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La situation des travailleurs japonais

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09022009

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La situation des travailleurs japonais Empty La situation des travailleurs japonais




http://www.lariposte.com/-La-situation-des-travailleurs-japonais0.html

Nous publions ci-dessous l’article d’un militant japonais qui donne un aperçu très intéressant de la situation de la classe ouvrière japonaise, qui est frappée de plein fouet par la crise économique, et ce depuis des années. A noter que le Parti Communiste Japonais (PCJ), désormais la principale force de la gauche japonaise, connaît ces derniers temps une vague de soutien et d’adhésion significative, en particulier parmi les jeunes.

Les « réfugiés des cybercafés »

D’après une enquête inédite sur les « réfugiés des cybercafés », commanditée par le Ministère du travail et de la protection sociale, il s’est avéré que les cybercafés du Japon abritent 5400 réfugiés. Sur 3246 cafés interrogés, 1173 ont répondu. D’après l’analyse du ministère, il y a environ 5400 sans-abris dans les cybercafés. Parmi eux, 2700 sont des travailleurs précaires, 1300 sont des chômeurs en recherche d’emploi, 900 sont des chômeurs qui ne cherchent pas d’emploi et 300 sont des travailleurs « ordinaires ». En fonction de l’âge, les 20-29 représentent 26,5%, les 50-59 ans représentent 23,1%. Ces deux tranches d’âge comptent le plus grand nombre de chômeurs et de travailleurs précaires.

D’après d’autres enquêtes, réalisées à Tokyo et Osaka, 40% couchent dans la rue, 40% passent la nuit dans des fast-foods et 32% dans des bains publics, qu’on appelle « saunas ». Il leur est difficile de louer un appartement du fait qu’ils n’ont pas suffisamment d’économies pour avancer une partie du loyer. D’autres n’ont pas la certitude de pouvoir payer les loyers suivants. Et enfin, ils ne peuvent souvent pas trouver de garant pour leur location. Même quand ils trouvent du travail, ils ne peuvent pas louer une chambre s’ils n’ont pas d’adresse à indiquer dans les documents.

D’après une autre enquête en direction de 10 agences d’intérim, elles s’occupent en moyenne de 65 000 travailleurs par jour, parmi lesquels 54 000 travaillent avec un contrat de moins d’un mois, et parmi ces 54 000, 51 000 sont des journaliers. Ils travaillent en moyenne 14 heures par jour et reçoivent 133 000 yens (831 euros) par mois. Parmi eux, 68,8% ont moins de 35 ans.

Le ministère analyse ainsi leurs conditions de vie : « Parce qu’ils n’ont pas de travail, ils ne peuvent pas avoir de logement. Parce qu’ils n’ont pas de logement, ils ne peuvent pas avoir de travail. Nous devons demander aux organisation non-gouvernementales de les aider à trouver travail, logement et argent. » (Déclaration du 28 août 2007).

Des mineurs sans-abri

D’après l’étude du Ministère du travail et de la protection sociale, il y avait en janvier 2008 quelque 18 564 sans-abri « habitant » dans des parcs et au bord des rivières. Leur âge moyen est de 57,5 ans. Pour la première fois, on a enregistré des mineurs parmi les sans-abri.

Ces gens se sont retrouvés à la rue pour les raisons suivantes :
31,4% en raison de la baisse du nombre d’emplois disponibles.
26,6% parce que leurs compagnies ont fait faillite ou parce qu’ils ont été licenciés.

70,1% n’ont jamais sollicité d’aide publique et 3,2% se sont vus refuser cette aide.

Un homme de 68 ans qui habite au bord de la rivière Sumida a dit : « Le gouvernement de Tokyo a prévu des chambres à 3000 yens (19 euros) pour les sans-abri, mais comme je n’ai pas de travail, je ne peux pas payer cette somme, et je n’ai pas eu d’autre possibilité que de revenir ici. Chaque jour je fais la queue pour un repas gratuit et je survis ainsi. »

Les « administrateurs nominaux »

Un homme de 28 ans a été promu administrateur d’un magasin 9 mois après son embauche. Il en était très content, mais des instructions très dures de la part de l’entreprise l’attendaient. Il devait travailler presque jour et nuit sans temps de repos et sous contrôle. Malgré cela, son salaire a diminué, puisqu’il étant désormais administrateur, et non plus simple employé, et n’était donc pas payé pour ses heures supplémentaires ! C’était un « administrateur nominal » typique. Après cinq mois, il a fait une dépression. Il a déclaré avec colère : « L’entreprise m’a fait travailler comme un esclave. J’avais tellement de pression psychologique que je ne pouvais pas dormir. »

81 suicides pour excès de travail

Le ministère du travail et des affaires sociales a publié le nombre de suicides, de maladies et d’accidents du travail reconnus en 2007. D’après lui, 952 personnes ont demandé au ministère d’être reconnues comme déprimées par excès de travail (16,2% de plus qu’en 2006, deux fois plus qu’en 2003). Seuls 268 cas ont été reconnus comme tels. Parmi eux, il y a eu 81 suicides (80 hommes et une femme). 22 avaient entre 40 et 49 ans, 21 entre 30 et 39 ans, 19 entre 50 et 59 ans, et 15 entre 20 et 29 ans. Parmi eux, 20 faisaient de 100 à 119 heures supplémentaires par mois, 11 faisaient entre 80 et 99 heures supplémentaires, et 12 moins de 40 heures supplémentaires.

932 personnes ont demandé a être reconnues malades du cœur ou du cerveau, et 392 ont été reconnues comme telles (10,4% de plus qu’en 2006 : un record). Parmi ces 392, il y en a 142 qui ont été reconnus comme morts en raison d’un excès de travail. 54 d’entre eux faisaient entre 80 et 99 heures supplémentaires, 25 faisaient entre 100 et 119 heures supplémentaires. 101 travaillaient dans les transports et 74 à l’usine.

La Constitution japonaise

Dans la constitutions japonaise, proclamée en 1947 à la suite de la défaite dans guerre du Pacifique Asiatique, les articles suivants traitent du travail et du de la vie de la population. (Texte de M. Inoue et R. Hasegawa).

« Article 13

Tout citoyen doit être respecté en tant qu’individu. Ses droits à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur doivent être, s’ils ne s’opposent pas au bien et à la prospérité publique, respectés au maximum lors de l’élaboration des lois et dans les autres domaines de la gouvernance.

Article 18

Personne ne doit être réduit à une quelconque forme d’esclavage, ni forcé à effectuer des travaux pénibles, sauf en cas de punition pour un crime.

Article 19

La liberté de pensée et de conscience doivent être intouchables.

Article 22

1) Toute personne doit avoir la liberté de choisir et de changer son lieu de vie et également de choisir sa profession, si cela ne va pas à l’encontre du bien et de la prospérité publique.

Article 25

1) Tout citoyen doit avoir le droit de jouir d’une vie saine avec un minimum d’accès à la culture.

2) Dans tous les domaines de l’existence, l’Etat doit s’efforcer de faire progresser le bien social, la sécurité sociale et l’hygiène publique.

Article 27

1) Tout citoyen a le droit et le devoir de travailler.

2) Les normes concernant le salaire, le temps de travail, le repos et toutes les conditions de travail doit être fixées par la loi.

3) Les enfants ne doivent pas être exploités.

Article 28

Le droit des travailleurs à s’organiser, à négocier et à agir collectivement doit être garanti. »

Depuis la proclamation de la constitution jusque dans les années 80, le peuple et les travailleurs japonais ont combattu pour forcer le gouvernement conservateur à appliquer les promesses de la constitution, et cela a en partie réussi. Au sujet de l’article 25, il y a eu une accusation de Asahi Shigeru, qui habitait dans un sanatorium national, et recevait une aide du gouvernement pour « jouir d’une vie saine avec un minimum d’accès à la culture ». Mais en réalité, il ne recevait à l’époque que 600 yens par mois (en 1957, d’après le cours actuel, 600 yens équivalaient à 38 euros) pour ses besoins quotidiens. Il recevait cette aide en fonction du règlement qui stipulait que la personne aidée doit recevoir, par exemple, un caleçon et un rouleau de papier toilette par mois. Il s’est plaint que cette aide ne garantissait pas « un niveau de vie décent ». Il a gagné devant la cour du district de Tokyo, mais a perdu devant la haute cour de Tokyo et a de nouveau perdu devant la cour suprême. Pourtant, sa protestation a eu une grande influence sur la politique qui a suivi, et le gouvernement a dû s’efforcer d’améliorer les conditions de vie de la population. Les travailleurs se sont également battus pour améliorer leurs conditions de vie, pour augmenter les salaires et faire diminuer le temps de travail.

Mais un changement brutal est intervenu à la fin des années 90. Dans les années 80, le Japon a beaucoup prospéré et les conditions de vie des travailleurs se sont globalement améliorées. Mais cela n’a pas duré longtemps. La stagnation, puis la récession sont arrivées. Ce furent d’abord des licenciements de travailleurs, puis leur remplacement par des précaires recrutés par des agences d’intérim fondées pour l’occasion. Ces précaires sont très pratiques pour les entreprises, puisque les patrons peuvent les faire travailler à bas coût et les licencier facilement lorsque la situation économique se dégrade. Le gouvernement et le patronat, passant outre la législation qui protège les travailleurs, ont fait voter en 1999 un ensemble de lois sur la libéralisation des recrutements, qui s’est ensuite étendue à d’autres domaines.

De nombreuses entreprises ont accueilli cette loi à bras ouverts, puisqu’elle leur permet de réduire le coût du travail. De nombreux travailleurs en CDD ont été remplacés par des intérimaires. La mode du téléphone portable a encore amplifié cette tendance : les employeurs pouvaient embaucher des journaliers sur un simple coup de fil. Les agences d’intérim exploitent aussi les travailleurs. Même de grandes entreprises, connues au niveau mondial, ont ainsi embauché des travailleurs à bas prix, à l’encontre de la législation. Les travailleurs sont, plus que jamais, devenus de simples forces de travail, voire des marchandises. Dans les entreprises, on ne les appelle pas par leur nom, mais par le terme « haken » (l’envoyé). Aujourd’hui, un tiers des travailleurs japonais sont des précaires qui reçoivent un petit salaire et vivent dans la peur constante du licenciement.

Avant la « libération de la force de travail », les japonais ne pensaient jamais au licenciement. Ils travaillaient comme des enfants au service de chefs d’entreprise paternalistes. Dans cette ambiance, ils travaillaient loyalement pour la même entreprise pendant toute leur vie. Ils croyaient tous appartenir à la « classe moyenne », parce qu’ils n’étaient pas très riches, mais pas très pauvres non plus. La société était très stable, mais maintenant elle devient de plus en plus instable à cause des licenciements, du travail précaire et de la pénurie d’emplois. Les japonais se divisent essentiellement en deux groupes : les riches et les pauvres. Il n’y a pratiquement pas de « classes moyennes ».

Un début de riposte

Les travailleurs pauvres avaient l’habitude de se reprocher à eux-mêmes leur situation misérable. Mais ils commencent à comprendre que le patronat et le gouvernement sont responsables. Ceux qui ont remarqué cela organisent des manifestations. Voici quelques exemples de luttes et de victoires :

Takahashi Mika, une jeune fille de 24 ans, qui travaillait pour la chaîne de restaurants Tsubohatchi, à Hokkajdo, a organisé un syndicat de travailleurs. Elle a exigé de l’entreprise le paiement de son travail de nuit et a gagné (d’après Akahata, 13/4/2008).

Des travailleurs de la chaîne de restaurants Sukiya ont accusé leur patron, Ogawa, en exigeant le paiement de leurs heures supplémentaires. Quand les travailleurs à temps partiels ont été licenciés, ils ont organisé un syndicat, et en septembre 2007, l’entreprise a accepté d’annuler les licenciements et de payer leurs heures supplémentaires. Mais elle n’a pas tenu sa promesse. Les travailleurs ont intenté en procès l’entreprise en justice (Akahata, 9/4/2008).

Des guides ont attaqué en justice une agence de voyages. Ooshima Yuki, une travailleuse de 43 ans, a porté plainte contre l’agence Hankiyuu-Trav-Support pour exiger le paiement de ses heures supplémentaires. De nombreux guides ont un contrat « à heures fixes » : les agences de voyage ne payent qu’un nombre d’heures fixées, sous prétexte qu’il est difficile de calculer combien de temps les guides travaillent pendant un voyage. Elle dit : « Avec ce genre de contrat, les guides travaillent déjà au-delà de leurs limites. Nous devons changer ce système » (D’après Mainichi, 23/5/2008).

Le 20 avril 2008, un McDonald japonais a annoncé la décision de payer les heures supplémentaires de 2000 « administrateurs nominaux ». Cependant, en même temps, elle a annulé leurs indemnités d’administration, ce qui fait que leur salaire n’augmentera probablement pas. De plus, elle envisage de diminuer le nombre d’heures supplémentaires, ce qui signifie qu’une partie d’entre elles sera maquillée en « travail bénévole ».

L’entreprise mondialement connue Toyota a introduit une « amélioration » (kaizen) en 1964, qui consistait en du travail volontaire. Les employés étaient censés participer à l’amélioration des conditions de travail et du processus de production. Environ 40 000 travailleurs ont prit part à cela. Toyota payait pour deux heures de travail supplémentaire, mais pas plus. En décembre 2007, la cour du district de Nagoya a jugé que la mort d’un travailleur de 30 ans employé par Toyota était due au surmenage. Et elle a souligné que le « kaizen » était un travail sous le contrôle de l’entreprise. Toyota a du changer sa politique à ce sujet.

Pendant huit ans, jusqu’en 2000, j’ai travaillé dans une université. A cette époque, la situation économique était très mauvaise et les entreprises commençaient à remplacer les travailleurs en CDI par des précaires. Il était très difficile de trouver du travail. Par désespoir, une étudiante avait cessé de chercher du travail à force d’échouer à des concours où il y avait trop de candidats. D’autres ont plusieurs fois visité des entreprises en divers endroits. Est-ce qu’ils ont réussi et travaillent en CDI ? Quand je lis des nouvelles au sujet des jeunes désespérés, je pense toujours à eux. Je suis en colère contre le gouvernement, qui suit toujours les injonctions du patronat. Il ne s’occupe jamais de la vie des gens ordinaires. Il devrait voir la réalité dans la société, où abondent les malades et les morts pour cause de surmenage, ainsi que les sans-abri qui dorment dans les cafés et dans la rue. Les travailleurs japonais sont dans la même situation qu’au Japon avant la seconde guerre mondiale, où même comme juste après la révolution industrielle en Angleterre, lorsque les travailleurs devaient travailler de très nombreuses heures en situation de quasi-esclavage.

Hori Yasuo, Sennaciulo (mai-juin 2008)
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La situation des travailleurs japonais :: Commentaires

brusyl

Message Mer 18 Fév 2009 - 15:28 par brusyl

Sans domicile fixe (partie 3)


Un SDF : ça va, une clocharde : bonjour les dégâts ?
C'est vrai, on les avait un peu oubliées, les nanas. C'est qu'elles sont plutôt rares dans la rue. Notre société supporte assez bien de voir quelques clodos, mais une clocharde lui donne mauvaise conscience. Alors elle a multiplié les filets de sécurité pour les femmes. Celles qui malgré tout passent au travers sont souvent en très très mauvais état à l'arrivée. Et la rue ne leur fera pas de cadeau, le milieu étant salement macho.
En règle générale, ce qui implique donc des exceptions, les femmes ne restent que très peu de temps à la rue.
« Esclavage, coups et blessures, torture, prostitution forcée, inceste, humiliation, enlèvement, viol, mépris, chantage, bestialité »
De bonnes âmes ou de réels humains informés et attentifs les pousseront à entrer dans des filières adaptées et très discrètes. Trop de femmes finissent sans-abri pour fuir des violences qu'il n'est pas question que la société reconnaisse être fréquentes (2).
De nombreux réseaux souterrains existent pour tenter de remédier à un véritable mensonge : notre civilisation protège les femmes et les enfants d'abord. Bin voyons ! Comme on ne trouve pas les mots pour dire les horreurs qui existent, on n'en parle pas, c'est plus confortable.
Le pire c'est qu'il est peut-être préférable de ne pas en parler. Pour que ceux qui savent puissent agir en sécurité et rester efficaces.
Tu voudrais bien savoir de quoi il retourne ? Esclavage, coups et blessures, torture, prostitution forcée, inceste, humiliation, enlèvement, viol, mépris, chantage, bestialité. Tu te sens mieux, maintenant ? Si ce paragraphe est si court, c'est que l'auteur ne parle que de ce qu'il a personnellement constaté et que, comme les autres, il ne sait pas par où commencer. Tu ne connais pas ton bonheur d'être homme...
Ca se passe en France, près de chez toi, aujourd'hui, et c'est loin, très loin d'être exceptionnel. Ce n'est même pas en train ce s'arranger, excès de pauvreté et excès d'argent ayant des conséquences excessives sur la nature humaine.
Il semble même qu'une nouvelle génération vienne compléter la traditionnelle femme battue. On rencontre en effet dans la rue de plus en plus d'étudiantes obligées de faire la manche pour bouffer avant de potasser la philo. Certaines ont recours à la prostitution occasionnelle pour se payer piaule ou bouquins. Rigole pas trop, les mecs aussi commencent à s'y mettre. Ces jeunes cumulent deux exclusions, la première concernant les moyens de vivre, la seconde niant leur condition d'exclu(e)s. Quel sera leur état d'esprit dans quelques années, une fois rentré(e)s dans le modèle standard ?
Si tu veux mon avis, on se prépare de drôles de lendemains. Putain de civilisation.

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brusyl

Message Mer 18 Fév 2009 - 15:26 par brusyl

Sans domicile fixe (partie 2)

De la sociologie de la rue
Dans la rue comme ailleurs existe tout un ensemble de comportements destinés à affirmer l'appartenance à un groupe. Le litre de rouge mis en commun y fait office de salon de thé, le mégot partagé tient lieu de petits fours. C'est l'endroit où l'on se reconnaît et où l'on communique, activités sociales hautement recommandées par ailleurs. Les reprocher aux SDF ?
La rue ne fait que transcrire dans son langage l'ensemble des pratiques à la base de toutes sociétés. En comprendre les règles et la morale demande beaucoup de temps et de lucidité. C'est là que le bât blesse. Le temps de la rue n'a rien de commun avec l'autre, le normal.
« des toubibs qui feraient mieux d'ouvrir plus souvent leur porte aux sans-abri qu'aux médias complaisants »
Vivre au jour le jour suppose l'absence de lendemain, où demain n'est pas le futur mais l'heure qui suit. Le concept de projet n'y existe que comme légende sans cesse renouvelée. Quant à la lucidité, elle est fortement tributaire de la quantité d'alcool absorbée. S'il est facile aux braves gens de reprocher aux SDF leur abus de vin de divers pays de la communauté européenne, il est plus rare que ces bonnes âmes comprennent que c'est aussi une condition de survie.
Chaque mort de froid relance ce pseudo-débat, scientifiquement cautionné par des toubibs qui feraient mieux d'ouvrir plus souvent leur porte aux sans-abri qu'aux médias complaisants. La vérité vraie, celle qui se vérifie au quotidien sur le terrain, c'est que l'alcool est indispensable pour tenir. Pas question de nier les dégâts qu'il entraîne en cas d'abus, mais impossible de taire son utilité.
Essaye donc de passer une nuit dehors sans avoir mangé auparavant. Avant longtemps tu seras frigorifié, secoué de tremblements incoercibles, obsédé par l'idée d'avaler quelque chose. Un morceau de pain ? Moins facile à transporter qu'un kil de rouquin (litre de vin rouge). Et ça ne procure aucune sensation de chaleur.
Le coup de rouge, lui, réchauffe le coeur. Illusion physiologique peut-être, mais salutaire réalité immédiate. Avant la fin de la nuit tu seras suffisamment embrumé pour oublier tous les malheurs du monde, voire les tiens. Rien que pour ça l'alcool est irremplaçable.
L'alcool est dangereux pour la santé ? Met la vie en danger ? Eh oh, es-tu bien sûr que ce soit l'alcool qui représente le plus grand risque pour le SDF ? Dans la rue, meurt-on plus de cirrhose que de malnutrition, détresse, usure ou solitude ? Quel médecin inscrira "misère noire" comme cause de décès ?
Le sans-abri ne fait certes pas de vieux os mais la picole ne vient pas en tête de liste. Le mondain tête bien plus que le clodo qui fouille ses poubelles et personne ne pense à le marquer au fer rouge. Y aurait-il hypocrisie sous roche ?
Bois donc ton canon et contente-toi d'éviter les abus. Quel intérêt d'être exclu si c'est pour n'avoir pas conscience de ton état à cause de l'alcool ?
Quant à la drogue, elle est rare dans l'exclusion. Beaucoup trop chère, mon fils. Même la barrette de shit est hors de portée du clodo moyen. Pour t'en procurer tu serais obligé de sauvageonner et Chevènement est déjà bien assez *** comme ça pour ne pas lui fournir d'arguments. En outre, c'est très mal vu chez les pros de la rue : la drogue, c'est pas pour les vrais clochards. Quel intérêt d'être exclu si c'est pour se bricoler la perception de son environnement ?

Et le fric ?
Notre société étant ce qu'elle est, même le clodo doit avoir du pognon.
Au moins au début, tant que tu seras sous dépendance de ton passé de consommateur. Heureusement pour toi, Michel Rocard a inventé l'exclusion ainsi que le RMI qui va avec. Il suffit ainsi de te faire connaître en tant que SDF pour te voir attribuer une rente mensuelle de 2500 balles (en 1999).
Le français moyen est persuadé qu'une telle somme ne permet pas de vivre décemment. Le SDF nouveau aussi.
« Heureusement pour toi, Michel Rocard a inventé l'exclusion ainsi que le RMI qui va avec »
Et pourtant ! Qu'est-ce que tu as à payer ? Tu manges gratos, le Secours Populaire ou Catho te filent des fringues régulièrement, les Boutiques de Solidarité permettent de te laver, linge compris, pour pas un rond, café offert en sus. Jusqu'au tabac que tu mégotes par terre. Et si le temps se gâte tu n'as qu'à faire un tour à l'asile du coin.
Tes 2500 picotins, tu peux te les garder comme argent de poche. Demande donc au smicard s'il dispose d'une telle somme pour son tiercé et/ou son demi de bibine ! En fait, beaucoup de clochards professionnels disposent d'une somme rondelette accumulée sur un livret d'épargne, surtout s'ils bossent régulièrement (pense à lire à ce sujet la page "Fric" qui présente également quelques-uns des métiers de la rue).
Le manque d'argent est un problème tant que tu restes coincé dans ton comportement de parfait petit consommateur. Quand tu auras compris que rien ne t'oblige à suivre le troupeau, tu rigoleras doucement en regardant passer les manifs d'inter-syndicaux et de collectivistes réclamant le RMI à 6000 balles.

24 heures dans la peau d'un SDF
Il en fait quoi, de sa journée, le clochard ? N'importe quel Café des Sports te fournira la réponse : rien, les clodos n'en branlent pas une, y z'attendent que les autres bossent pour eux, et que si c'était moi, etc, etc...
Laisse-les donc à leurs 51 et occupe toi plutôt de tes affaires. La journée démarre de bonne heure, la grasse matinée sous un porche ou dans un parking ce n'est pas le pied. Et il vaut mieux dégager vite fait de son coin pour ne pas se faire repérer. De plus il y a toujours un coup de frais juste avant le lever du jour. La rosée, c'est romantique si tu la découvres après avoir passé une bonne nuit au chaud et t'être enfilé un solide p'tit déj'.
En guise de café/croissant, un coup de rouge fera tout aussi bien l'affaire si tu es fauché. Pas de ta faute si le petit noir coûte aussi cher qu'un litre et demi de Villageoise. D'ailleurs tu peux prendre la direction de l'épicerie la plus proche pour refaire le ballast.
Selon la ville où tu crèches, il faut organiser ta tournée pour les casse-croûtes. On commence enfin à voir des distributions très tôt le matin mais c'est encore rare. Si tu as des démarches à faire dans les bureaux, il faut absolument les faire dès l'ouverture.
« la grasse matinée sous un porche ou dans un parking ce n'est pas le pied »
Ce n'est pas croyable le nombre de démarche que tu dois faire ! Certes il est très facile de constituer un dossier pour obtenir le RMI, mais cela signifie qu'il y aura le fameux suivi. Ce suivi consiste en fait à te demander sans arrêt un autre papier à aller chercher à l'autre bout de la ville. Ou alors à devoir te présenter dans un bureau pour prendre un rendez-vous afin de rencontrer quelqu'un qui t'orientera vers le service qui saura à qui t'envoyer pour que tu puisses espérer avoir une aide exceptionnelle de 50 balles qu'il te faudra retirer à une caisse qui a de fortes chances de ne pas être dans le même bâtiment. De toute façon, quand tu finiras par la trouver, cette bon dieu de caisse, tu seras forcément en dehors des horaires. Il n'est pas non plus impossible que quelqu'un dans le lot ait oublié de te donner le bon papier. Et pendant que tu somnoles dans la moitié des salles d'attente de la ville ou que tu te perds dans les étages, tu rates les distributions de casse-croûte.
SDF, ce n'est pas un métier facile. Dire qu'il y en a encore qui croient qu'on s'amuse...

C'est pas fini
Tous les trajets se font à pied. Trop de monde dans les transports en commun pour leur imposer ta crasse et ton odeur. Parce que tu as beau faire, aller régulièrement aux vestiaires, ces distributions de vêtements par les associations, dans le meilleurs des cas tu ne changeras de linge que deux fois par mois. Même en supposant que tu prennes une douche par semaine dans une Boutique de solidarité, tu as bien conscience que ce n'est pas ce qui se fait de mieux en matière d'hygiène. La dernière brosse à dent que tu as embrassée, ça remonte à ... pfuu.
Si tu as fait des noeuds avec l'administration et que tu dois te taper une séance de bureaux, il est préférable de te scotcher dans un asile ou un foyer le temps de tout remettre en ordre. Ainsi tu pourras facilement être à peu près propre et relativement reposé, sans compter que tu es assuré de croûter à ta faim.
Cette crasse, elle en fait du dégât. Tu seras au mieux présentable, mais de là à prétendre être propre... D'autant que l'hygiène n'est pas ta préoccupation principale.
« la dernière brosse à dent que tu as embrassée, ça remonte à ... pfuu »
Bien que la seule solution pour continuer à vivre soit d'ignorer cette hygiène lamentable, cela n'arrête pas de te jouer des tours. Descendre du bus bien avant ta destination parce qu'il commence à y avoir du monde. Faire brusquement demi-tour alors que tu as déjà posé ta main crasseuse sur la poignée de porte d'un bureau ou d'un magasin. Changer d'itinéraire parce qu'il y a trop de passants sur ta route. T'enfuir d'une salle d'attente parce que le chauffage libère les odeurs. Plus généralement refuser énergiquement toute idée de soins médicaux.
Autre conséquence méconnue de ton odeur de fauve en rut, elle te maintient fermement dans ta condition de clochard. Pas seulement au nez des autres mais aussi au tien. Sale tu es, clochard tu resteras.

Suite
Tes premiers jours à la rue tu les passes seul et, selon ton caractère, ces premiers jours peuvent durer de nombreuses semaines. Tu peux ainsi rester très longtemps sans prononcer une seule parole. Jusqu'à en perdre presque complètement la maîtrise. Afin de limiter la casse tu peux rejoindre quelques collègues pour y discuter le bout de gras. La cotisation pour avoir accès au club est raisonnable puisque avec un litre de picrate et quelques mégots tu auras tes entrées partout.
Qu'est-ce qu'ils se disent, les cloches ? Des histoires de cloches, évidemment. Beaucoup de renseignements pratiques sur l'actualité locale en matière de social. Du rêve aussi.
« tu as jeté ton ancienne vie par-dessus bord, il faut bien t'en procurer une autre, non ? »
Tu t'inventes un futur, grossièrement invraisemblable mais cela n'a aucune importance, c'est juste histoire de parler. Surtout, tu te réinventes un passé, tu te construis un personnage auquel tu te raccroches farouchement. Puisque tu as jeté ton ancienne vie par-dessus bord, il faut bien t'en procurer une autre, non ? Alors autant te la faire sur mesure. Accessoirement, cela sert aussi à tester le baratin que tu serviras au prochain service social que tu visiteras.
Le mensonge, la vantardise n'ont pas cours dans la rue. Il n'y a qu'une seule et même histoire inlassablement réécrite en fonction de l'auditoire et des circonstances. Il s'agit d'exister. Parvenir à se faire une idée approximative de la réalité dissimulée derrière le flot de paroles demande énormément de temps, de chance et d'empathie. De résistance aussi, car la souffrance y est omniprésente.
Il n'est pas certain que ceux qui parlent de suicide social à propos des clochards aient vraiment réfléchi à ce que recouvre cette expression.
Les amis de rencontre changent très souvent. Le SDF est très mobile et change fréquemment de ville. L'instauration du RMI a un peu calmé le jeu à cause des délais avant de pouvoir toucher son fric, mais le fichier des voyageurs sans billet de la SNCF rappellera que l'appellation de vagabond n'est désuète que dans le langage courant.
Ce qui pousse à changer de ville ? Une météo trop nulle. Etre triquard (interdit) dans trop de rades (bistrots) pour cause d'ardoises ou de dégâts. Avoir trop tiré sur la corde dans les bureaux d'aide sociale. Avoir fait une vacherie de trop à un collègue. Etre trop dominé par un autre. En avoir trop marre et aller voir ailleurs si la vie y est plus facile. Etre trop naïf et croire qu'ailleurs c'est mieux.
Etre trop mal dans sa peau et chercher une issue.

Et fin
Etre clochard présente des avantages. Notamment du temps pour réfléchir. Tu peux t'essayer à une petite expérience très instructive. Tu t'organises pour faire tout ton boulot le matin et tu te gardes les après-midi pour philosopher et introspecter. Une petite sieste pour digérer le pâté de foie, un coup de rouge pour te rebrancher les synapses, et c'est parti.
En tant que clodo, tu peux t'asseoir absolument où tu veux tant que tu n'empêches pas les voitures de passer. Dont acte. Pose ton cul quelque part et regarde. Pour voir quoi ? Les non-exclus, évidemment. Ils sont fascinants à observer. En tout clochard il y a un entomologiste qui sommeille.
Tu seras rapidement capable de discerner tout ce que notre mode de vie nous impose de comportements soigneusement codifiés. Commence par du facile, l'habillement par exemple. Laisse les gens défiler devant toi sans chercher à apercevoir les détails.
« En tout clochard il y a un entomologiste qui sommeille »
Ce qu'il te faut, c'est acquérir une vision statistique si la chose existe en ophtalmologie. Bientôt tu seras en mesure de ranger les passants dans des grosses boîtes. Prolos, bourges, vieux, ados, des trucs comme ça. Puis l'échantillon observé prenant de l'ampleur, tu utiliseras des boîtes plus petites. Et hop, voilà ta population test détaillée en employés, chefaillons, cadres, chômeurs longue durée et autres. Une pratique assidue gommera peu à peu les erreurs et n'hésite pas à poser la question de temps en temps pour recadrer tes estimations. Les gens, surpris, te répondront souvent.
Tout ça à partir de la fringue ? Eh oui, c'est dire si les codes vestimentaires sont puissants. N'oublie pas de t'appliquer la méthode : un seul coup d'oeil sur ton vieux manteau graisseux et tout le monde t'identifie instantanément en tant que clochard. Tu peux utilement étendre ton étude : langage corporel, comportement de séduction, de domination/soumission, de reconnaissance, etc, etc... Tu peux aussi essayer de croiser différents critères pour voir ce qui rentre dans tes boîtes. Si l'INSEE était futée elle recruterait en priorité des clochards.
Si la chose t'intéresse, tu peux tenter une vérification qui te donnera matière à réflexion. La manip est cependant illégale et connue des services de police sous le nom de grivèlerie. Maintenant, c'est à toi de voir, hein, je ne te connais pas et on ne s'est jamais rencontré, toute ressemblance entre le paragraphe qui suit et la réalité ne peut être que fortuite, etc.
Quand tu iras faire un vestiaire au Secours Populaire, demande donc un "uniforme" de cadre sup tel que tu l'auras identifié. Ils ont ça en magasin, t'inquiète pas, même s'ils peuvent être surpris par la précision de tes besoins. Ensuite, astique-toi consciencieusement la couenne dans une Boutique de Solidarité et pour finir fais-toi faire une subtile coupe de cheveux dans une école de coiffure. Il ne te reste plus qu'à adapter soigneusement ton geste et ton langage à ton plumage et voilà : tu ES cadre sup.
Pour quelques heures, la société t'acceptera en son sein d'après ta seule apparence. Profites-en donc pour te taper un bon resto hors de prix. Pour sortir tu n'auras qu'à dire que tu as laissé ton porte-cartes dans la voiture garée juste en face, ce n'est pas ça qui ruinera le restaurateur. Aucun risque qu'il te reconnaisse par la suite sous ton costume de clochard. Réfléchir aux enseignements à tirer de cette petite expérience t'occupera un bon moment, mais tu comprendras mieux comment fonctionne la société. Et accessoirement l'exclusion.

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brusyl

Message Lun 16 Fév 2009 - 21:14 par brusyl

texte un peu ancien (1999) mais que je trouve poignant- première partie ce soir, deuxième demain.....

Sans Domicile Fixe



Préavis
Il suffit de trois jours pour devenir SDF convaincant

On ne se retrouve jamais à la rue par hasard. Il y a toujours une très longue histoire avant, qui remonte parfois jusqu'à l'enfance. Pour raccourcir exagérément, disons qu'un jour la pression sur tes épaules atteint le point de rupture. Et tu te casses. Ce jour-là, ce qui subsiste de ton entourage, inquiet ou soulagé de ne plus te voir, se demande ce que tu peux bien devenir.
Toi, tu marches. Sans but. Libre. Immensément libre. Le poids qui t'écrasait a disparu d'un seul coup. Ca bouillonne dans ta tête. Tu sais que tu ne reviendras pas en arrière. Chaque pas t'éloigne de ton passé, tu abandonnes de pleins cartons de souvenirs à chaque coin de rues. Tu n'as aucune idée de ce que tu vas devenir et cela te fait rire.
Pendant quelques heures. Parce qu'ensuite c'est de moins en moins drôle. L'état de grâce tiendra le temps que tu dépenses l'argent dont tu disposes encore, quelques jours dans le meilleur des cas.
« il suffit de trois jours pour devenir SDF convainquant »
Puis très vite c'est le retour de bâton d'autant plus violent qu'il aura été retardé.
La tentation de te retirer de la partie peut alors devenir forte. Tu peux te suicider, réponse qui présente l'inconvénient d'être irréversible. Tu peux te finir plus lentement à coup d'alcool, de médocs et/ou de molécules plus ou moins hallucinogènes. Ca dure ce que ça dure, quand ça lâche il ne reste plus grand chose à récupérer. Tu peux enfin enfourner deux bricoles au fond d'un sac et suivre tes pieds. Bienvenue au club !

SDF en trois jours

Un pro de la chose (l'abbé Pierre) prétend qu'il suffit de trois jours pour devenir SDF convaincant. Quel que soit ton point de départ : cadre sup overbooké, smicard surexploité ou chômeur avéré, marié/deux enfants ou célibataire notoire. Trois jours seulement pour faire de toi un honnête SDF. Pourquoi hésiter plus longtemps ?
Trois jours sans manger autre chose que des sandwichs +/- SNCF.
Trois jours à craindre le sommeil et à t'éveiller la peur au ventre au moindre bruit.
Trois jours pour découvrir que les petits matins sont frais, même en plein été.
Trois jours sans te laver ni changer de linge.
Trois jours à marcher pendant des heures.
Trois jours à subir ton incapacité à aligner deux idées cohérentes.
Trois jours pour que les autres détournent le regard en te croisant.
Trois jours pour que toute ton éducation vole en éclat.
Trois jours pour briser ton appartenance au genre humain.
Trois jours. Et tu découvres que t'en as rien à foutre de puer le fauve, de pisser dans les encoignures de portes, de chier entre deux bagnoles en stationnement. Aveugle et sourd à tout ce qui t'entoure, alors les bonnes manières, hein, c'est pas l'jour...
Avec une obsession : manger et dormir. Manger et dormir.Manger, dormir. manger dormir
Moins que les préoccupations probables d'un chien ou d'un chat.
Tu ne peux que constater la disparition brutale de tout ce qui faisait de toi un homme. Et tu ne peux t'en apercevoir que les premiers jours car ça va vite. Très vite. Après, c'est trop tard, les comportements de survie auront pris le dessus.
Se retrouver à la rue sans un sou est une agression d'une violence extrême. De quoi basculer dans la folie ou se tourner vers la violence, donc vers la page "prison". En ce qui te concerne ? Disons que tu es solide.

Supposons que tu survives plus de trois jours
« La société de consommation étant ce qu'elle est, il y a d'excellents déchets »
Tous les bons tortionnaires le savent : sous-alimentation, manque de sommeil et isolement sont les bases de toute torture et de tout lavage de cerveau de bonne facture. C'est rapide, efficace, et ça ne salit pas trop les mains. Tout cela fait qu'en quelques jours ton corps et ton esprit hurlent le manque. Tu as eu une vie avant, tu en auras une autre après. Peut-être. Tout le reste est poésie.
La solitude des premiers jours est effrayante. Nombreux sont ceux qui en garderont à jamais l'habitude de parler tout seul.
Il y a de grandes chances que tu finisses rapidement par traîner autour de la gare SNCF. Vaine tentative pour passer inaperçu ou saine tentation de changer de ville ? Quelle importance ? Dans les gares, les sans-abri sont censés être nombreux. Ceux que tu vois au premier coup d'oeil ne sont guère valorisants mais tu finiras bien par remarquer que tu n'es pas seul à attendre un train qui n'existe pas.
Mais voilà : la nuit toute les gares ferment leurs portes à ceux qui n'ont pas de billets. Te voilà dehors, sans la moindre idée de la direction à prendre. Alors tu marches, au hasard. Pendant des heures. De plus en plus engourdi par le froid, la faim, la fatigue, la lassitude, l'angoisse, en te demandant comment font les autres pour survivre.
« La société de consommation étant ce qu'elle est, il y a d'excellents déchets »
Attention, danger ! Tu risques de te faire trouer la peau pour ce que tu pourrais avoir dans ton sac (un SDF, même apprenti, a toujours un sac). Ou d'enjamber un parapet de pont sans réfléchir, pour faire taire la souffrance. Ou d'agresser un passant en croyant te défendre.
Pour l'intérêt de ces pages, supposons que tu réussisses à survivre plus de trois jours, peu importe comment. Des deux préoccupations qui t'obsèdent, manger et dormir, la question de la nourriture est la plus facile à résoudre.
Les premiers temps, il suffit de faire la tournée des places de marché. Après le remballage, les commerçants laissent quantités de déchets sur place. Il n'y a qu'à se servir. La société de consommation étant ce qu'elle est, il y a d'excellents déchets. Pas d'hésitation à avoir, tu ne seras pas seul à fouiller les détritus. N'oublie pas les pommes. Aucune allusion politique, mais contrainte physiologique : il faut manger des aliments riches en fibres si tu ne veux pas chopper la courante. Parce que, la diarrhée, quand on est à la rue c'est un sacré problème...
Les fruits et légumes ça cale l'estomac mais cela ne protège pas du froid. Il te faut des protéines et des lipides. Pour t'en procurer il va falloir mettre tes beaux principes sous le boisseau. Dirige-toi vers les quartiers où se concentrent les restaurants. Il suffit alors d'attendre l'heure de fermeture pour faire les poubelles et le tour est joué.
Si ça te dégoûte trop il y a une autre possibilité mais c'est ta conscience d'honnête homme qui va morfler sur ce coup. Ces mêmes restaurants tu peux aussi les visiter tôt le matin avant l'ouverture. Une fois que les livreurs ont déposé les cartons de charcuterie devant la porte. Pense à vérifier tes lacets avant car il faut parfois courir vite. Et veille quand même à ne pas taxer plusieurs fois la même enseigne sous peine de tarir la source.
Si ce qui subsiste de ton éducation t'empêche de recourir à ces techniques, tu vas avoir un problème. Certes, il existe tout un réseau de distribution de casse-croûte aux indigents, mais pour y avoir accès il faut au préalable admettre que tu es indigent...
Tu peux envisager de faire la manche devant le Monoprix mais tant que tu n'auras pas intégré ton nouveau statut tu ne feras qu'indisposer les passants en t'énervant devant les refus. Presque toutes les villes ont des polices municipales qui n'aiment pas du tout qu'on indispose les passants.
Supposons (encore) que tu parviennes enfin à connaître les adresses où on te filera des casse-croûte gratos. Tu auras alors accompli le premier rite de passage. La nourriture cesse aussitôt d'être un problème, même si le sandwich te semble parfois amer.
Reste le logement.

Plus dur sera le pavé

« les quartiers pavillonnaires sont pleins de chiens dangereux et de beaufs méchants »

N'importe quel CRS te le confirmera, le pavé, même breton, manque de tendresse. Avant d'y élire domicile il convient de bien réfléchir.
Tes premières nuits à la dure t'ont peut-être rappelé quelques souvenirs de camping ou de service militaire. Mais l'armée prend généralement soin de ses hommes et le camping, même sauvage, reste très civilisé.
La sagesse populaire installe le clochard sous les ponts. Laisse tomber, la sagesse populaire est une belle salope ! La nuit, sous les ponts, on ne rencontre que des individus plus ou moins dangereux qu'il convient d'éviter si tu accordes quelque valeur à ton intégrité physique et morale.
De toute façon, tu ne te considères pas comme clochard. Pas encore. Tu es momentanément dans la gêne. Même si pour tous ceux que tu croises le colis est déjà emballé et étiqueté.
« les quartiers pavillonnaires sont pleins de chiens dangereux et de beaufs méchants »
Tu as déjà eu du mal à accepter la distribution de casse-dalle, tu n'es pas encore mûr pour te présenter à la porte des asiles de nuit. Tu te crois capable de te débrouiller pour trouver un coin tranquille pour dormir. Cela te passera mais seule l'expérience te convaincra. Là aussi il s'agit d'un rite initiatique.
Tu constates vite que les endroits discrets auxquels tu penses sont tous sur le trajet des patrouilles de flics et qu'ils contrôlent systématiquement les petits nouveaux. Ils ont une technique très au point pour te réveiller sans prendre de risque et seuls les plus téméraires te fileront des coups de rangers dans les côtes. N'espère pas être embarqué pour finir la nuit dans la chaleur du poste de police, dès qu'ils constateront qu'ils ont affaire à une cloche qui n'est pas recherchée ils te laisseront te rendormir. Jusqu'à la prochaine patrouille.
Pour les éviter, pas d'autre solution que d'abandonner le domaine public pour investir le secteur privé. Parking, hall d'entrée, immeuble en construction, voiture mal fermée, tout est envisageable. Reste dans le centre ville, les quartiers pavillonnaires sont pleins de chiens dangereux et de beaufs méchants.
La difficulté consiste à trouver une place qui ne soit pas déjà occupée. C'est que, vois-tu, il y a plusieurs dizaines de milliers de SDF qui se partagent les bons coins (1). Alors, le petit dernier...
Si tu parviens à trouver un endroit peinard, ne t'avise pas de le saloper en pissant partout comme un chien marquant son territoire. Au hasard de tes promenades, repère bien les pissotières et surtout les chiottes Decaux. Le problème avec les pissotières, c'est que c'est le lieu de rencontre préféré de toute une faune qui assume mal ses préférences sexuelles. Remarque que tu peux mettre à profit tes mésaventures pour comprendre ce que ressent une femme devant supporter les plaisanteries du beauf moyen... Heureusement pour toi, la sous-alimentation chronique rendra ton utilisation des chiottes plus espacée.

Pas vu à la télé

« avoir un lit retenu à ton nom dans un asile de nuit est une preuve. Irréfutable. Le SDF médiatiquement correct n'est qu'un vulgaire clodo »

En attendant d'être fin prêt à entrer en asile de nuit, essaie le carton. On en trouve facilement et cela fait vraiment une différence comme matelas, comme coupe-vent et pour se croire dissimulé. Pour lutter contre le froid, ramasse un vieux journal et glisse-le sous ton blouson. C'est un peu bruyant tant que le papier n'est pas imprégné de crasse mais c'est très efficace.
A propos de température, peut-être as-tu remarqué que les clochards empilent souvent les pulls sous plusieurs manteaux même au plus fort de l'été. Outre le fait que c'est la façon la moins fatigante de transporter ses affaires, c'est surtout que la sous-alimentation et la fatigue provoquent une sensation de froid permanente. Un état de manque si tu préfères. Tu seras surpris du temps qu'il te faudra pour arrêter de trembler même en plein mois d'août. Le froid n'est pourtant pas le plus grand ennemi du SDF, contrairement à ce que la mobilisation hivernale des médias pourrait laisser penser. Dans la rue il n'est de pire ennemi que la pluie.
Fini les mégots ramassés aux arrêts de bus. Terminé le carton. Oubliée la douceur des vêtements certes puants mais secs.
« avoir un lit retenu à ton nom dans un asile de nuit est une preuve. Irréfutable. Le SDF médiatiquement correct n'est qu'un vulgaire clodo »
Pour couronner le tout l'humidité multiplie les déperditions de chaleur, comme si tu n'avais pas assez de tremblements comme ça. Et n'espère pas taper les passants d'une piécette sous la pluie. Ce n'est pas le froid qui rempli les asiles de nuit, c'est la pluie. Quelle que soit la saison, n'en déplaise à ceux qui ferment les abris neuf mois sur douze.
C'est ainsi qu'après être passé plusieurs fois devant les bureaux d'inscription tu finiras par sauter le pas, trempé comme une soupe. Toute honte ravalée : avoir un lit retenu à ton nom dans un asile de nuit est une preuve. Irréfutable. Le SDF médiatiquement correct n'est qu'un vulgaire clodo. Ton ego s'en remettra peut-être un jour mais c'est pas gagné d'avance...
Ce qui se passe derrière les portes de l'asile de nuit est présenté dans une autre partie. Ici tu retiendras surtout que tu viens de passer brillamment ton diplôme de fin d'études. Une fois accepté le fait que ton statut de SDF masque une réalité de clochard tu seras en mesure de te débrouiller pour survivre dans la rue.
Agrégation en poche, il est temps de songer à ton insertion professionnelle. L'alcool est un bon parcours.

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brusyl

Message Ven 13 Fév 2009 - 21:23 par brusyl

Ecoutons les pauvres !

LA CRISE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE ACTUELLE, dont les très pauvres du monde entier vont être les plus grandes victimes, montre combien la focalisation obsessionnelle sur le court terme peut être désastreuse. Car c’est bien la recherche des profits immédiats qui a poussé à la spéculation et provoqué la ruine de pans entiers de notre économie, comme elle avait déjà mis à mal l’équilibre écologique de notre monde. Heureusement, beaucoup, aujourd’hui, tirent les leçons de cette crise et cherchent à remettre les décisions économiques et politiques en cohérence avec une visée à moyen terme et une ambition inscrite dans la durée. Or, curieusement, cela ne vaut pas pour les très pauvres. Comme s’ils ne pouvaient s’inscrire dans un projet de société à moyen ou long terme, valable pour l’ensemble des citoyens, et qu’il faille les cantonner aux réponses d’urgence !

Dès lors, c’est la fuite en avant au gré des réponses parcellaires, que notre société aveugle ne cesse d’apporter depuis de longues années. Distributions alimentaires, épiceries sociales, centres d’hébergement... Ce qui devrait n’exister qu’« en cas d’urgence » ne cesse de s’installer et devient, de fait, une série de substituts au droit commun pour un grand nombre de personnes. Celles-ci se trouvent alors isolées des autres citoyens et enfermées dans un « statut de pauvres » que, pourtant, elles refusent. Quand donc comprendrons-nous que l’institution de telles réponses est le signe d’une société qui ne veut pas se remettre en question et redéfinir un projet qui fasse droit à tout citoyen ?

C’est d’une vision d’avenir - le vivre-ensemble - et donc de politiques à long terme dont nous avons besoin, en France et partout dans le monde. Pour les penser et les mettre en œuvre, nous ne pouvons nous priver de l’expérience et de la réflexion des plus défavorisés. Eux savent que les réponses d’urgence ne permettent pas d’aller au-delà de la survie quotidienne, qui déshumanise. Eux peuvent nous apprendre ce qu’il est essentiel de bâtir sur le long terme pour être capables de vivre ensemble et pour réduire massivement les distributions et autres réponses d’urgence. Prendre en compte leur point de vue serait une chance non seulement pour eux, mais pour nous tous.

Pierre Saglio, président d’Atd Quart Monde France.

http://www.atd-quartmonde.asso.fr/Ecoutons-les-pauvres

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Donald11

Message Ven 13 Fév 2009 - 17:51 par Donald11

Quand mes beaux-parents ages ont pris leur retraite de paysans tres modestes, ils vivaient "tres bien" avec des revenus qui nous auraient permis de crouter une semaine par mois environ. Bon ces chanceux etaient proprietaires de leur deux pieces, ne savaient pas conduire, donc n'avaient pas de voiture, n'avaient ni salle de bains, ni lave-vaisselle, se chauffaient chichement avec leur bois, et profitaient de l'aubaine pour faire cuire leurs aliments, s'eclairaient avec deux lampes de 60 watts, et arrondissaient grassement leurs fins de mois en vendant leurs fromages de chevre. Les chiottes etaient au fond du jardin, rustiques et sans chasse d'eau. La seule entorse faite au dieu consommation a ete une tele d'occasion qu'on leur avait offerte. Bien entendu, ils cultivaient un jardin et elevaient des volailles.
Question : seraient-ils admis dans la categorie des gens vivant sous le seuil de pauvrete ?

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country skinner

Message Ven 13 Fév 2009 - 15:14 par country skinner

le 12 février 2009

http://www.inegalites.fr/spip.php?article936

La France compte huit millions de pauvres, selon le seuil de pauvreté utilisé par l’Insee. Une conception discutable du phénomène. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.


La France compte huit millions de pauvres selon les données de l’Insee, soit 13 % de la population. Comment est-ce possible, dans l’un des pays les plus riches au monde ? A quoi correspondent ces chiffres ? Publiés au milieu de l’été (voir sur le site de l’Insee), ils n’ont pas entraîné de débat. Pourtant, une telle évolution l’aurait bien mérité.

Deux grands changements ont été opérés dans la mesure de la pauvreté. Tout d’abord, l’Insee a amélioré la mesure des revenus. Après des années de tergiversation, l’institut a intégré une part plus importante des revenus du patrimoine, jusqu’à présent mal pris en compte. En quoi cela a-t-il rapport avec les pauvres, puisque ce sont surtout les riches qui touchent ces revenus ? Cette prise en compte a accru le revenu médian - celui qui partage l’effectif des ménages en deux - autant gagnent moins, autant gagnent plus. En Europe, le seuil de pauvreté est défini de façon relative, en fonction de ce revenu médian. Sa hausse a entraîné une élévation du seuil et celui du nombre de pauvres. En 2005, le seuil de pauvreté équivalent à la moitié du revenu disponible médian - après impôts et cotisations sociales - était de 681 € pour un individu. C’est celui que l’on utilisait le plus souvent jusqu’en juillet dernier. L’intégration des revenus du patrimoine l’a porté à 709 €.

Une autre opération, d’ampleur bien plus importante, a eu lieu. Depuis quelques mois, l’Insee utilise la définition européenne de la pauvreté. Jusqu’à présent, le seuil de pauvreté était équivalent à la moitié du revenu médian. Mais dans les comparaisons européennes, le seuil le plus souvent pratiqué se situe à 60 % du revenu médian. De la cuisine de statisticiens ? Ce saut de 50 à 60 % change tout. Le passage au seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian a fait bondir le seuil à 880 € pour l’année 2006. Au bout du compte, le seuil a progressé de 200 € et englobe donc plus de personnes.

Et alors ? Pour certains, afficher un chiffre élevé de pauvres permet de frapper les consciences et d’appeler à la solidarité. La statistique joue un rôle dans le débat public et peut influencer les politiques mises en œuvres, dans un pays où la misère côtoie la grande richesse. Cette pratique est risquée. Pour le comprendre, il faut entrer dans la machine à calculer de la pauvreté, ce que personne ne fait jamais. Le seuil de pauvreté désormais utilisé est équivalent à 60 % du revenu médian. Celui-ci est de 1 466 € pour un célibataire. Le seuil est donc de 880 € pour une personne seule (60 % de 1 466 €). Selon les conventions de l’Insee, ce même seuil est de 1 320 € pour un couple et 1 848 € pour un couple avec deux enfants.

On comprend le problème. A ces niveaux de vie, on se situe au double du revenu minimum d’insertion : 448 € pour une personne seule, 672 € pour un couple. Les personnes qui font appel au Secours catholique perçoivent en moyenne 834 € par famille et 535 € pour un adulte seul (voir les données 2007)... On incorpore dans la pauvreté des situations sociales très diversifiées, qui vont de ce que l’on appelait il y a quelques années le « quart monde », aux milieux sociaux très modestes. A force d’élargir le concept de pauvreté, il change de sens.

Ce changement ne peut qu’attiser des discours qui relativisent l’importance du phénomène : « si le pauvre est celui qui a son HLM, sa télé, son portable et les aides sociales, alors est-ce vraiment inquiétant ? ». Un discours répandu notamment parmi les catégories modestes et les personnes âgées, qui ont connu des périodes où les revenus étaient beaucoup moins élevés : le seuil de pauvreté d’aujourd’hui équivaut – une fois l’inflation déduite – au revenu médian des années 1970. Les pauvres de 2008 qui se situent juste au-dessous du seuil disposent donc quasiment du niveau de vie des classes moyennes de cette époque. Ces discours alimentent eux-mêmes un changement de perspective : si les pauvres en sont là, c’est qu’ils n’ont pas fait ce qu’il fallait et que la société, à force d’aides, ne les « incite » pas assez à reprendre du travail…

La conception extensive de la pauvreté est lourde d’effets pervers et elle risque de se retourner contre tous ceux qui luttent sur le terrain pour améliorer la situation des plus démunis et qui sont choqués par la situation actuelle. Dans le domaine de la pauvreté, un débat aurait mérité d’être mené. Notamment autour des mesures de pauvreté en conditions de vie, menées par l’Insee et étudiées par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (lire en ligne).

Concrètement, être pauvre aujourd’hui, c’est manquer de quoi ? En France, 7 % des ménages ne peuvent maintenir leur logement à bonne température, 10 % recevoir des amis, 11 % ont un logement bruyant… Et comment tenir compte des coûts de logement ? Avec 880 €, on ne vit pas de la même façon à Paris qu’à Aurillac. Enfin, on pourrait s’interroger sur la pauvreté scolaire. Le système éducatif français reproduit largement les inégalités scolaires selon les milieux sociaux. Contrairement au discours ambiant, le nombre de ceux qui sortent sans qualification se réduit nettement (voir la note du ministère de l’éducation), mais les exigences de nos sociétés s’accroissent. La défense d’un système académique dès les petites classes et élitiste est largement partagée à droite et à gauche de l’échiquier politique, aux dépens des couches sociales les moins scolairement favorisées.

Du point de vue des revenus stricto-sensu, il faudrait distinguer la population pauvre des catégories les plus modestes ou à « bas revenus », comme les qualifie la Caisse nationale d’allocations familiales. [1]. Derrière ce débat sur le seuil de pauvreté, se profile en fait une façon de comprendre la réalité sociale. Il en est de même avec les inégalités, les travailleurs pauvres ou la fracture sociale en général, que certains voient « exploser » en France. Exagérer un phénomène social n’est pas la meilleure solution pour conduire à le résoudre, tant on génère alors d’incompréhension. Pire, cela peut entraîner l’effet inverse.

Distinguer les formes de pauvreté n’est pas une façon de minimiser le phénomène en se concentrant sur une petite frange d’exclus, qui vivraient en marge de notre société, mais de mieux décrire la réalité sociale. Le reflet inverse de cette situation est une conception restrictive de la richesse aux 1 % les plus aisés (lire "Qui est riche en France") qui a permis ces dernières années d’intégrer les couchées favorisées aux "classes moyennes" (dites "supérieures") pour les faire bénéficier des allègements d’impôts. Le ralentissement économique actuel grossit les rangs des chômeurs, et, à terme, le nombre de personnes démunies, ce qui va amplifier encore les difficultés pour ces populations pour qui il y a urgence à agir.

[1] Voir « 3,4 millions d’allocataires à bas revenus dans les Caisses d’allocations familiales », l’e-essentiel n°76, septembre 2008, Cnaf

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country skinner

Message Mar 10 Fév 2009 - 11:18 par country skinner

Putain, il fait un froid d'enfer ce soir, sur le boulevard Port-Royal. J'arrive devant la tente. Le gars est là, debout, derrière une table. Je m'avance:
_ Bonjour, je viens parce que je vous ai vu dans le Parisien...
Ce matin, en avalant un café, j'ai lu cet article du Parisien (non accessible).
Un homme, qui vit dans la rue, invite les habitants du quartier à partager un repas. « Venir avec son repas », précisait l'article. Moi, je suis venu sans repas. J'ai préféré manger avant. Et là, il y a cinq personnes. Et puis il y a le chien du SDF.

L'homme a disposé une pizza, du coca et une salade au thon sur la table. Il a 27 ans, il s'appelle Tonio. Je l'ai lu dans le Parisien. (Il a un site Internet)
« Je pensais qu'on serait plus nombreux », remarque l'homme. « Je vis dans la rue depuis 9 ans, avec des interruptions ».

Devant lui, une jeune fille s'est arrêtée. Ils raconte. Il a eu une enfance difficile. Beau père policier violent. Il
Il y a aussi deux photographes. En discutant avec eux j'apprends que l'un est de l'agence Sipa. L'autre ne me dit pas pour qui il travaille. Le jeune SDF me demande:
« La rue, vous en pensez quoi? »
Je réponds des banalités. Je ne sais pas quoi dire. Et là, revient cette interrogation: pourquoi il n'y a personne. Enfin, presque. Ils ne lisent pas le Parisien?
« Les gens sont durs », lâche Tonio.
Un des photographe tente une explication:
« Les gens ont peur. Le climat s'est durci. Ils craignent de perdre leur emploi. »
L'autre confirme. On donne moins aux SDF; on ne peut plus donner.

Les photographes prennent Tonio et son chien. Puis des détails. L'affiche où le SDF raconte son histoire. L'article du Parisien. La table, sur laquel des mots sont écrits. Tonio met en ordre les bouteilles de coca.
« Non, laisse-les comme ça », demande l'un des photographes.
Ces deux photographes ont suivi le DAL (Droit au logement) et les Don Quichotte, rue de la banque. Leurs photos n'ont pas beaucoup intéressé les journaux. Ils en ont peu vendu. Je relève:

« Les journaux parlent peu de la précarité. Finalement, c'est le Parisien qui en parle le plus. Aujourd'hui, il y avait plusieurs articles sur le sujet. » J'ajoute: « Libé, par exemple, parle très peu de ça. »
L'un des photographes me contredit. Il y a des sujets sur la pauvreté et la précarité dans Libé. Ils ont passé une de ses photos.

Tonio connaît Augustin Legrand et les enfants de Don Quichotte. Mais il n'a pas pu trouver un logement. Un des photographe explique qu'un homme célibataire passe après après une famille et après une femme seule, dans les critères d'attribution de logement. Tonio s'éloigne de nous. Il va sonner à l'interphone de l'immeuble voisin. Des « voisins » ont promis de descendre. Ils arrivent. Ce sont des ados. Ils apportent des pop corns et du coca. Les photographes continuent de tourner autour de nous.

Tonio sert du coca à ses voisins. C'est le moment que je choisis pour me retirer. Je lui serre la main.
Je rentre. Je remonte le boulevard Port-Royal. Je rentre chez moi. J'allume l'ordinateur. Il fait chaud.

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country skinner

Message Mar 10 Fév 2009 - 5:41 par country skinner

Donald a écrit:Ta reflexion m'interpelle un peu : pourquoi s'intéresser à la misère du monde et occulter celle qu'on a sous le nez ?
Tu te méprends mon cher : Quand je dis que je n'ai pas cherché, c'est de la recherche d'articles traitant de ce sujet que je parle. Pas de la misère elle même. Mais ta question vaut évidemment pour l'ensemble des médias qui parlent peu (ou pas) de sujets qui fachent Toupty 1er et sa clique (ou qui donneraient mauvaise conscience au lecteur ?). J'imagine d'ailleurs que cet article sur les japonais ne doit pas courir les pages des journaux locaux. Vive la contre information...

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Donald11

Message Lun 9 Fév 2009 - 21:27 par Donald11

country skinner a écrit:Pour la France je n'ai encore rien vu sur le web (mais j'ai pas cherché... Il y a l'observatoire des inégalités, mais c'est des stats qu'il faudrait analyser en détail)
Les restos du coeur, Emmaus et quelques autres, ça doit déjà pouvoir donner un aperçu du désastre, non ?!!!! Ta reflexion m'interpelle un peu : pourquoi s'intéresser à la misère du monde et occulter celle qu'on a sous le nez ? Est-ce un défaut intellectuel ou la peur de sombrer dans ses filets ? Mais pas de raccourci désobligeant : la misère du monde entier m'interpelle aussi .... Et Chinois, Japonais, Africains ou Français, le petit peuple n'est qu'une variable d'ajustement sans importance .... Chair à canons ou chair à usines puantes .... ou chair à consommer sur place .... D'ailleurs, d'après un éminent justicier de la bourgeoisie bien pensante, les ch'tis sont tous pédophiles, de mère en fils et de père en fille !!!! Je ne suis pas loin de penser que, si nous avions notre petit hitler aujourd'hui, les rafles pour une petite épuration tourneraient à plein régime !.... Pouvoir centralisé, état policier, flicage à tous les coins de rue, haine de l'autre, clanisme généralisé .... et individualisme égoïste à tous les étages ... Surtout ne pas tomber pour ne pas se faire écraser par des bottes amies ....
Je sais, c'est mon inaltérable optimisme qui resurgit !

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country skinner

Message Lun 9 Fév 2009 - 17:01 par country skinner

Pour la France je n'ai encore rien vu sur le web (mais j'ai pas cherché... Il y a l'observatoire des inégalités, mais c'est des stats qu'il faudrait analyser en détail)

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brusyl

Message Lun 9 Fév 2009 - 16:51 par brusyl

tu nous as posté la situation dramatique des sans-abris :
- En Oregon
-Puis au Japon maintenant
Quid des français ? impossible d'avoir des chiffres ? rétention d'information de la part des medias ?

bien possible.....

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