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Lordon, communiste par inadvertance

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05022012

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Lordon, communiste par inadvertance
Le grand entretien, par Clémentine Autain| 10 novembre 2010
Laurent Hazgui/Fedephoto


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L’économiste Frédéric Lordon publie un essai complexe et stimulant. Connu pour ses critiques de la crise du capitalisme, il apparaît sous une facette plus théorique. Il propose une lecture des rapports salariaux incluant les affects et se livre sur son engagement


Vous êtes l’un des rares économistes à faire appel à la philosophie, à la sociologie, à la littérature... Quel est le parcours qui vous a amené à articuler ainsi les disciplines ?

Frédéric Lordon : Je suis arrivé à l’économie avec un désir vif, mais vague, d’économie critique, qui s’est instantanément reconnu dans la théorie de la Régulation que l’économiste hétérodoxe Robert Boyer enseignait dans son séminaire à l’EHESS. Inspirée du marxisme, la théorie de la Régulation n’est pas une théorie des marchés mais du capitalisme : comme quoi le seul choix de l’objet de départ change tout à ce qu’on raconte ensuite.

Ma thèse a été consacrée à chercher des formalisations mathématiques pour les phénomènes des crises endogènes du capitalisme. Mais je crois que ce qui m’a séduit d’emblée dans la Régulation, c’était son approche immédiatement pluri ou inter-disciplinaire. Il faut dire qu’il y a un enjeu stratégique monumental autour de l’interdisciplinarité de la science économique. Les économistes dominants voudraient en faire une discipline autonome, pure et surtout « dure », une sorte de physique du monde économique. Aussi cherchent-ils sans relâche des « lois de l’économie », absolument générales, invariantes, et transhistoriques : leur « gravitation universelle » à eux. A l’exact opposé, la théorie de la Régulation considère le capitalisme en ses formes institutionnelles, telles que celles-ci sont inévitablement emportées par le mouvement de l’histoire et connaissent parfois de brutales transformations : cela même qu’on appelle des crises. Or pour penser les institutions, l’économie pure ne suffit pas : il y faut de l’histoire, de l’anthropologie, de la sociologie...

Comment avez-vous rencontré Bourdieu ou Spinoza ?

F.L. : L’économie standard croit à la parfaite rationalité des agents économiques. La Régulation pense au contraire que les comportements des agents sont toujours façonnés par le cadre de structures et d’institutions dans lequel ils évoluent. Comment comprendre le rapport entre les institutions et les comportements individuels ? C’est une question qui, s’ajoutant aux affinités spontanées de deux pensées critiques, ne pouvait qu’amener les « régulationnistes » à rencontrer la sociologie de Bourdieu. Spinoza, c’est une autre affaire, qui m’est sans doute un peu plus singulière. En 2000, travaillant sur le capitalisme actionnarial, je me suis intéressé au double combat d’OPA entre la Société générale, BNP et Paribas (voir encadré). Je me demande alors quelle est vraiment la force motrice de tous ces acteurs et il m’apparaît que : contrairement à ce que raconte en boucle la théorie standard :, ça n’est pas tant la pure maximisation du profit que celle de toutes les autres forces qui sont à l’oeuvre, et qui ont à voir avec le désir de résister à l’absorption, de se maintenir dans la souveraineté, ou alors de s’étendre et de conquérir. Bref ce sont des élans de puissance. Et là j’ai une réminiscence d’une lecture ancienne : je me souviens du « conatus » de Spinoza. Le conatus, cet « effort que chaque chose déploie pour persévérer dans son être », est l’expression de ce que toute existence est fondamentalement activité, affirmation de soi et résistance à la destruction par des choses extérieures. On pourrait dire que le conatus, comme puissance, est en quelque sorte l’énergie fondamentale de toute action humaine. Mais comment, et vers quoi, cette énergie fondamentale va-t-elle diriger son effort ? La réponse de Spinoza est que ce sont les affects qui orientent nos efforts de puissance et de désir. Parler d’affects n’équivaut pas à retomber dans une psychologie plate ou molle. Ne serait-ce que parce que les affects sont pour l’essentiel des produits collectifs, sociaux, qu’ils sont formés dans les institutions et les structures. Mais il y a là des concepts incroyablement puissants pour penser le désir et les passions comme la matière même de la vie sociale.

On vous connaît surtout pour vos propositions alternatives au capitalisme comme la suppression de la bourse ou le « Slam », visant à fixer un revenu actionnarial maximum. On vous connaît moins pour votre apport théorique plus global, alliant Marx et Spinoza .

F.L . : C’est là une distorsion typique des apparitions dans les médias et l’espace public. Car l’essentiel de mon travail est précisément celui qu’on ne voit pas. Mon programme de recherche vise en effet à construire une économie politique spinoziste. Alors je prends les objets les uns après les autres. J’ai commencé par cette histoire d’OPA, puis avec André Orléan j’ai travaillé sur la monnaie, après encore sur la question générale des institutions. Mais je pensais depuis un moment qu’une science sociale spinoziste avait quelque chose à dire sur le rapport salarial. Impossible sur cette question de ne pas repartir de Marx. Mais impossible aussi d’en rester à Marx seul. Car je crois qu’il manque à Marx, en tout cas au Marx tardif, une anthropologie. Il m’a alors semblé intéressant d’enrichir le structuralisme marxien des rapports par une anthropologie spinoziste des passions, c’est-à-dire de retrouver ce qui fait se mouvoir les individus, à savoir leurs puissances de désir et leurs affects, mais toujours au sein des structures, en l’espèce celles du capitalisme. Comment les structures du rapport salarial affectent-elles les individus, quelles sont les forces passionnelles, institutionnellement mises en forme, qui déterminent les individus à se mouvoir et à travailler pour la valorisation du capital ?

Autrement dit, vous vous posez la question suivante : qu’est-ce qui fait que les salariés vont au travail ?

F.L . : La question est très exactement aussi simple que ça ! Et s’il y a une raison de la poser à nouveau c’est parce que, comme la sociologie du travail n’a pas manqué de le voir, le néolibéralisme opère un changement profond dans le régime de mobilisation des salariés. Le premier capitalisme, celui que Marx avait sous les yeux, fonctionnait à l’« aiguillon de la faim »... c’est-à dire dans un régime d’affects tristes. La grande « invention » du fordisme c’est d’avoir ajouté des affects joyeux mais extrinsèques : ceux de l’accès à la consommation élargie. Le néolibéralisme, lui, veut enrichir le rapport salarial d’affects joyeux intrinsèques, c’est-à-dire réjouir les salariés non pas par ce à quoi le travail : ou plutôt l’argent du travail : permet d’accéder, mais par le travail lui-même. Le travail va vous épanouir, le travail c’est la vraie vie : voilà la promesse de ce régime de mobilisation...

Cela vous amène à une analyse du capitalisme qui dépasse la grille du rapport capital / travail ...

F.L . : Disons plutôt qu’elle la modifie. On ne peut pas ne pas voir qu’il y a une fraction de salariat content et que ceci pose un problème au schéma bipolaire capital / travail. On ne peut donc pas simplement écarter ce problème en invoquant des effets d’idéologie. En fait, depuis la montée de ces salariés bizarres que sont les cadres : ces archétypes du salariat content et mobilisé matériellement du côté du travail mais symboliquement du côté du capital :, le schéma antagonique pur est à la peine. Je pense que le nouveau régime de mobilisation appelle davantage encore à penser plutôt en termes de continuum, et plus précisément d’un continuum d’affects : depuis les plus tristes, pour qui le travail n’est pas autre chose que le moyen de la survie, jusqu’aux plus joyeux pour qui il recèle d’intenses satisfactions. Toute la question étant celle de l’immense effort par lequel le néolibéralisme entreprend de refaçonner le désir des individus comme désir de réalisation de soi par le travail... que les entreprises se proposent précisément de combler. Et pour certains, ça marche ! Au lieu du clivage massif capital / travail, il y a donc toute la variété des situations affectives des salariés, dont certains marchent allègrement pour le capital, et d’autres pas. La situation se complique du fait que, contradictoirement, le néolibéralisme maltraite les salariés comme jamais, au moment même où, par ailleurs, il entreprend de les réjouir. Je me demande d’ailleurs si ça ne simplifie pas la situation plutôt que ça ne la complique car, en dépit de tous ses efforts, le néolibéralisme répand partout de la violence et du mécontentement. Le mécontentement devient trans-groupes sociaux et tend à recréer une configuration de polarisation. La force motrice de l’histoire du capitalisme, ça n’est donc pas le salariat tout court : c’est le salariat mécontent. Et quand le mécontentement salarial atteint un point critique, il n’est pas exclu que l’histoire se remette en marche.

Dans votre conclusion, vous vous situez du côté du communisme. D’où vient cet engagement ?

F.L . : Je crois que je suis venu à « l’idée communiste » par inadvertance, en fait, comme si j’avais été victime de mon propre jeu de mots sur la récommune. Récommune est le nom qu’on devrait donner à toute ollectivité productive : car de même que la république est la res publica : la chose publique, c’est-à-dire la chose qui appartient à tout le monde parce qu’elle concerne tout le monde :, une collectivité productive est une enclave de vie partagée et qui, comme telle, appartient à tous ceux qui la partagent : elle est donc une res communa, une récommune. Je voulais ainsi rendre plus facilement audible l’idée que, si nous reconnaissons sans difficulté la démocratie comme forme de la république, il devrait « logiquement » en aller de même pour la récommune productive. Je pense que j’ai toujours été sidéré par le fait que, dans une époque qui se gargarise d’individualisme et de démocratie, nous acceptions si facilement l’idée que l’entreprise demeure régie par des rapports médiévaux : quelques-uns commandent et les autres doivent obéir. Comment une telle incohérence, une telle injustifiable dépossession est-elle à ce point soustraite à la critique ordinaire ? C’est contre cela que l’idée de récommune est construite. Alors, après, il y a comme une irrésistible logique des mots : récommune, ça donne récommunalisme... ou récommunisme. Et c’est là que je me suis aperçu de où j’étais arrivé. Comme par ailleurs ce qu’il y a de plus intéressant dans le débat intellectuel d’aujourd’hui tient aux diverses revitalisations de « l’idée communiste », je me retrouve, de fait, peu ou prou inséré dans ce mouvement mais presque sans l’avoir cherché.

Comment envisagez-vous votre rôle d’intellectuel ? Comment articulez-vous votre travail et votre engagement ?

F.L . : D’une manière qui rend parfois un peu compliqués mes rapports avec les organisations politiques. Je pense que l’intellectuel a pour vocation la critique des institutions et des pouvoirs... ce qui suppose de se tenir à distance des institutions et des pouvoirs : du moins autant qu’on le peut car on ne peut jamais leur échapper totalement : j’appartiens bien à une institution, dont je dépends pour vivre, le CNRS. Ceci signifie que je refuse d’intervenir pour des organisations économiques privées, des institutions officielles mais aussi pour des partis, même ceux qui ont ma sympathie. Et je crois qu’il n’y a là aucune incohérence avec le fait de me sentir par ailleurs très engagé, parce que je coule mon engagement dans la division du travail : je fais ce que je peux faire et ce que je sais faire à la place qui est la mienne, à savoir produire des idées et apporter ma contribution locale au débat public. Mais pas n’importe comment ni dans n’importe quelles conditions (notamment médiatiques), et surtout en pensant que d’autres sont là pour s’emparer de ces idées, en faire ce qu’ils veulent, les diffuser à leur tour, se les approprier, etc.

Que pensez-vous de la gauche qui combat le néolibéralisme ?

F.L . : Que les forces anticapitalistes aient si peu de réussite politique en une époque où la délégitimation du capitalisme est évidente à un si grand nombre est un paradoxe qui ne laisse pas de m’interroger. Pour dire le moins.

http://www.regards.fr/idees/lordon-communiste-par-inadvertance
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Lordon, communiste par inadvertance :: Commentaires

Donald11

Message Dim 12 Fév 2012 - 15:03 par Donald11

Je préfère le "Pas vu pas pris" de Pierre Carles.
Sinon, je pense que ces documentaires sont salutaires et laissent une certaine impression de liberté d'expression, mais ... Dans la salle du cinéma, il y avait une cinquantaine de spectateurs, tous plus ou moins déjà informés. Et puis il y avait le réalisateur Gilles Balbastre et un autre journaliste dont j'ai perdu le nom pour animer un mini débat à la fin du film. Il y avait même deux jeunes toulousains qui n'avaient sans doute pas bien compris et qui revenaient là pour une deuxième séance. Faut dire aussi qu'il a fallu un sacré courage à la cinquantaine de valeureux présents car il ne faisait pas très chaud dans la salle durant tout le temps de la projection et le débat, et glacial dehors, avec un blizzard à décorner les cocus !!!
Cinquante ! sur une vingtaine de millions d'électeurs potentiels !!! Enfin, c'est mieux que rien. C'est même un record par rapport à des séances réunissant six clampins dans l'obscure salle !!!

Pour plus de détail ...

Bon dimanche.

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brusyl

Message Sam 11 Fév 2012 - 21:46 par brusyl

ravie de voir que Lordon remonte un peu dans ton estime !
aloooors ? c'était comment le film ?

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Donald11

Message Sam 11 Fév 2012 - 13:51 par Donald11

En complément de mon précédent commentaire, Lordon apparait souvent comme témoin dans le documentaire "les nouveaux chiens de garde". Et il y semble plutôt inspiré. Mais je connais mieux le monde ouvrier que le monde journaleustique.

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Donald11

Message Mar 7 Fév 2012 - 23:28 par Donald11

brusyl a écrit:pas de blème, je ne la ramènerai plus avec Lordon, je continuerai ma petite fiche de lecture pour moi. (je viens d'ailleurs de trouver un très bon article d'analyse de son bouquin ici : http://regulation.revues.org/index9110.html)
Ta réaction est excessive. Je n'ai pas écris que ça ne m'intéressait pas, mais que j'ai du mal avec des gens qui dissertent sur des populations qu'ils n'ont jamais rencontrées. Et je pense que Lordon est dans ce cas. C'est pour ça que j'ai cité bourdieu
Ducky j'ai une question pour toi : je sens de ta part une incompréhension voire un agacement vis à vis de ces gens qui travaillent avec leur tête plus qu'avec leurs mains. Pourquoi ?
L'agacement que tu ressens, c'est vis-à-vis de gens, de quelques natures qu'ils soient, paysans, ouvriers, intellos, enseignants, patrons, toubibs, etc, qui s'autorisent à discourir sur ce qui est bon ou mauvais pour des populations qu'ils n'ont jamais rencontrées ... (bis repetita) et plus généralement sur toute chose, pour en faire des généralisations et en tirer des conclusions.

En résumé, le discours de Lordon me donne l'impression d'être un discours d'intello qui ne sait rien sur le fond des sujets dont il parle.

Pour imager cela, je vais prendre un autre exemple : j'ai eu un patron de service informatique qui n'y comprenait que pouic à l'informatique, mais qui était capable de tenir une conférence sur nimporte quel sujet informatique. Il se servait de moi pour combler les vides quand les questions entraient un peu trop dans les détails techniques. Pendant ce temps, souvent assez court, où j'intervenais, il remodelait le fil de sa pensée, pour rebondir sur son discours. Tout ça était très théorique, et suffisament bien tourné pour épater une salle remplie de décideurs n'y connaissant pas grand chose. Quand je lis du Lordon, je pense à mon ami Patrick.

Oui il faut de tout pour faire un monde, des manuels (mais on a tendance à l'oublier, parce que ouvrier c'est caca), des intellos, des profs, des toubibs, mais pas nécessairement des Bernard Arnaut ... Pour moi, y'a pas de plus méritants que d'autres, y'a seulement des humains. Et mon utopie à moi, c'est de voir tous les terriens manger à leur faim, boire à satiété (de l'eau), et vivre sans le souci du lendemain, sans les risques de l'amiante, sans la silicose, sans fukushima, sans la guerre, sans la haine ... et comme ils l'entendent.
Et sans étiquette préétablie ...
J'ai fait mon chemin sans haine ... même si je grogne un peu quelquefois ...

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Mister Cyril

Message Mar 7 Fév 2012 - 21:50 par Mister Cyril

"je rêve d'un jour où intellectuels, ouvriers, employés, cadres moyens sup,chômeurs se décideront enfin à travailler ensemble à un monde meilleur.."

Et Sartre on t'a reconnu; non joli témoignage Bru mais c'est vrai que le pur manuel (petit soldat) comme le pur intello (qui parle au nom d'une classe à laquelle il n'appartient pas) c'est toujours incomplet.Après si tu mets tes compétences au service du prol...d'une juste cause c'est parfait ma belle!

(perso que tu me résumes Lordon ça m'intéresse vraiment car j'apprécie vraiment le personnage...et si ça pouvait m'éviter l'intégralité du bouquin hé hééééééé!)

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brusyl

Message Mar 7 Fév 2012 - 21:42 par brusyl

pas de blème, je ne la ramènerai plus avec Lordon, je continuerai ma petite fiche de lecture pour moi. (je viens d'ailleurs de trouver un très bon article d'analyse de son bouquin ici : http://regulation.revues.org/index9110.html)

Ducky j'ai une question pour toi : je sens de ta part une incompréhension voire un agacement vis à vis de ces gens qui travaillent avec leur tête plus qu'avec leurs mains. Pourquoi ?

Il me semble qu'il faut de tout, et je rêve d'une société où chacun aura ses compétences, intellectuelles ou manuelles sans qu'il y ait de supériorité des uns sur les autres. Pourquoi les manuels seraient plus méritants ? parce qu'ils galèrent ? mais les intellectuels aussi peuvent galérer : je te donne mon exemple : je suis d'éducation, de tradition et de culture plutôt du côté des intellectuels. C'est ainsi, ce n'est pas un mal, ce n'est pas un bien c'est ainsi, je n'y suis pour rien, c'est le bagage que l'on m'a donné. Et en quoi cela devrait me faire classer parmi les improductifs, ceux qui vivent sur le dos des autres ?
Et question galère, je crois que j'ai donné, que je donne et que cela ne s'arrangera pas avec le temps : je vis au jour le jour une situation bien plus précaire que vous. Là aussi, c'est ainsi, je n'en souffre pas plus que cela car j'ai trouvé une façon de vivre, un idéal qui font que tout cela est bien secondaire, un chemin de sobriété qui fait sens pour moi : et je remercie en fait les circonstances qui m'ont offert de pouvoir me confronter à ces situations difficiles au lieu de me laisser végéter dans mon petit cocon bien secure, et je remercie les quelques instruments intellectuels( et spirituels) que m'ont légués mes parents qui m'ont permis d'avoir prise sur ce réel, de le dominer , de ne pas laisser m'engloutir par lui dans la déprime, l'amertume.

Voilà, désolée de cette petite confession, elle m'a fait du bien car dans ce chemin du détachement que j'ai entrepris, cela me fait toujours mal de voir ainsi les gens catalogués que ce soit selon une grille de droite ou de gauche et je rêve d'un jour où intellectuels, ouvriers, employés, cadres moyens sup,chômeurs se décideront enfin à travailler ensemble à un monde meilleu, plus juste, plus égalitaire . C'est en cela d'ailleurs que la réflexion de Lordon m'avait intéressée au plus haut point dans son livre : comprendre où se situent les résistances à cette libération de la vie sociale.

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Donald11

Message Mar 7 Fév 2012 - 20:12 par Donald11

Je me demande si, pour affiner sa pensée, il ne faudrait pas envoyer Lordon sur un chantier autoroutier roumain, avec une pelle, une pioche et un casque sur le crâne, et 300 euros pour boucler environ 30 jours d'affects joyeux (au fond de la tuica !). Il finirait sans aucun doute par un conatus interruptus, et les mains gercées !!!

Merci pour le décodage chère amie, car je suis sur de perdre patience à la lecture de l'ouvrage. Bourdieu a eu au moins le courage et la patience de descendre interviewer le peuple d'en bas pour écrire son bouquin ...

Je pense que la Liberté, par exemple, est un concept de bourge ou de nanti au ventre plein.

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brusyl

Message Mar 7 Fév 2012 - 0:19 par brusyl

Je me suis coltinée toute la lecture de son bouquin (capitalisme, désir et servitude)... Et c'était pas de la tarte !
Alors j'ai pas compris grand chose Country à ce que tu reproches à Lordon :
1) pas lu chez lui de définition du conatus comme volonté de puissance ni volonté vers plus de puissance, mais comme énergie vers la poursuite de son désir
2) je n'ai pas lu non plus de relation entre institutions et affects
3) Il y a bien dans son livre ce distingo cadre/salarié, mais non entendu comme un simple antagonisme bipolaire, mais comme une succession en chaîne de rapports subordonnant /subordonnés et d'individus tenus par leur intérêt
4) Tu lui reproches de ne pas mener jusqu'au bout sa réflexion sur mécontentement et acceptation il la développe sur de nombreuses pages, toute sa dernière partie en fait : "domination, émancipation"
5) son développement sur la récommune n'est pas "sociotraitre" et n'a rien à voir avec l'entreprise capitaliste et tout avec l'auto-gestion. (mais tiens, tu as effacé cette critique ou c'est moi qui ai eu la berlue tout à l'heure quand j'ai lu cela ?)

Alors si cela vous dit, je peux essayer de vous résumer ce que moi j'ai retenu de son livre, qui est bien plus riche bien sûr que ce qu'en résume cette petite interview : je reprends le bouquin et si cela vous dis, je vous en fais un petit résumé, cela me rappellera mes fiches de lecture d'autrefois.
Ne vous sentez pas obligés de lire...

Déjà mis du temps à comprendre le concept de conatus (le mot me plait bien, il a un je-ne -sais quoi d'érotique) mais après tout un tas de circonvolutions autour de ce mot, Lordon revient à une définition toute simple : c'est la force d'exister or qu'est ce qui donne cette énergie, cette force de se mettre en mouvement, c'est le désir ou plutôt la poursuite de son désir
Pourquoi, se demande-t'il , y a t'il enrôlement du désir, c'est à dire la poursuite d'un désir qui n'est pas à soi mais celui du patronat qui mobilise au service de son désir la puissance d'agir des autres et comment cet enrôlement du désir arrive ainsi à structurer les rapports sociaux ? (bien sûr, cet enrôlement du désir dépasse le strict cadre économique et régi tous les rapports sociaux)

- Le premier de ces désirs est celui de l'argent, que distribue l'employeur, tout d'abord où il étudie tous les processus d'accentuation de la division marchande du travail (en suivant plus Polanyi que Marx) et le rôle de l'argent devenu le point de passage obligé de ce désir basal de reproduction matérielle, l'opérateur unique de la valeur, un condensé de tous les biens à la fois dans sa représentation objective et subjective .

mais si le rapport employeur salarié ne restait que dans ce domaine de l'argent, nous ne serions uniquement dans un rapport de domination , de servitude volontaire.. or (Lordon détruit La Boétie en beauté !) cela n'explique rien du tout : si nous nous savons libre, autonome, comment pouvons-nous « vouloir » vivre dans cet état d'asservissement ? Pourquoi cette aspiration à la liberté persiste à rester inaccomplie ? Spinoza donne la réponse : le conatus est à l'origine un désir sans objet : c'est notre mémoire, nos associations c'est à dire notre disposition à nous souvenir, à lier, à imiter qui vont donner un sens à nos désirs. Nos désirs sont donc formatés par nos affects et nos passions : il y a hétéronomie profonde entre désir et affects.La servitude volontaire n'existe pas, il n'y a de servitude que passionnelle.

Retour à l'entreprise...

Le rapport de domination travailleur capitaliste dit Lordon est beaucoup moins simple que l'antagonisme bipolaire dont Marx a fait l'analyse : car nous vivons dans une chaîne hiérarchique à niveaux multiples qui font de nous des dominants/dominés, car chacun est sous des ordres en même temps qu'il donne des ordres: c'est la structure hiérarchique de la servitude, qu'avait bien vue La Boétie. Et l'effet de cette densification sociale est de réguler les comportement individuels, de les pousser à régler cette violence des rapports par la stratégie et compromis pour attendre l'objet de leur désir, car rompre avec la chaîne est le plus sûr moyen de perdre les biens convoités, c'est rompre avec ceux par qui passe la poursuite de ces biens. A cette violence interne s'ajoute une violence externe :l'exigence « d'en haut » de dégager une rentabilité des capitaux sans comparaison avec les normes du capitalisme antérieur, un gain de productivité à tous les échelons qui sera converti en dividendes supplémentaires pour l'actionnaire (long développement sur cette violence économique)
Voilà pour les affects tristes.

Mais dit Lordon, ceux-ci ne peuvent expliquer à eux seuls l'extraordinaire persistance du capitalisme. Si les salariés se tiennent à ce rapport de domination ce n'est pas uniquement sous l'effet de la contrainte et de la violence, mais parce qu'ils y trouvent un certain compte, c'est à dire la réalisation d'affects joyeux.


Voilà, j'en suis à la page 50 (sur 200) je continue ou vous implorez grâce ?

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Mister Cyril

Message Lun 6 Fév 2012 - 22:32 par Mister Cyril

country skinner a écrit:
entre les 2 je n'ai pas pipé un mot...
Po grave, l'essentiel est dans les deux dernières lignes de chaque paragraphe... In cauda venenum, et toutes ces sortes de choses...

Oui mais "ignoti nulla cupido" et toutes ces sortes de choses...A+ Countrysius!

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country skinner

Message Lun 6 Fév 2012 - 21:21 par country skinner

entre les 2 je n'ai pas pipé un mot...
Po grave, l'essentiel est dans les deux dernières lignes de chaque paragraphe... In cauda venenum, et toutes ces sortes de choses...

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Mister Cyril

Message Lun 6 Fév 2012 - 21:17 par Mister Cyril

Bein dis-donc ma Bru il a fallu un bon viel article sur le marxisme pour nous débusquer notre Ratounet des Alpes (on n'attrape pas un anar avec de la Vittel)...d'ailleurs je suis d'accord avec son 1er paragraphe

"Pour penser les institutions, l’économie pure ne suffit pas : il y faut de l’histoire, de l’anthropologie, de la sociologie... et surtout au préalable une analyse critique de la dimension idéologique de ces sciences "molles" particulièrement sensibles à l'idéologie dominante... tout comme l'économie telle qu'elle est enseignée dans les appareils d'état dans les systèmes libéraux..."

puis à la fin il me semble que l'on dit la même chose sur le temps long de l'idéologie...mais entre les 2 je n'ai pas pipé un mot...

Pas grave toujours content de te lire, grand idéologue, et je me disais que même si des gars comme Lordon ne sont pas des purs et durs, il y a encore 5 ans sortir le mot communiste provoquait au mieux des quolibets, du goudron et des plumes, voire un crucifix et une gousse d'aïl! Alors j'irai pas jusqu'à dire que l'on est dans le sens de l'Histoire...mais continuons le combat: idéologique, politique, propagandaire, dialectique, subversif...et même les contrepèts à la con si tu veux, et pourquoi pas au subjonctif imparfait pour faire plaisir à tout le monde!

Salutations à tous!

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country skinner

Message Lun 6 Fév 2012 - 17:26 par country skinner

Lordon, le marxisme et le spinozisme ... Etonnant, étonnant, non ?

Etonné, étonné (je pastiche volontiers Alphonse Allais), je me prends cinq minutes pour lire en diagonale, et voir un peu ce qui saute aux yeux d'un intellectuel (qui a pour vocation la critique des institutions et des pouvoirs - je partage et j'ajoute aussi des discours de ceux qui participent à ces institutions et leur pouvoir... comme Lordon... ou comme moi hé hé...)

Pour penser les institutions, l’économie pure ne suffit pas : il y faut de l’histoire, de l’anthropologie, de la sociologie... et surtout au préalable une analyse critique de la dimension idéologique de ces sciences "molles" particulièrement sensibles à l'idéologie dominante... tout comme l'économie telle qu'elle est enseignée dans les appareils d'état dans les systèmes libéraux...

Aaaah le conatus spinozien (effort que chaque chose déploie pour persévérer dans son être), cette vieille idée ontologique des présocratiques déjà et que Nietzsche allait ensuite de son coté résumer comme Wille ZUR Macht, c'est à dire comme orientation de la volonté VERS plus de puissance (et non volonté DE puissance). Mais au delà de cette dimension ontologique (l'être est volonté VERS la puissance), comment l' analyser dans un contexte social ? La réponse de Spinoza est que ce sont les affects qui orientent nos efforts de puissance, qui sont pour l’essentiel des produits collectifs, sociaux, qu’ils sont formés dans les institutions et les structures... Et ces institutions et structures, tombées du ciel ?... ou sécrétées par un état économique particulier et notamment par ses rapports de production ? Marx ne disait pas autre chose quand il parlait du lien entre le moulin et la féodalité...

Quant au projet d'enrichir le structuralisme marxien des rapports par une anthropologie spinoziste des passions, c’est-à-dire de retrouver ce qui fait se mouvoir les individus... Au bémol près de la remarque précédente (les instituitions fondent les affects, mais qu'est-ce qui fonde les institutions ?), j'ai renonçé à lire plus avant en constatant que Lordon mélange dans la même réflexion les notions de travail, de salariat et d'emploi... Un simple retour à la notion de production lèverait la pseudo ambiguité de l'emploi cadre et de sa relation aux emplois de production dans le système salarial : Un cadre ne produit pas, il fait produire... Idem sur le salariat "mécontent", idée présentée comme allant plus loin que l'analyse salariat-capital marxiste, mais qui ne se révèle à l'analyse que comme un pseudopode social-traitre ne contenant rien d'autre que la nécessité d'un partage "équilibré" (mais modéré bien sur) de la plus value

Sinon, sur le plan strict del'action politique, je rejoins Lordon et ses réflexions sur le neolibéralisme comme maltraitance et violence organisée envers le salariat, le "récommunisme" (jolie formule) et le constat (que Lordon ne mène pas jusqu'au bout) du mécontentement qui ne débouche sur aucune revendication révolutionnaire. Mais quand on tient le travail de l'idéologie dominante (force majoritaire instrumentalisée) pour un mécanisme sans importance parce que sans effet ("On ne peut donc pas simplement écarter ce problème en invoquant des effets d’idéologie"), on peut effectivement conclure : "Que les forces anticapitalistes aient si peu de réussite politique en une époque où la délégitimation du capitalisme est évidente à un si grand nombre est un paradoxe qui ne laisse pas de m’interroger".
Peut-on appeler légitimement "anticapitaliste" un produit sans vrais morceaux de critique idéologique dedans ? Allez Lordon, fais moi plaisir, reprend donc un peu de Marx, Habermas, Althusser, Vaneigem et Debord...

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Donald11

Message Lun 6 Fév 2012 - 12:55 par Donald11

Clémentine n'épluche pas assez les réponses de Lordon dans cette interview à la gloire de Lordon ... qui n'en finit pas de s'interroger lui-même !

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Mister Cyril

Message Dim 5 Fév 2012 - 23:09 par Mister Cyril

"Rentre dans ta maison F.Lordon...", l'"idée communiste" qui est relancée par Badiou...mais avec sa phraséologie ça passe moins bien c'est sûr!

La conclusion est bien sûr édifiante...
"Que les forces anticapitalistes aient si peu de réussite politique en une époque où la délégitimation du capitalisme est évidente à un si grand nombre est un paradoxe qui ne laisse pas de m’interroger. Pour dire le moins."

Temps long de l'idéologie (entre autres)...

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