maspero, 1971). Près de quarante ans plus tard, le tandem n'a rien perdu de ses qualités d'analyse ni de sa capacité d'indignation face aux inégalités.

Guillaume Duval