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La guerre des retraites n’a pas eu lieu

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03112010

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Samedi 30 octobre 2010
Par André Gunthert

Il s’est passé quelque chose en France au mois d’octobre? Si l’on en jugeait par les dernières couvertures des magazines (voir ci-dessus), pas de quoi fouetter un chat. Seul L’Obs cherche une porte de sortie. A la télé, Nicolas Sarkozy fait penser au personnage de César dans Astérix, lorsqu’il glisse sous le tapis ses défaites à répétition face aux irréductibles Gaulois.

Ah, mais pas du tout! C’est toute la différence! Sarkozy a gagné… Et c’est là qu’on aperçoit le défaut du scénario. Gagné quoi, puisqu’il n’y a pas eu de conflit? Tout comme on est passé d’un jour à l’autre de la négation de la pénurie d’essence à la réclamation de l’arrêt des blocages, revendiquer la victoire suppose d’avouer qu’il y a eu une guerre.

La guerre des retraites a-t-elle eu lieu? A l’exception de l’Humanité ou du Monde diplo, la presse a joué profil bas. Triomphe de l’iconographie de la pompe à essence, en pied, de profil, ou en sauce (ci-dessous, à gauche). Du coup, en arrivant sur The Big Picture du Boston Globe, les internautes découvraient avec stupéfaction les photos d’une insurrection glorieuse, aussi épique que Mai 68 (ci-dessous, à droite).

Ne pas tomber dans le piège des images. Les allégories du Boston Globe proposent une vision du conflit qui n’est pas moins stéréotypée que les photos qui évitent de le montrer. Mais ce que raconte cette iconographie dans son ensemble, c’est que le récit de l’insurrection n’a pas trouvé preneur en France. Face à l’ampleur inattendue d’une contestation en profondeur, la presse a choisi de minimiser, par les mots et les images, un mouvement souvent ramené à ses aspects les plus superficiels.

La résistance à l’héroïsation s’est manifestée de bien des manières. Le floutage des visages des manifestants, supposé préserver leur identité et leur droit à l’image, a été utilisé délibérément pour faire glisser la revendication légitime vers l’horizon de la violence ou de la délinquance. On a également assisté au décryptage in vivo de la figure traditionnelle de la Marianne, inventée en mai 68 par Jean-Pierre Rey et devenue depuis un classique de l’iconographie revendicative. Démonter le mécanisme allégorique alors que le conflit est en cours est une forme originale d’éditorialisation qui contrarie la vision épique de la manifestation.

La grille de Mai 68 était pourtant dans tous les esprits. Quel seuil, quel signe, quelle preuve attendait-on pour oser faire le parallèle? A l’Elysée, les conseillers ont été moins craintifs que les journalistes: c’est bien l’œil fixé sur ce précédent qu’ils ont piloté la gestion du conflit. Comme pour la fronde des enseignants-chercheurs, inflexibilité et pourrissement ont été les armes utilisées pour remobiliser la droite contre la chienlit. De Gaulle n’était-il pas sorti grand vainqueur des législatives en juin 1968?

Un calcul trop bien huilé, qui s’est heurté à la pusillanimité du traitement médiatique. Sarkozy n’a gagné que la guerre des pompes. Une escarmouche. Pas de quoi effacer les ravages de mamie Lilliane et du “président des riches” – qui sera finalement la signature de la défaite en 2012.

L’inflexibilité, c’était bon pour De Gaulle. Mais qui, à part Xavier Bertrand, voit Sarkozy en Père de la Nation? Les dégâts sont immenses. Quand Eric Woerth s’empare du mot “démocratie” pour protéger la confiscation du dialogue, on touche le fond du désastre. Plus aucune parole politique crédible ne peut sortir de ce trou noir du mensonge qu’ont fabriqué les gouvernants.

A côté des pompes emblématiques, une image qui restera du mouvement d’octobre est ce “ninja” qui saute à pieds joints sur un manifestant, sous le regard des caméras. Une acrobatie qui a fait renifler la provocation de policiers en civil. Que TF1 ou Paris-Match (ci-contre) décrivent illico presto l’homme masqué comme un “casseur” n’a fait que renforcer les soupçons de ceux qui y voient la main de l’Etat. Avec une justice qui a démontré sa soumission, on se demande quel procès pourra les convaincre qu’il ne s’agit pas d’un membre du RAID.

Sarkozy avait fait campagne sur la restauration de la “valeur travail”. Or, c’est bien la défense du travail comme valeur et le refus de sa métamorphose en un long esclavage qui expliquent l’ampleur de la mobilisation. La rigidité et le mépris du gouvernement ont fait apparaître comme une farce ses proclamations démocratiques et sociales. Non, le président, qui n’a plus pour arme que de convaincre les convaincus, ne sort pas vainqueur de ce conflit. Plus il a fait mine d’ignorer la fronde, plus le mouvement social a démontré son imposture.

La guerre des retraites a bien eu lieu. Comme l’ont justement perçu les syndicats, c’est le mouvement social qui a gagné «la bataille de l’opinion». Ce n’est pas parce que l’appareil d’Etat appliquera de force la réforme que l’on va se persuader de son bien-fondé. Le peuple est vaincu – mais pas convaincu. Ce qu’ont montré les sondages, mais aussi les conversations au quotidien, c’est que la perception populaire des enjeux s’est formée, comme en 2005, contre le consensus politico-médiatique. Cette leçon précieuse fait apparaître un autre paramètre, qui est celui de l’expérience comme critère en dernier ressort. Il y a fort à parier que ce critère jouera un rôle déterminant lors des prochaines batailles électorales.

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brusyl
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