LES BARBARES RAFFINÉS
Page 1 sur 1
30012009
LES BARBARES RAFFINÉS
Siné Hebdo du 28 janvier 2009
Dominique Femandez vient de faire paraître une volumineuse étude sur son père dont la thèse est qu'il fut collaborationniste notoire bien qu'intellectuel haut de gamme. D'avoir été critique littéraire, ami des grands noms du moment, auteur d'études sur Molière ou Gide, Proust et Mauriac, d'avoir été Prix Femina en 1932, d'avoir siégé au comité de lecture des éditions Gallimard, voilà qui devrait dispenser d'épouser des causes indéfendables ! Quelle idée saugrenue d'imaginer que l'intelligence prémunit de la barbarie, que la culture empêche la méchanceté, que le raffinement interdit d'être une brute !
Quand BHL rapporte les émois de son ego sous prétexte de commenter pour le flouter le passage à tabac des Palestiniens par l'armée israélienne, il détaille dans le JDD (tiens, pourquoi plus Le Monde ?) qu'il a vu, de ses deux yeux vu, Ehud Barak «dans ce salon tout en longueur, qui semble construit autour de deux pianos dont il joue en virtuose», de sorte qu'ainsi il donne lui aussi dans ce lieu commun qui consiste à croire qu'un homme qui joue du piano (voire de deux pianos...) ne peut pas être complètement mauvais.
L'histoire du XXéme siècle est pourtant pleine de gens intelligents, cultivés, qui ont mis tout leur talent, sinon leur génie, à justifier l'injustifiable. Combien de ces brillants sujets légitiment le camp de concentration, pourvu qu'il soit communiste ; la peine de mort, quand elle est pratiquée au nom du prolétariat ; la terreur aveugle et le massacre de victimes civiles, si la bombe est allumée avec une allumette politiquement correcte ; la parodie de justice, pourvu qu'elle se joue dans le cadre d'une justice révolutionnaire prétendument populaire ? Sartre en acteur emblématique des gaîtés de cet escadron-là...
Faut-il rappeler que Goebbels avait soutenu une thèse sur un écrivain romantique, qu'il écrivait des poèmes, des essais et un roman ? Doit-on inviter à relire La Longue Marche de Simone de Beauvoir, agrégée de philosophie, pour mesurer l'étendue de la forfaiture chez cette femme qui encense la Chine communiste barbelée et policière en publiant en 1957 qu’ «aucun citoyen en Chine n'est inquiété pour ses "opinions» (page 366 pour les sceptiques) ? Et que dire de Heidegger, titulaire d'une carte au parti nazi de 1933 (avant c'est impossible...) jusqu'à 1945 (après ça n'est plus possible...) bien que philosophe ?
Aujourd'hui que triomphe le politiquement correct à droite comme à gauche, les indignations sont sélectives : on ne passe pas à Brasillach l'éloge du crime politique que l'on justifie chez Sartre et l'on condamne le goût de Drieu la Rochelle pour Hitler mais on tolère celui d'Aragon pour Staline. Non qu'il faille justifier l'ordure de l'un pour légitimer celle de l'autre, mais parce qu'il faudrait en finir avec l'idée qu'on puisse distinguer une bonne d'une mauvaise ordure. Une ordure n'est ni bonne ni mauvaise, c'est une ordure. Et toutes les contorsions intellectuelles n'y feront rien : on peut être cultivé et barbare. Ceux-là portent la barbarie à des degrés de raffinement intellectuel inédits – c'est tout...
Michel Onfray
Dominique Femandez vient de faire paraître une volumineuse étude sur son père dont la thèse est qu'il fut collaborationniste notoire bien qu'intellectuel haut de gamme. D'avoir été critique littéraire, ami des grands noms du moment, auteur d'études sur Molière ou Gide, Proust et Mauriac, d'avoir été Prix Femina en 1932, d'avoir siégé au comité de lecture des éditions Gallimard, voilà qui devrait dispenser d'épouser des causes indéfendables ! Quelle idée saugrenue d'imaginer que l'intelligence prémunit de la barbarie, que la culture empêche la méchanceté, que le raffinement interdit d'être une brute !
Quand BHL rapporte les émois de son ego sous prétexte de commenter pour le flouter le passage à tabac des Palestiniens par l'armée israélienne, il détaille dans le JDD (tiens, pourquoi plus Le Monde ?) qu'il a vu, de ses deux yeux vu, Ehud Barak «dans ce salon tout en longueur, qui semble construit autour de deux pianos dont il joue en virtuose», de sorte qu'ainsi il donne lui aussi dans ce lieu commun qui consiste à croire qu'un homme qui joue du piano (voire de deux pianos...) ne peut pas être complètement mauvais.
L'histoire du XXéme siècle est pourtant pleine de gens intelligents, cultivés, qui ont mis tout leur talent, sinon leur génie, à justifier l'injustifiable. Combien de ces brillants sujets légitiment le camp de concentration, pourvu qu'il soit communiste ; la peine de mort, quand elle est pratiquée au nom du prolétariat ; la terreur aveugle et le massacre de victimes civiles, si la bombe est allumée avec une allumette politiquement correcte ; la parodie de justice, pourvu qu'elle se joue dans le cadre d'une justice révolutionnaire prétendument populaire ? Sartre en acteur emblématique des gaîtés de cet escadron-là...
Faut-il rappeler que Goebbels avait soutenu une thèse sur un écrivain romantique, qu'il écrivait des poèmes, des essais et un roman ? Doit-on inviter à relire La Longue Marche de Simone de Beauvoir, agrégée de philosophie, pour mesurer l'étendue de la forfaiture chez cette femme qui encense la Chine communiste barbelée et policière en publiant en 1957 qu’ «aucun citoyen en Chine n'est inquiété pour ses "opinions» (page 366 pour les sceptiques) ? Et que dire de Heidegger, titulaire d'une carte au parti nazi de 1933 (avant c'est impossible...) jusqu'à 1945 (après ça n'est plus possible...) bien que philosophe ?
Aujourd'hui que triomphe le politiquement correct à droite comme à gauche, les indignations sont sélectives : on ne passe pas à Brasillach l'éloge du crime politique que l'on justifie chez Sartre et l'on condamne le goût de Drieu la Rochelle pour Hitler mais on tolère celui d'Aragon pour Staline. Non qu'il faille justifier l'ordure de l'un pour légitimer celle de l'autre, mais parce qu'il faudrait en finir avec l'idée qu'on puisse distinguer une bonne d'une mauvaise ordure. Une ordure n'est ni bonne ni mauvaise, c'est une ordure. Et toutes les contorsions intellectuelles n'y feront rien : on peut être cultivé et barbare. Ceux-là portent la barbarie à des degrés de raffinement intellectuel inédits – c'est tout...
Michel Onfray
Donald11- Admin
- Nombre de messages : 2693
Date d'inscription : 19/07/2008
Age : 72
Localisation : Sud ouest (magret et foie gras)
LES BARBARES RAFFINÉS :: Commentaires
"Pourquoi ce besoin d'étiqueter chacun ?"
Bein parce que j'ai lu des textes de lui qui s'en dire le contraire nuançaient celui-ci;..et que la "trame" intellectuelle d'un écrivain ça m'intéresse...mais on peut faire la pucelle effarouchée du style "moi je juge les gens sur leurs actes sans parti-pris, objectivement..." voilà désolé mais je ne souscris pas à ce genre de phrase
"Une ordure n'est ni bonne ni mauvaise, c'est une ordure.";..il y a des "naïvetés" qui me semblent "dangereuses"...
Après mon Donald bien-sûr que toi aussi je te mets une étiquette, c'est à dire une représentation mentale d'un personnage virtuel;..mais image non-figée qui évolue selon nos échanges (et c'est la négation de ce processus qui me fait peur); d'ailleurs l'autre jour avec Brusyl on s'est amusés à ce décrire "physiquement" c'était drôle et erroné...
Bein parce que j'ai lu des textes de lui qui s'en dire le contraire nuançaient celui-ci;..et que la "trame" intellectuelle d'un écrivain ça m'intéresse...mais on peut faire la pucelle effarouchée du style "moi je juge les gens sur leurs actes sans parti-pris, objectivement..." voilà désolé mais je ne souscris pas à ce genre de phrase
"Une ordure n'est ni bonne ni mauvaise, c'est une ordure.";..il y a des "naïvetés" qui me semblent "dangereuses"...
Après mon Donald bien-sûr que toi aussi je te mets une étiquette, c'est à dire une représentation mentale d'un personnage virtuel;..mais image non-figée qui évolue selon nos échanges (et c'est la négation de ce processus qui me fait peur); d'ailleurs l'autre jour avec Brusyl on s'est amusés à ce décrire "physiquement" c'était drôle et erroné...
Ce qui m'a paru le plus important, ou le plus intéressant, c'est sa conclusion :
"Non qu'il faille justifier l'ordure de l'un pour légitimer celle de l'autre, mais parce qu'il faudrait en finir avec l'idée qu'on puisse distinguer une bonne d'une mauvaise ordure. Une ordure n'est ni bonne ni mauvaise, c'est une ordure. Et toutes les contorsions intellectuelles n'y feront rien : on peut être cultivé et barbare. Ceux-là portent la barbarie à des degrés de raffinement intellectuel inédits – c'est tout.."
Et je suis tout à fait d'accord avec celle-ci.
Mon cher Skin, j'avais fait abstraction des concepts idéologiques de M. Onfray. Et puis quelqu'un qui s'épanche dans Sine Hebdo ne peut pas être foncièrement mauvais ...
Brusyl, je suis tout à fait d'accord avec toi, ma chère amie. Et un bisou au passage ...
Mon cher Cyril, ta réponse m'a donné l'impression que tu as lu un peu vite le texte d'Onfray. Je m'en fous un peu de ses croyances et tendances passées ... Pourquoi ce besoin d'étiqueter chacun ?
Un jour tu me liras ce que tu as écrit sur mon étiquette ?
A bientôt
"Non qu'il faille justifier l'ordure de l'un pour légitimer celle de l'autre, mais parce qu'il faudrait en finir avec l'idée qu'on puisse distinguer une bonne d'une mauvaise ordure. Une ordure n'est ni bonne ni mauvaise, c'est une ordure. Et toutes les contorsions intellectuelles n'y feront rien : on peut être cultivé et barbare. Ceux-là portent la barbarie à des degrés de raffinement intellectuel inédits – c'est tout.."
Et je suis tout à fait d'accord avec celle-ci.
Mon cher Skin, j'avais fait abstraction des concepts idéologiques de M. Onfray. Et puis quelqu'un qui s'épanche dans Sine Hebdo ne peut pas être foncièrement mauvais ...
Brusyl, je suis tout à fait d'accord avec toi, ma chère amie. Et un bisou au passage ...
Mon cher Cyril, ta réponse m'a donné l'impression que tu as lu un peu vite le texte d'Onfray. Je m'en fous un peu de ses croyances et tendances passées ... Pourquoi ce besoin d'étiqueter chacun ?
Un jour tu me liras ce que tu as écrit sur mon étiquette ?
A bientôt
Le nazi raffiné est une constante du cinéma hollywoodien. Il y en a un pastiche hilarant par Villeret dans "Papy fait de la résistance"le "gentil" SS est toujours celui qui s'installe au piano
Sinon faut exécuter tous les staliniens par décapitation à la hache de bucheron, mais avec en fond sonore un lied de Haendel au piano... c'est plus korrekt ya !
Pour Onfray, j'ai apprécié la plupart de ce qu'il a écrit, notamment dans le cadre des universités populaires, mais je me sens de moins en moins en harmonie avec son concept d'anarchisme hédoniste (un existentialisme épicurien ?) qui hume de plus en plus l'individualisme stirnérien (ah les règlements de comptes de Marx avec Proudhon, Stirner et Bakounine lors de la 1e internationale... un western épique, comment Hollywood n'a jamais pensé à en faire un film ?)
Effectivement le barbare cultivé peut "apparaître" un peu moins sanguinaire que le barbare inculte : avez vous remarqué ainsi que dans tous les films sur la seconde guerre mondiale, le "gentil" SS est toujours celui qui s'installe au piano de la maison qu'il a réquisitionnée ?
Tout à fait d'accord avec toi mister ! Ainsi Sartre a débité des conneries plus grosses que lui, spécifiquement dans la période où il était très engagé dans le combat marxiste ("tout anti-communiste est un chien"...... un exemple parmi tant d'autres)culture et "intelligence" ne sont pas des garanties de choix politiques pertinents
Je ne crois pas qu'il fasse cette comparaison : il essaie simplement de démontrer qu'une "ordure est une ordure" qu'elle soit de droite comme de gauche....alors que dans une certain milieu politique, on a souvent été plus indulgent vis à vis de certaines boucheries communistesOnfray nous gratifie d'un truisme comme quoi un criminel nazi=un criminel coco
C'est vrai culture et "intelligence" ne sont pas des garanties de choix politiques pertinents...sinon Country serait-il trader et - encore- anarchiste à son âge, brusyl "bayrouiste"-centriste...j'en passe et d'autres...
Plus sérieusement Onfray nous gratifie d'un truisme comme quoi un criminel nazi=un criminel coco, certes...mais cette mode de renvoyer dos à dos ces 2 camps pour légitimer le statut-quo Libéral (qui lui n'a pas de sang sur les mains)...il y a un moment qu'Onfray ne sait plus où se placer (voir ses errements politiques ces 2 dernières années).
Plus sérieusement Onfray nous gratifie d'un truisme comme quoi un criminel nazi=un criminel coco, certes...mais cette mode de renvoyer dos à dos ces 2 camps pour légitimer le statut-quo Libéral (qui lui n'a pas de sang sur les mains)...il y a un moment qu'Onfray ne sait plus où se placer (voir ses errements politiques ces 2 dernières années).
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum