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La mort de la 2ème gauche

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26012011

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La mort de la 2ème gauche Empty La mort de la 2ème gauche




De Rocard à Julliard, vie et mort de la deuxième gauche

Par MICHAËL FOESSEL Philosophe, conseiller de la direction de la revue Esprit



Une manière d’envisager les échecs de la gauche française consiste à revenir sur son histoire récente. Ce genre d’exercice se place souvent sous l’alternative de la trahison et de l’archaïsme : si la gauche a échoué, c’est parce qu’elle a cessé d’être de gauche ou bien, à l’inverse, parce qu’elle n’a jamais rompu avec son surmoi marxiste. La première hypothèse n’explique rien tant que l’on n’a pas dit ce que signifie être «vraiment de gauche». Quant au surmoi marxiste, on peinerait à en déceler la trace dans les documents officiels du Parti socialiste, pour ne rien dire de sa politique effective.

Au-delà du «mercato» journalistique, le passage de Jacques Julliard de la rédaction du Nouvel Observateur à celle de Marianne ouvre une nouvelle piste. On y a vu l’acte de repentance d’un des représentants de la «deuxième gauche» qui, à la faveur de la crise, aurait (enfin) perçu les ravages de l’ultralibéralisme. Il est tentant de lire dans les explications de Julliard l’énoncé d’une position morale. La gauche dont nous aurions besoin est une gauche dégrisée à l’égard des vertus du profit. Il est vrai que la compromission des élites de la social-démocratie européenne avec le capitalisme globalisé n’est pas pour rien dans l’affaissement de la gauche. Mais tout ne s’explique pas par le penchant de certains progressistes pour la business class.

Le peuple ou la société civile ?
Pour comprendre l’impasse actuelle, mieux vaut faire l’histoire politique et intellectuelle de la deuxième gauche. En 1977, au congrès de Nantes du Parti socialiste, Michel Rocard défend «la deuxième gauche, décentralisatrice, régionaliste, héritière de la tradition autogestionnaire, qui prend en compte les démarches participatives des citoyens, en opposition à une première gauche, jacobine, centralisatrice et étatique». A strictement parler, la deuxième gauche n’a jamais exercé le pouvoir en France, il est donc injuste de faire peser sur elle le poids des reniements. Certaines de ses idées ont, en revanche, rencontré l’air du temps au point de se diffuser naturellement dans le logiciel socialiste. C’est de cette rencontre, et non des idées elles-mêmes, que sont nées les difficultés idéologiques du présent.

Dans le bagage intellectuel de la nouvelle gauche, on trouve le rejet des compromissions de la SFIO et du mitterrandisme avec l’appareil d’Etat durant la guerre d’Algérie, la critique du totalitarisme (donc des équivoques de l’alliance PS-PCF des années 1970), et la conviction que le changement social ne se décrète pas d’en haut. Il n’y a rien à redire à ces certitudes, sinon qu’elles sont pour l’essentiel négatives et ne suffisent pas à fonder une politique. C’est pourquoi les théoriciens de la deuxième gauche les ont étayées sur une méthode : s’appuyer sur les dynamiques progressistes de la société civile pour favoriser l’émancipation sociale.

Depuis qu’elle a été introduite par les philosophes écossais du XVIIIe siècle, la notion de «société civile» vise à limiter l’absolutisme de l’Etat. Elle désigne les corps intermédiaires (associations militantes, syndicats, organisations non gouvernementales, presse, relais d’opinion) dont l’expérience, au-delà des intérêts particuliers, vaut expertise pour la définition du bien commun. En misant sur la société civile, la deuxième gauche reprenait à son compte la veine à la fois libertaire et sociale issue de 1968. De la pensée de Michel Foucault jusqu’au militantisme de la CFDT s’impose un consensus anti-étatiste. Pas encore la «réforme» plutôt que la «révolution», mais les «microrésistances» et les expériences locales contre l’exercice vertical du pouvoir.

La deuxième gauche réagit contre deux figures de l’autoritarisme qui ont fait bon ménage tout au long des Trente Glorieuses : le centralisme national du gaullisme et celui, supposé démocratique, du PCF. Dire «société civile», c’est un moyen de ne pas dire «Etat» en même temps qu’une manière de ne plus dire «peuple». Il ne s’agit pas seulement d’une méfiance à l’égard de la souveraineté populaire, mais du refus de voir le peuple («prolétariat» ou masse des «travailleurs») accaparé par une avant-garde progressiste autoproclamée. Cette précaution constitue un des acquis politiques de la deuxième gauche et les débats actuels sur le populisme illustrent une nouvelle fois que, dans une démocratie, le peuple doit être une réalité plurielle qu’aucun parti ne peut prétendre incarner et que la société civile seule s’impose comme le véritable sujet politique.

De l’autogestion à l’entreprise
L’impératif d’autogestion porté par la deuxième gauche montre que son projet fut, en somme, de démocratiser le capitalisme. Cette initiative rencontra hélas le projet symétrique du néolibéralisme : faire entrer le capitalisme dans la démocratie. S’il y eut là une naïveté qui se paye cher aujourd’hui, elle ne relève ni de la trahison ni de l’erreur. Elle est le fait d’un quiproquo historique : le capitalisme que l’on prétendait soumettre à la démocratie sociale était, dans la même période, en train de changer de visage. Les théoriciens de la deuxième gauche se révélèrent finalement meilleurs sociologues qu’économistes. Ils avaient perçu le potentiel démocratique des institutions sociales, mais ils ne virent pas qu’il serait bientôt balayé par la révolution néolibérale. La lutte acharnée (et finalement victorieuse) de Margaret Thatcher contre les syndicats anglais démontrait que la nouvelle droite n’était plus disposée à laisser des forces sociales se développer à la marge du marché.

Par une ironie de l’histoire, l’exécuteur testamentaire de la deuxième gauche est un chef de file de la première. En 1985, Laurent Fabius déclare son souhait de «réconcilier les Français avec l’entreprise». L’intention, sans doute louable, fut émise dans les pires circonstances économiques et sociales. A cette date, en effet, les comités d’entreprise avaient déjà fait place au management, et l’idéal d’autogestion à la gestion des ressources humaines. Plus encore que l’Etat, la société civile est la cible des politiques néolibérales. Margaret Thatcher ne s’en cachait d’ailleurs nullement, elle pour qui «il n’existe rien de tel que la société». Dans cette idéologie, ce qui existe ce sont des individus atomisés et liés au réel par la seule recherche de leur intérêt. Des syndicats affaiblis, des associations dépolitisées, des ONG réduites à l’humanitaire : c’est le seul «social» dont s’accommode l’extension du marché et de la concurrence à tous les registres de la vie.

A la différence de nombreux hommes politiques de gauche, Raymond Aron l’avait compris. Dans un entretien inédit réalisé pour la revue Esprit, Pierre Rosanvallon se souvient d’un colloque organisé à l’Assemblée nationale en 1980 et destiné à populariser en France la pensée de Friedrich Hayek, le pape du néolibéralisme. Invité à présider la séance, Raymond Aron s’affole de voir son libéralisme confondu avec le projet énoncé tranquillement par Friedrich Hayek de substituer un «comité des sages» à la démocratie directe. L’ennui, avec le peuple, c’est qu’il peut céder aux mirages de la justice sociale. Dans une logique néolibérale poussée à son extrême, il vaut donc mieux lui substituer une élite qui le rappelle, au besoin par la contrainte, à la loi du marché.

L’aveuglement face au néolibéralisme
En détricotant l’Etat-providence, les politiques néolibérales ont été cohérentes : c’était une forme d’Etat tout entière fondée sur le compromis avec la société civile. Pour affaiblir la seconde, il fallait vider le premier de sa substance. Certains théoriciens de la deuxième gauche n’ont pas vu ce lien entre une forme institutionnelle étatique et les dynamiques d’émancipation à l’œuvre dans la société. Par un excès de confiance dans l’autonomie des individus, ils ont surestimé les capacités de résistance à la montée des inégalités.

La deuxième gauche disait oui à l’économie de marché et non à la société de marché, mais dans un moment historique où l’évolution de la première menait inévitablement à l’invention de la seconde. Il est vain de se demander qui, de la gauche ou de la société civile, a «trahi» : le fait est que ceux qui se réclament de l’émancipation ne peuvent plus s’appuyer sur les institutions de la société civile telles qu’elles existent, c’est-à-dire telles qu’elles ont été progressivement transformées par les politiques néolibérales.

La gauche française n’a pas seulement perdu la bataille des idées, elle a provisoirement perdu celle des désirs. Au Nouvel Observateur, Jacques Julliard était aux premières loges pour en juger : la multitude des unes sur les salaires des cadres ou les prix de l’immobilier parisien constitue un signe tangible de la substitution de l’intérêt privé au désir de transformation sociale. Il faut espérer, aujourd’hui, que la parenthèse néolibérale se referme, et qu’il devienne à nouveau possible d’identifier progrès social et démocratisation. La désillusion de la deuxième gauche aura alors permis de rappeler que l’on peut démocratiser le pouvoir, pas l’argent.

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La mort de la 2ème gauche :: Commentaires

brusyl

Message Ven 28 Jan 2011 - 12:00 par brusyl

Et un article de plus sur la mort du socialisme et la nécessité d'une refondation sociologique de la gauche !!
Celui-là me plait bien !!! (c'est fou comme les thèses des décroissants peuvent être reprises actuellement, sous divers déguisements et habillages... lentement mais sûrement, tout le monde y vient !)
Et vous qu'en pensez vous ?
Bonne journée à tous !



Maire de Thionville (Moselle) et conseiller national du parti socialiste, Bertrand Mertz nous a adressé ce long texte de réflexion sur l'état du socialisme, et ses perspectives de «reconstruction sur de nouvelles bases».



--------------------

Au moment où les socialistes français sont engagés dans un processus de rénovation qui risque, en raison de son caractère superficiel, de ressembler davantage à un artifice qu'à une véritable entreprise de réflexion collective, il est nécessaire de s'atteler à la tâche très importante qu'est l'examen de la situation dans laquelle se trouve le mouvement socialiste et social-démocrate face à la crise du Capitalisme dans laquelle le monde est plongé, et que la théorie socialiste prédit depuis sa création au 19e siècle. Il est également nécessaire de rechercher quelle alternative à la société et au système économique actuels est capable d'offrir un projet socialiste véritablement rénové. Pour ce faire, il est indispensable d'établir lucidement quelques constats douloureux, afin de mieux tracer ensuite les voies d'une réinvention du Socialisme.



La défaite temporaire du Socialisme est avérée



La crise financière et économique, dans laquelle nous sommes officiellement entrés depuis vingt-quatre mois maintenant, devrait normalement profiter à la gauche européenne puisqu'elle vient démontrer, dans les faits, la pertinence des critiques adressées au système capitaliste par les théoriciens de la gauche depuis des décennies. Paradoxalement, il n'en est rien. C'est même la droite qui, en France comme en Italie ou en Allemagne, a semblé tirer au début de la crise une nouvelle légitimité de son discours critique des excès du capitalisme, fustigeant les banquiers irresponsables (en appliquant la bonne vieille recette du bouc émissaire) ou incriminant sans la moindre pudeur le règne de l'argent roi.



Cette situation paradoxale s'explique par le fait que cette crise s'inscrit dans une perspective historique de fond: celle du renoncement au Socialisme. En effet, c'est au moment même ou le Capitalisme s'est mis à avoir de sérieux ratés que les socialistes, partout dans le monde, ont déclaré leur ralliement à l'économie de marché. Ainsi à l'article 6 de leur nouvelle déclaration de principes adoptée en 2008, les socialistes français se disent «partisans d'une économie sociale et écologique de marché, une économie de marché régulée par la puissance publique, ainsi que par les partenaires sociaux, qui a pour finalité la satisfaction des besoins sociaux essentiels. Le système voulu par les socialistes est une économie mixte, combinant un secteur privé dynamique, un secteur public efficace, des services publics de qualité accessibles à tous, un tiers-secteur d'économie sociale et solidaire.»

Et d'ajouter «que certains biens et services ne doivent pas relever du fonctionnement du marché quand ils concernent les droits essentiels. Ils font de la création et de la redistribution des richesses un enjeu majeur de l'action politique.»



Ce ralliement à l'économie de marché ne serait pas incompréhensible en soi - personne ou presque ne souhaitant plus une économie administrée sur le modèle de celles qui ont fait faillite - s'il ne reposait sur une absence complète d'analyse nouvelle de cette économie et sur une absence de distinction entre ce concept et d'autres, par exemple celui de Capitalisme ou encore de société de marché. Distinguer les trois notions, dire en quoi elles diffèrent et expliquer pourquoi l'une paraît acceptable quand les deux autres ne le seraient pas, voilà tout de même le minimum que l'on serait en droit d'attendre de ceux qui se présentent toujours comme les « descendants » de Marx, Engels, Jaurès... Mais, d'analyse, cela fait longtemps qu'au sein de la gauche européenne on n'en fait plus guère, si ce n'est pour expliquer les revers électoraux par des considérations essentiellement anecdotiques.



Pour comprendre ce qui ce qui se joue en ce moment, il faut en revenir aux origines géographiques et historiques du Socialisme. Celui-ci est né à l'ouest du continent européen au 19e siècle. Il est le résultat du développement industriel en Allemagne, en France, en Angleterre et de la montée en puissance d'une classe nouvelle, le prolétariat, à laquelle quelques intellectuels (Marx, Engels...) vont donner un rôle quasi messianique. Reprenant à son compte les idéaux humanistes des révolutions bourgeoises, le Socialisme va tendre à l'universalisme. Il nous faut bien admettre aujourd'hui qu'il n'était pourtant qu'une doctrine profondément européenne qui n'a jamais vraiment réussi à prendre pied en Amérique du nord et qui, sur les autres continents, a été interprétée selon les codes culturels et politiques des pays où elle s'est implantée. Par ailleurs, dès le début du 20e siècle, mais surtout dans sa deuxième moitié, le Socialisme a été «concurrencé » par une idéologie (non explicitée) produite directement par le capitalisme: celle de la société de consommation (étudiée par Jean Baudrillard) et de la société du spectacle (analysée par Guy Debord). C'est le mode de vie que le capitalisme semblait offrir réellement aux populations des pays développés qui a été préféré par les populations des pays pauvres à la promesse du mode de vie que laissait espérer le Socialisme et que les pays dits du «Socialisme réel» se sont évertués à pervertir. Quant aux populations pauvres des pays riches, elles paraissent de plus en plus aspirer, elles aussi, à changer de place dans la société plutôt qu'à changer de société. Comment expliquer autrement ce qui se passe en Chine, par exemple, ou encore les difficultés des partis socialistes en Europe?



Il nous faut donc admettre cette première vérité si difficile à regarder en face: le Socialisme, sous toutes ses formes, a été historiquement vaincu. Même la social-démocratie, ultime avatar du Socialisme, est caduque. Elle reposait sur un compromis historique intervenu à l'issue de la Deuxième Guerre mondiale entre le Capital et le Travail (pour reprendre la terminologie socialiste de l'époque), compromis rendu nécessaire par l'existence, à l'est de l'Europe, d'une puissance dite du «Socialisme réel». La social-démocratie a donc été, sans doute malgré elle, le moyen politique de construire une vitrine sociale du Capitalisme destinée à détourner les populations salariées d'Europe occidentale de la voie du «Socialisme réel» dont les partis communistes étaient alors les avant-gardes. La social-démocratie a donc été avant tout une «arme» contre le «Socialisme réel», un moyen de s'en prémunir. La disparition de l'Union Soviétique l'a privée de sa véritable raison d'être. Si l'on ajoute à cela que la mondialisation du capitalisme rend très difficilement tenable le compromis historique entre Capital et Travail du fait de la concurrence des pays émergents (souvent revenus du «Socialisme réel»), on se demande s'il existe encore un espace pour la social-démocratie.



Quelques chiffres suffisent à décrire l'évolution de la situation du salariat, en France, pendant les trente dernières années. Ces chiffres illustrent la régression sociale en cours. En 1982, salariés et chômeurs représentaient 84% de la population active et se partageaient 66,5% de la richesse, selon les chiffres de la Commission européenne. Ils constituent aujourd'hui 92% des actifs, mais ne perçoivent plus que 57% des richesses. La part des travailleurs dans la répartition de la richesse s'est réduite, et en outre elle est divisée entre un plus grand nombre de salariés. Pourtant, depuis 1982, la richesse créée par actif a augmenté de 30%. Que s'est-il donc passé? La réponse est simple: les gains de productivité réalisés par le travail ont été accaparés par le capital! La part du travail dans la répartition de la richesse créée est passée de 74,08% pour les années 1974-1984 à 67,54% pour les années 1997-2007.



L'idéal socialiste est donc à reconstruire sur des bases nouvelles




Est-ce à dire que les idéaux dont le Socialisme était pendant un temps le dépositaire sont morts avec lui? Certainement pas! L'aspiration à la justice sociale, à l'égalité, à la désaliénation reste chevillée à l'âme humaine, même si elle semble aujourd'hui connaître une éclipse. Cette aspiration n'est d'ailleurs pas apparue avec le Socialisme. Elle existait déjà dans l'humanisme des Lumières, et même dans le christianisme. Elle parcourt l'histoire des hommes de la Grèce antique aux Renaissances italienne et française, de la Révolution américaine à la Révolution russe en passant bien évidemment par la Révolution française. Mais à chaque fois elle s'est perdue dans les méandres des compromis nécessaires et elle a fini par se soumettre, momentanément, aux exigences de la «real Politik».

C'est parce que cette aspiration ne peut se suffire à elle-même pour exister et se concrétiser. Elle a toujours besoin d'un socle sur lequel reposer: Dieu dans le christianisme, la Nature humaine dans l'humanisme philosophique, le mouvement historique dans le Socialisme. C'est tout le sens de l'œuvre de Marx et d'Engels que d'avoir donné à cette aspiration un contenu historique et résolument scientifique. Pour eux, le Socialisme puis le Communisme sont «le mouvement réel qui abolit l'état actuel...» (voir L'idéologie allemande), et ce mouvement est le produit de la lutte des classes. Il devait aboutir nécessairement à la réalisation de cette aspiration humaine à la justice sociale, à l'égalité.



Et c'est là la deuxième réalité qu'il nous faut oser regarder en face : ce mouvement de l'Histoire n'existe pas. L'Histoire est aléatoire et son évolution peut très bien aller à l'envers de cette aspiration. Le Socialisme était donc une idéologie, un système, une doctrine... mais certainement pas un mouvement historique inéluctable porté par une classe chargée d'émanciper tout le genre humain ; et cette idéologie, ce système, cette doctrine ne reposent plus sur rien. Il faut donc commencer par rechercher quel peut bien être le nouveau socle, pour le 21e siècle, de cette aspiration humaine toujours renouvelée dans sa forme mais permanente dans son obstination à vouloir contrarier les forces de la domination, de l'aliénation et de l'exploitation de l'homme par l'homme.



S'il n'existe pas de mouvement «naturel» de l'Histoire en faveur d'une évolution socialiste des sociétés développées, il existe en revanche une responsabilité des sociétés les plus avancées à l'égard du patrimoine commun de toute l'Humanité: la Terre. Et les activités humaines, particulièrement les activités industrielles, sont en train d'altérer, peut-être d'une façon irréversible, ce patrimoine commun. Dès lors, le seul fondement possible de toute action politique visant à l'émancipation humaine de toutes les forces d'oppression, d'exploitation et d'aliénation ne peut être que la préservation de notre seule vraie richesse: la Nature.



Les questions cruciales posées par les crises énergétique, environnementale et climatique, qui n'en font qu'une, sont dans toutes les têtes. Mais personne ne semble avoir trouvé la manière adéquate de les aborder et surtout aucune solution à la hauteur des enjeux n'apparaît à la portée de nos sociétés à la fois conscientes de la gravité de la question mais incapables d'y répondre efficacement. La situation environnementale, encore plus grave que les médias veulent bien le dire, impose des choix de société fondamentaux qui sont tout à la fois le plus important enjeu politique du siècle qui vient et le cadre contraignant du nouveau projet de société à inventer.

C'est notre contrat social lui-même qui doit être repensé.



Et le contrat social est à refonder une fois encore



À intervalles réguliers, la société française a d'ailleurs été obligée de refonder son contrat social. Ce fut le cas en 1936, lorsque le développement des forces productives fut suffisamment avancé pour permettre de réorganiser le mode de vie des ouvriers, leur permettant enfin de disposer d'un peu de temps pour autre chose que le travail. Ce mouvement historique n'a cessé de se poursuivre depuis, autorisant une diminution progressive mais constante du temps de travail, celle-ci induisant une amélioration du mode de vie. Les grandes étapes de cette évolution, après 1936, ont été franchies au prix de luttes sociales et politiques en 1946, 1968, 1981. La réforme des 35 heures, entre 1997 et 2002, s'inscrit dans cette continuité. Lorsque l'on travaillait, en une vie, 120 000 heures en 1936, on en travaille encore 67.000 aujourd'hui.



Pourtant, ce formidable progrès humain, qui en libérant le temps aurait dû aussi permettre la libération de l'esprit, n'a pas été exploité dans toutes ses dimensions possibles. Il a essentiellement permis la mise en place d'une société de consommation, de loisir, du spectacle. Il n'a cependant pas permis de rompre avec le productivisme, dont le consumérisme n'est que l'autre face. La crise économique, sociale, mais aussi morale, que traverse notre société peut aussi être comprise comme la conséquence de notre inaptitude collective à faire évoluer notre contrat social dans le sens d'un progrès humain véritable.



Mais le problème plus fondamental encore, c'est que le Capitalisme est en train d'atteindre l'une de ses limites absolues, la limite découverte par Marx et Engels et dont ils ont exposé le mécanisme dans Le Capital. La loi de la baisse tendancielle du taux de profit a été ignorée, et oubliée même, depuis des décennies puisque le Capitalisme rebaptisé économie de marché semblait repousser sans fin ses limites.

Ce qu'il faut commencer par appréhender dans la situation actuelle, c'est d'abord ce qu'elle comporte de plus permanent c'est-à-dire que le Capital s'efforce de réaliser le maximum de plus-value tout en réduisant simultanément autant qu'il est possible le coût de sa production. Comme la valeur créée n'est que du travail réalisé, la masse de valeur que le Capital fait produire dépend exclusivement de la quantité de travail qu'il met en mouvement.

Autrement dit, les masses de plus-value produites sont le résultat de la quantité de travail mise en œuvre. Or, la quantité de travail nécessaire à la production d'un bien ne cesse de diminuer en raison des progrès techniques introduits dans le processus afin d'améliorer sa productivité face à la concurrence. Ainsi, à mesure que la productivité augmente, la valeur des produits chute et la grandeur relative de la plus-value réalisée par rapport au Capital investi ne cesse, quant à elle, de diminuer. Cette loi du Capitalisme explique les crises récurrentes que ce système économique engendre inévitablement.

Aux prises avec cette loi d'airain de son économie, le système a tout mis en œuvre pour en reculer les limites. Ne pouvant faire échec à son application sur le taux (le rapport), il a conçu d'en compenser les effets sur la masse (la quantité). D'où l'expansionnisme généralisé du Capitalisme, expansionnisme géographique qui a pris des formes différentes selon les époques: colonialisme, impérialisme, globalisation capitaliste.

Ce mécanisme étendu à tous les domaines de l'activité humaine est ce qui a produit, après la privatisation des entreprises nationales, l'anéantissement tendanciel des services publics, mais aussi la financiarisation de l'économie. On touche là au « génie » du Capitalisme, système capable de faire de l'argent avec de l'argent (ce qui était déjà possible avec le bon vieux système du prêt à intérêt), mais surtout avec la promesse aventurée de gains futurs.



C'est à cela que le système est confronté maintenant. À ses propres limites géographiques et pratiques, à son incapacité d'inventer de nouvelles sources de profit pour compenser la baisse irrémédiable de sa profitabilité. Et cette crise intervient de surcroît dans le contexte d'une autre crise -la plus grave sans aucun doute -: celle de l'écosystème, arrivé lui aussi aux limites de ce qu'il peut supporter. Face cette double crise qui constitue aussi le plus grand défi de toute son histoire pour l'espèce humaine, celle-ci n'a plus d'autre choix que de changer profondément et d'inventer de nouvelles façon de produire, de consommer, de vivre.



Augmenter notre capacité de production, tout en diminuant la durée du temps de travail nécessaire à cette production, ne doit pas avoir obligatoirement pour corollaire la recherche sans fin d'une augmentation de notre consommation de biens et services marchands. Une autre perspective est possible: l'éducation, la santé, la culture- si elles étaient conçues comme des valeurs non marchandes- pourraient devenir l'armature d'un nouveau modèle social, lequel imposerait au mode de production capitaliste une réorganisation spatiale et temporelle de notre société.



Il revient à la classe moyenne, majoritaire en nombre et dont le poids et le rôle économique sont déterminants, de s'approprier ce projet historique de nature à réduire la fracture qui existe dans notre société entre cette classe et les catégories sociales en difficulté. Il ne s'agit plus de trouver un simple compromis, mais véritablement de résoudre la contradiction.



Refonder notre contrat social pour réorganiser notre mode de vie, telle peut être la mission historique de la classe moyenne des pays développés. Si cette classe moyenne est privée d'un projet de nature à la structurer socialement et politiquement, c'est-à-dire susceptible de la doter d'une conscience, elle se délitera comme l'ancienne classe ouvrière dont elle est issue.



Un tel projet de société, dépassant ce qu'était le Socialisme, doit non seulement accompagner mais surtout anticiper les évolutions en cours. La crise énergétique qui s'annonce (dans moins d'un demi-siècle, les ressources en énergies fossiles seront épuisées, mettant un terme à une économie largement fondée sur leur exploitation et leur consommation), les bouleversements climatiques en rapport avec le réchauffement provoqué par la combustion des ressources fossiles, tout cela nous oblige à réinventer un mode de vie différent, plus économe des richesses de la Terre, mais surtout plus riche des potentialités du développement humain.



Mais cette façon d'appréhender la question doit être comprise pour ce qu'elle est: une représentation de la réalité sociale actuelle et non la réalité elle-même. Car, pour aller vraiment au fond des choses, il faut se demander ce qui définit aujourd'hui l'appartenance à une classe? Comment, par exemple, un travailleur précaire du secteur tertiaire, qui vit avec la moitié du salaire d'un «ouvrier», se représentera-t-il sa «place» dans la société?



Dès lors, l'enjeu de la constitution d'une conscience de classe de la classe moyenne, c'est de faire comprendre à ceux qui se considèrent comme appartenant à cette classe que, précisément, il n'y a plus tendanciellement de classe «moyenne», mais seulement en réalité une classe capitaliste dotée des attributs (techniques et symboliques) de sa domination et une classe d'employés productrice de sa survie, et susceptible - au prix d'une lutte (politique et idéologique) que le système dominant a génialement discréditée pour le moment - d'acquérir une nouvelle conscience de classe.



La réalité, c'est que capitalisme de la fin du 20e siècle et du début du 21e a simultanément transformé la société à travers une nouvelle distribution de ses acteurs et brouillé les repères symboliques qui servaient à délimiter les classes. On n'y pense plus en termes collectifs, mais en termes d'intérêts individuels ou sectoriels. La «réinstruction» de la conscience de classe passe évidemment par l'exhibition des solidarités objectives qui ont été politiquement brisées par la lutte idéologique de la classe dominante. La «Nature», en tant que ressource et bien commun confisqué, doit ainsi devenir l'objet d'une lutte politique solidaire. Il ne faut donc pas s'y tromper ; c'est cette façon de présenter les choses qui doit, au final, être utilisée dans la lutte «idéologique». C'est dire qu'il ne faut pas faire de la Nature une entité qui serait par essence transcendante à toute détermination politique. Au contraire, le combat pour la préservation de l'environnement doit devenir un élément central de la nouvelle conscience de classe à reconstituer afin de pouvoir affronter le Capitalisme en le considérant pour ce qu'il est, à savoir ce qui est en train de détruire l'environnement naturel nécessaire à la survie de l'espèce humaine.





Le nécessaire rééquilibrage dans la répartition de la richesse créée, entre le travail et le capital, ne doit donc pas -pour la classes moyenne- avoir pour effet mécanique ou systématique une augmentation quantitative de la consommation de biens et services marchands, mais plutôt une amélioration qualitative du mode de vie. C'est dire qu'il va nous falloir entrer dans un combat frontal avec le productivisme consumériste. L'idéologie de la consommation, portée à son paroxysme par l'appareil spectaculaire d'influence dont la publicité est la forme la plus aboutie, doit être combattue sans faiblesse. L'idolâtrie de la marchandise, la hiérarchie des valeurs marchandes et l'ensemble des représentations sociales portées par une «culture» à dominante audiovisuelle, doivent être conçues comme nos véritables adversaires idéologiques.



De multiples aspirations à vivre autrement existent et grandissent dans notre société et se manifestent en diverses occasions, notamment chaque fois que l'enjeu est clairement défini par le débat. Elles sont le ferment à partir duquel quelque chose de neuf peut naître. C'est à cette nouvelle mission historique que la gauche européenne, et particulièrement les partis socialistes et sociaux-démocrates, doivent maintenant s'atteler. Non qu'ils soient particulièrement préparés pour cela, mais simplement parce qu'ils représentent la part la plus importante de l'électorat progressiste et parce que, malgré leurs très graves insuffisances passées et présentes, malgré leurs reniements -pour ne pas dire leurs trahisons-, c'est encore vers eux que se tournent les salariés et plus généralement le peuple, lorsqu'il retrouve quelques raisons d'espérer.



Les Socialistes français, qui sont les héritiers d'un mouvement social et intellectuel particulièrement riche, ont une responsabilité spéciale face à cet enjeu. S'ils sont capables de s'engager dans une telle voie, alors ils résoudront à la fois leur propre crise et celle de notre monde, car, comme le disait Antonio Gramsci, grand intellectuel qui n'était ni Français ni socialiste: «la crise consiste justement dans le fait que le vieux meurt et que le neuf ne peut pas naître».
http://www.mediapart.fr/club/edition/les-invites-de-mediapart/article/011010/pour-un-nouveau-socialisme

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Mister Cyril

Message Mer 26 Jan 2011 - 22:05 par Mister Cyril

"je m'étonnais juste.. (mais j'aime être surprise...)"

tu charries ça fait au moins 40 fois que t'écris que je te surprends...(j'aimerais que ma femme en dise autant...mais c'est là un autre problème) ...

"quelles sont les influences sur le discours que le PS prépare pour les prochaines élections) "

comprends pas la question M'dam, care, club des 10, think tank, Davos...je pense sincérement qu'il ne pense qu'à la prise du pouvoir donc communication, marketink... et rien d'autres!!!! Je pense sincèrement que même la droite la plus putride a des valeurs aussi nauséabondes que tu veux mais des valeurs; le PS ne fait plus d'idéologie, donc de politique..."des feuilles mortes"!

bizz

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brusyl

Message Mer 26 Jan 2011 - 19:50 par brusyl

merci Jm pour cette information sur le "club des 10" et ses avatars...dans lesquels j'ai pu repérer un certain nombre de personnes dont la pensée m'est chère ... mais aussi un certain nombre de réseaux, notamment ce fameux Grit-Transversales que j'avais croisé à plusieurs reprises (et qui s'est sabordé il y a deux ans)

Quelques impressions sur ce club des 10 ... : à mon avis ne pas en faire un think tank au sens moderne du terme, c'est à dire une machine à fabriquer des idées et des slogans pour les partis politiques (ou à blanchir l'argent distribué par les entreprises aux partis politiques) : le centre d'étude de ce club semble bien bordé depuis le départ (je ne connais pas votre Robin... ma question à moi est : que venait faire leroi-gourhan dans cette galère ?) et surtout leur travail a abouti à des communications externes tout à fait novatrices. Rien à voir par exemple avec "le siècle" sorte de club de l'élite économique et médiatique, qui leur permet juste en interne d'échanger leurs informations afin de justement proroger leur domination. A leur différence, rien de confidentiel, de caché de secret...leurs travaux ont fait l'objet de larges communications.

En tout cas merci pour cette "mise en réseau" de toutes ces pensées...

@ mister..
nan je ne collais pas d'étiquette (à "Esprit" ou sur toi ?) , je m'étonnais juste.. (mais j'aime être surprise...)
Tu ne réponds pas à ma question (quelles sont les influences sur le discours que le PS prépare pour les prochaines élections) mais tu as raison, on n'est jamais mieux servi que par soi-même.
J'ai retrouvé le nom de cet anglais qui conseilla le "care" d'Aubry , c'est Anthony Giddens et on peut lire [url=ICI]http://www.laviedesidees.fr/Giddens-et-l-avenir-du-modele.html[/url] un bon résumé de sa pensée.... en court, comment le socialisme doit s'adapter à l'hyper capitalisme

pour le "care" : tu veux une explication linguistique ? le care, c'est le soin, dans le sens de prendre soin, s'occuper de .Tu en conclus ce que tu veux !

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Message Mer 26 Jan 2011 - 17:17 par Invité

Tu oublies Robin, le plus brillant de tous... :)

Ps. je suis sûr en plus que c'étaient tous le genre à te mettre un casque VR sur la tête histoire que tu ne meures pas idiot vis à vis de cette expérience ; des fascistes, en quelque sorte, sans doute...

La mort de la 2ème gauche 532399

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Mister Cyril

Message Mer 26 Jan 2011 - 17:09 par Mister Cyril

Qu'est-ce que Rocard (et Attali) venait foutre au milieu de tous ces intellos? Serres, Laborit, Morin , De Rosnay...putaing dire qu'il y a 2 ans il a mis sa main sur la tête de mon gosse, j'aurais du l'emplâtrer!!!

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Mister Cyril

Message Mer 26 Jan 2011 - 17:06 par Mister Cyril

"bendidon, mister, tu vas nous chercher tes références sur la revue « Esprit » ? journal des intellectuels issus du catholicisme social ?"

comme quoi ma chère c'est toi qui colle des étiquettes!!!

Perso je vais puiser des références où je les trouve pertinentes sans me soucier de la couleur idéologique, du -isme, ou du positionnement passé/futur...voilà, voilà, là il y en a pour tout le monde...je pense très trivialement que le PS a VRAIMENT abandonné toute visée politique (transformations sociétales) mais que le pouvoir a toujours de l'attrait...d'où pensée unique (qui évite de réfléchir), culpabilisation et chantage politique pour tous ceux qui sont en marge (2002, le vote utile, l'alternance...)...donc rien de nouveau...raison principale qui fait que j'ai coupé avec conviction le jeu électoraliste et les débats ad hominem ou ad partis!

Bizz

PS. Peux-tu chère lumière m'aider à combler ma grande inculture et m'expliquer le sens de ce "care" que je n'arrête pas de rencontrer sans en définir la portée fine???

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Message Mer 26 Jan 2011 - 16:40 par Invité

Pour mieux saisir d'où viennent certaines des idées de cette deuxième gauche et de Rocard, se souvenir du groupe des 10.

http://basarab.nicolescu.perso.sfr.fr/ciret/rocher/lcham.htm
http://grit-transversales.org/article.php3?id_article=195

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brusyl

Message Mer 26 Jan 2011 - 15:35 par brusyl

Bonne analyse , merci de l'avoir postée...
bendidon, mister, tu vas nous chercher tes références sur la revue « Esprit » ? journal des intellectuels issus du catholicisme social ? Du mouvement du personnalisme d'E. Mounier ? (lol !)

Je n'ai pas la culture de la gauche : je ne sais donc pas ce que peuvent être la première la deuxième gauche.

Tout ce que je constate, c'est qu'actuellement il y a une volonté au sein du PS de définir, en fonction des échéances électorales (comment battre sarkozy aux prochaines élections et ne pas revivre la catastrophe de 2002 ?) une nouvelle idéologie et un nouveau discours socialistes.... et ce que j'ai pu en lire m'inquiète beaucoup : cela est parti du « care » d'aubry cela passe par terra nova, ce think tank socialiste si politiquement correct, et arrive dans un certain nombre de bouquins qui paraissent en ce moment sur la « refondation » nécessaire de la gauche.
Je viens de lire dans le journal « Sarkophage » un entretien entre le fondateur de ce journal, Paul Aries et Sophie Heine à propos d'un livre qu'elle vient de sortir « Oser penser la gauche » . Curieusement, je retrouve chez elles toutes les idées qui m'avaient horrifiée dans l'article que tu avais posté l'autre jour sur la social-démocratie, qui sont les signes d'une influence de je ne sais qui (sans doute celui qui a influencé le "care" d'Aubry, cet ancien conseiller de Blair, dont j'ai bouffé le nom) une réactualisation, une replongée dans cette pensée libérale écossaise du XVIII°, Hume, Bentham, Locke, Smith, Mills qui a donné naissance (je mets Smith à part) à cette horrible pensée utilitariste, à ce constat préalable qu'ils font tous que la société est le point de rencontre entre les intérêts individuels et donc égoïstes et des intérets collectifs. La meilleure société sera celle qui saura concilier ces intérets divergents.. Si quelqu'un ici peut éclairer ma lanterne sur cette volte-face idéologique au sein du PS, je lui en serai reconnaissante..

Quelques petits extraits de cet affrontement Ariès/Heine

P. Ariès : Vous semblez craindre un retour de balancier qui conduirait cette nouvelle gauche que vous souhaitez à réinvestir le champs de la passion, celui de la morale, celui du coeur et des tripes. J'aime moi au contraire, me souvenir de la place des poètes dans la Résistance. Je n'aime pas cette gauche peuplée d'économistes et d'experts. Je sais bien que la passion peut être mère de nombreux … vices, mais l'assèchement de la gauche, celui de la vie, plus encore que celui de la doctrine n'est-il pas la défaite assurée ?

S. Heine : C'est une tendance que l'on observe dans plusieurs courants de gauche, radicaux comme modérés : une insistance sur des valeurs de type altruiste, telles que la solidarité, l'entraide, la générosité. Pour moi, c'est une impasse totale. La droite est bien meilleure que la gauche pour faire appel à l'émotion, car elle dispose d'un registre choc dans ce domaine : la peur des étrangers, la défense passionnée de la nation, l'esprit militariste. Vouloir lutter contre de tels arguments par des arguments « chauds » de gauche est selon moi un combat perdu d'avance (note de brusyl : où l'on constate que la recherche d'un discours n'est pas la recherche d'une politique plus juste, plus démocratique mais de pouvoir manipuler l'affectif du peuple à armes égales avec la droite... Et visiblement pour cette femme, c'est la droite qui donne le ton puisque c'est en fonction des thèmes favoris de la droite qu'elle veut modifier le discours politique de la gauche)
Les valeurs auxquelles la gauche fait appel, par leur nature altruiste, tiennent peu compte de la nature humaine et de l'évolution des sociétés. Comme nous sommes tous des êtres à la fois égoïstes et altruistes, il faut arriver à donner une interprétation de gauche à l'égoïsme individuel, surtout à une époque où la notion d'autonomie individuelle est tellement triomphante (note perso : tellement triomphante qu'on en crève !) Comment accepter voire valoriser l'individu dans une perspective de gauche ? C'est une question absolument fondamentale aujourd'hui...(....) La gauche devrait élaborer des principes qui redonnent une place centrale à l'intérêt de chacun mais en clarifiant les moyens collectifs nécessaires pour défendre celui-ci. Il n'y a en effet aucune honte à se battre pour soi-même, pour vivre mieux (note perso : le « bien-être cher aux utilitaristes) et pour choisir sa propre manière de vivre. (….)

P Ariès : Vous dites que ces idéaux ne peuvent pas être le moteur du changement social. Vous écrivez «  notre problème n'est pas de faire en sorte que ces valeurs altruistes de solidarité, justice, coopération, entraide se développent davantage dans le coeur des hommes »
Certes, il s'agit de les faire incarner dans des combats, des droits et des réalisations, mais n'est ce pas au nom de ces valeurs que l'on a institué la sécurité sociale ou que les peuples amérindiens revendiquent le « buen vivir » . Vous expliquez que « les valeurs et les idéaux faisant appel au coeur et au sentiment plutôt qu'à la raison peuvent être détournés de leurs objectifs initiaux (…) il est en effet aisé de manipuler les sentiments »
Vous avez, bien sûr raison, mais n'est-ce pas un risque nécessaire : le seul « intérêt » possible dans le cadre du système n'est-il pas aujourd'hui celui qui nous éloigne toujours plus du type de société que l'on souhaite construire ?
Un siècle de lutte pour le pouvoir d'achat a généralisé le salariat (est-il sûr qu'il a changé de statut ?) a généralisé le capitalisme en dehors même des lieux de production... Cette logique des intérêts, par peur de la folies de la passion, ne nous conduit-elle pas à la trahison (social -libéralisme) c'est à dire à adopter le point de vue de nos maîtres ? Les pauvres choisissent-ils vraiment leurs intérêts ? Pourquoi votent-ils alors à droite ? Peut-on construire un « socialisme gourmand » à partir des seuls intérêts économiques ?
S Heine : Comme je l'ai dit plus haut, mettre les intérêts au coeur du combat de la gauche ne signifie pas adopter une approche économiciste, les intérêts recouvrant un tas d'autres aspects non matériels. Cela signifie surtout qu'il faut s'adresser à l'individu et à sa part d'égoïsme, à la différence des discours centrés sur des principes altruistes tels que la solidarité ou l'entraide.. Car comment faire en sorte que le citoyen ordinaire décide de s'engager dans un mouvement ou de voter pour un parti ? Pas seulement en faisant appel à ses bons sentiments, il faut aussi comprenne que c'est dans son intérêt de s'engager collectivement pour changer la société....


etc etc.. tout est dans la même veine, l'abandon des valeurs collectives, républicaines et le virage sur l'intérêt personnel. Je ne suis bien sûr pas une idéaliste désincarnée et je comprends cette tension entre ces dimensions individuelles et collectives. Mais traditionnellement, c'est la gauche qui portait ces valeurs de solidarité... où allons-nous si elle les abandonne pour ne nous parler que du care, du bien-être, de l'intérêt personnel ?

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