cybermaquis
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Le Deal du moment :
Display Star Wars Unlimited Ombres de la Galaxie : ...
Voir le deal

De Tarnac à Tchernobyl en passant par Wall Street

Aller en bas

02022009

Message 

De Tarnac à Tchernobyl en passant par Wall Street Empty De Tarnac à Tchernobyl en passant par Wall Street




Par Frédéric Neyrat •

http://philosophie.blogs.liberation.fr/noudelmann/2009/01/de-tarnac-tcher.html#more

Crise, être plongé dans la crise, sortir de la crise... Le minimum conceptuel consisterait aujourd’hui à mettre en crise le concept de crise, à décider de ne plus l’employer. Véritable signifiant bouche-trou, il dit moins et plus qu’il ne faut, comme dans le cas de la dite “crise financière”.

Il dit trop peu parce qu’il atténue la gravité des événements qu’il est censé décrire: nous ne traversons pas une “crise du capitalisme”, mais un effondrement annoncé de notre mode de subsistance. Nos manières de vivre et de continuer à vivre. Cet effondrement programmé dépasse largement la question du mode de subsistance de la sphère financière et engage l’économie tout entière dans ses rapports aux matières premières, aux territoires, aux habitations, aux énergies et à la nourriture, autrement dit à l’écologie globale.
L’écologie physique et psychique du Globe, de l’Hydroglobe aux flux interconnectés, à la communication panique, épidermique, virale et virulente. Quand la totalité d’un monde et des manières d’être qui s’y rapportent est sollicitée par des événements susceptibles d’y inscrire une solution de continuité, ce n’est pas de crise qu’il faut parler, mais de catastrophes. De catastrophes en cours.

Pourtant le terme de crise dit aussi plus qu’il ne faut. Il semble dire que quelque chose serait vraiment sur le point de changer, engageant dès lors son sens étymologique (la krisis comme “jugement”, “décision”). Or cela fait bientôt un demi-siècle que se met progressivement en place une nouvelle forme de “gouvernementalité”, de “rationalité politique” précisément axée sur la questions des risques et des crises. Depuis la fin du siècle dernier, cette nouvelle gouvernementalité a désormais intégré la gestion des catastrophes, des phénomènes extrêmes – climatiques, épidémiques, “terroristes”, etc. - comme une donnée régulière.

L’exceptionnel n’est pas seulement devenu la norme, comme on le répète aujourd’hui de façon somnambulique après Walter Benjamin, car les normes et les exceptions de naguère ont laissé la place à un Dispositif inédit, qui les reconfigure profondément. On peut nommer biopolitique des catastrophes la gouvernementalité qui, bien au-delà de la question “néo-libérale” des risques, fait de la catastrophe le point à partir duquel s’agence l’ordre politique, le nouveau nomos global. Pour exemple, la National Security and Homeland Security Presidential Directive promulguée en mai 2007 aux U.S.A., qui suspendrait le gouvernement constitutionnel en installant des pouvoirs dictatoriaux étendus sous loi martiale dans le cas d'une “urgence catastrophique” — soit, dit la directive, n'importe quel “incident” pouvant “affecter la population, l'infrastructure, l'environnement, l'économie ou les fonctions gouvernementales des U.S.A.”. Reste dès lors à relier biopolitique des catastrophes et solution de continuité, installation du nouveau nomos et abolition d’un mode de subsistance.

Voici notre hypothèse: de nombreux chefs de gouvernements, instances internationales et experts déclarés ont aujourd’hui clairement accepté l’idée de l’irréparable, changements climatiques, guerres de l’eau à venir, l’augmentation irrésistible des exils écologiques et économiques, etc. Un nouveau partage et une nouvelle distribution – un nomos donc – sont en cours. Ce sont des programmes d’adaptation aux bouleversements anticipés qui s’installent sous nos yeux. Et c’est dans ce cadre qu’il faut désormais penser la mise en place des lois et des structures dites “anti-terroristes”: leur fonction est d’agencer la surveillance, le contrôle, l’emprisonnement des populations sous condition catastrophique, qu’ils soient de lointains exilés ou des affamés de l’intérieur (ces deux catégories étant superposables et réversibles: dans un monde globalisé, comme sur un ruban de Mobius, tout élément intérieur est en même temps un élément extérieur).

La visée du nomos global est de tenter de retrancher des groupes privilégiés du “reste” des populations, de créer des poches d’immunité, une Green Zone comme en Irak. Pourtant, à la fin, il faut quitter l’Irak, Obama va le faire, et l’on pense d’ores et déjà à quitter la Terre – mais ce sera nettement plus difficile. Car on sait bien que la biopolitique des catastrophes est condamnée à l’échec, que l’adaptation sera désastreuse, qu’aucune “classe” ne s’en sortira et que les velléités de désobéissance sont désormais monnaie courante, au point de rendre tendanciellement impossible tout contrôle efficace. Mais règne, hélas, l’antinomie du jugement immunologique: d’un côté je sais que je fais complètement partie du monde, de l’Hydroglobe, du Flux intégral et des comportements mimétiques qu’il génère ; de l’autre je crois m’en excepter, “il ne m’arrivera rien, je suis en sécurité”, je vote pour Sarkozy.

Les gens de Tarnac auront ainsi expérimenté à leur corps défendant l’un des aspects de ce nouveau nomos. Ils ne seront pas les derniers. Tant que l’on continuera à simplement rabattre les lois anti-terroristes sur des lois répressives, liberticides, policières sans comprendre la nouvelle fonction de la police, on restera incapable de les combattre. Ce qu’il faut combattre est la Condition Catastrophe. A la fois les origines des désastres économiques et écologiques, leurs réponses gouvernementales, et le clivage immunologique qui rapporte inconsciemment les unes aux autres. De fait, c’est la même chose. Les Grenelle de l’Environnement, c’est Tchernobyl. Le capitalisme vert, c’est la famine. Les lois anti-terroristes, c’est la liberté sur les dents.

Frédéric Neyrat, philosophe, est l'auteur de Biopolitique des catastrophes (MF 2008), L'Indemne : Heidegger et la destruction du monde (Sens et Tonka 2008), Surexposés : le monde, le capital, la Terre (Lignes Manifestes 2005).
country skinner
country skinner
Admin

Nombre de messages : 2423
Date d'inscription : 17/07/2008

Revenir en haut Aller en bas

Partager cet article sur : reddit

De Tarnac à Tchernobyl en passant par Wall Street :: Commentaires

country skinner

Message Lun 2 Fév 2009 - 17:03 par country skinner

Je te disais sur le chat que la réflexion me semble un peu elliptique.

De nombreux chefs de gouvernements, instances internationales et experts déclarés ont aujourd’hui clairement accepté l’idée de l’irréparable, changements climatiques, guerres de l’eau à venir, l’augmentation irrésistible des exils écologiques et économiques, etc. [...] Et c’est dans ce cadre qu’il faut désormais penser la mise en place des lois et des structures dites “anti-terroristes”: leur fonction est d’agencer la surveillance, le contrôle, l’emprisonnement des populations sous condition catastrophique [...] La visée du nomos global est de tenter de retrancher des groupes privilégiés du “reste” des populations, de créer des poches d’immunité...

Autant je comprends cette partie sur les "lois d'exceptions" comme devenant la norme de gestion politique d'un état de "catastrophisme" permanent, autant je trouve abrupte la partie concernant l'opposition à ce système politique :

On sait bien que la biopolitique des catastrophes est condamnée à l’échec, que l’adaptation sera désastreuse, qu’aucune “classe” ne s’en sortira et que les velléités de désobéissance sont désormais monnaie courante, au point de rendre tendanciellement impossible tout contrôle efficace.

Là il manque manifestement tout un pan d'analyse des rapports de force et de leurs capacités à faire évoluer cette dialectique d'opposition (désobéissance) soumission (illusion d'immunité). Le paragraphe sur ce qu'il faut faire est abscons (ou alors trop subtil pour ma compréhension) :

Ce qu’il faut combattre est la Condition Catastrophe. A la fois les origines des désastres économiques et écologiques, leurs réponses gouvernementales, et le clivage immunologique qui rapporte inconsciemment les unes aux autres

Revenir en haut Aller en bas

brusyl

Message Lun 2 Fév 2009 - 16:37 par brusyl

le capitalisme en phase terminale ? un effondrement comparable à celui de l'empire romain et au passage de l'état centralisé, jacobin (Rome) à une économie de subsistance autarcique et un système social de proximité (c'est ce que préconisent certains écolos et altermondialistes depuis un certain temps) ? peut-être, mais il ne faut pas nous leurrer :les acteurs dominants , les chefs des grosses multinationales, les états, les représentants du "nouvel ordre mondial, feront tout ce qu'il est techniquement possible pour garder le système tel qu'il est et provoqueront si nécessaire les "catastrophes" dont parle l'article pour sauvegarder le système et donc leur pouvoir...
les tensions policières que décrit l'article étant peut-être un moyen d'habituer les populations à une mise en place d'un système de gouvernement autoritaire...
Mais bon, on est là en pleine politique-fiction. Je voudrais juste rappeler que la gestion des catastrophes ne date pas d'aujourd'hui : ainsi par exemple, depuis 1958 nous sommes sous une constitution qui prévoit, dans son article 16, :" Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par les circonstances" c'est à dire, donne les pleins pouvoirs au président de la république...
Nous avons eu jusqu'à présent des présidents qui respectaient assez la démocratie et nos institutions pour ne pas utiliser cet article (il n'a été mis en application qu'une seule fois, en 1961, lors des "évènements" d'Algérie).....
et on pourrait estimer que l'actuel président de la République ne l'utilisera pas non plus car il dispose en fait de la réalité et de la plénitude de ces pleins pouvoirs, sans avoir eu besoin de recourir à l'article 16 ......

Revenir en haut Aller en bas

Message  par Contenu sponsorisé

Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum