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Manuel de destruction culturelle, chapitre 1: l'université

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12012009

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Manuel de destruction culturelle, chapitre 1: l'université - Page 2 Empty Manuel de destruction culturelle, chapitre 1: l'université




Manuel de destruction culturelle, chapitre 1: l'universitéPar Pierre Jourde (Écrivain)



Dans une grande université de la région parisienne, et elle est loin d'être la seule, des professeurs ou des maîtres de conférences (agrégés, docteurs, chercheurs, etc.) passent beaucoup de temps à délivrer à leurs étudiants des cours d'orthographe (ailleurs, c'est de la syntaxe). Parce qu'on a fini par admettre, devant l'étendue des dégâts, qu'il fallait bien rédiger un peu correctement pour faire des études supérieures de Lettres. Voilà où en est l'université, voilà à quoi elle sert. Comme on ne peut pas sélectionner à l'entrée, et qu'on doit donc accepter tous les étudiants à la fois titulaires du baccalauréat et incapables de rédiger une phrase (ce qui fait énormément d'étudiants), on emploie des chercheurs de haut niveau à apprendre les règles d'accord du participe passé et les conjugaisons. Logique. L'université ne doit pas sélectionner, mais elle doit, en même temps, délivrer des formations professionnalisantes. A ceux qui exigent que l'université professionnalise sans sélectionner, il faudrait demander s'ils accepteraient d'être opérés par un chirurgien qui a rejoint la profession sans sélection. Ou que leur enfant reçoive l'enseignement d'un instituteur recruté sans sélection. Eh bien c'est pour demain

S'il faut professionnaliser sans sélection, laissons tomber l'orthographe, et même la littérature en général. Ou alors, il faut appliquer au supérieur la méthode préconisée par M. Darcos en primaire: est-il vraiment nécessaire d'avoir recours à un agrégé, docteur ès lettres, habilité à diriger les recherches, pour enseigner l'accord du participe passé? Un certifié fera largement l'affaire. Mais là, nous avons un problème. Avec la réforme des concours concoctée par le ministère, un certifié de lettres aura une parfaite connaissance du système éducatif, et des notions rudimentaires de langue, de culture générale et de littérature. Il n'aura donc pas les capacités pour assurer un cours d'orthographe. Exagération? Pas du tout, si l'on en croit l'orthographe, le niveau de langue et de culture du candidat moyen au Capes, voire, de plus en souvent, l'orthographe de certaines annotations de professeurs sur les bulletins scolaires[1].



La formation universitaire des professeurs obéira à la même logique que celle qui préside au recrutement des fonctionnaires, et à la politique de formation en général: fabriquer des visseurs de boulons, qui ne pensent pas plus loin que leurs boulons. Sur ce point, la politique gouvernementale rejoint les vœux de certains héritiers de Bourdieu qui se sont exprimés sur la réforme des concours de la fonction publique: pour eux, la culture générale est discriminatoire, car elle est l'apanage des enfants de la bourgeoisie. La Princesse de Clèves au programme d'un concours de la fonction publique? Le sémillant André Santini se révolte. Quel scandale! Discrimination! D'ailleurs, la Halde[2] est de cet avis. En gros, André Santini et Pierre Bourdieu, même combat. Donc, pas de culture générale aux examens, pas de culture générale durant vos études. Inutile, bien entendu, d'imaginer que l'on puisse tenter d'enrichir la culture générale des individus issus des classes populaires. Vous ferez votre boulot, et pour le reste, il y a la télévision. C'est un idéal social. Heureusement qu'André Santini ne lit pas le New York Times. Il y apprendrait qu'aux Etats-Unis, on revient à la culture générale pour les études médicales. Cela donne de meilleurs médecins, paraît-il. Mais nous, en France, nous sommes plus malins. Formons donc des policiers incapables de rédiger (bonjour Outreau), des fonctionnaires bornés et des médecins limités, pour qui l'homme n'est qu'un ensemble d'organes. C'est de ça qu'on a besoin. De quoi d'autre? La culture, ce n'est pas l'accès à l'humain, c'est juste de la distinction sociale, n'est-ce pas. La maîtrise du langage, ça ne sert à rien. Visser boulon le jour, avaler Cauet le soir. Là, on n'est pas discriminé. Tout le monde il est égal, tout le monde il est décérébré

Eh bien il n'y a pas de raison que l'université seule perpétue la discrimination. Nous aussi, à l'université, nous avons le droit à l'abrutissement. Réclamons-le haut et fort. Les réformes des concours d'enseignement, du cursus universitaire et du statut enseignant vont dans ce sens. Le nouveau professeur certifié devra connaître parfaitement l'organigramme administratif de l'éducation nationale, il sera recruté là-dessus, c'est de ça qu'il a besoin. Beaucoup moins de culture, instrument de distinction sociale. Les agrégés seront recrutés au terme d'une formation plus courte, qui intégrera plus de théorie pédagogique. En revanche, on économise l'année de stage. Ce n'est pas utile, pour un enseignant, de se former par un stage. Et puis surtout, ça revient cher, c'est là le problème. Au boulot à temps plein tout de suite, avec de la théorie pédagogique et une bonne connaissance du système éducatif, ça devrait fonctionner, non[3]?

Certes, on conservera des bouts de stage, mais avant le concours. De petits passages rapides dans une classe. Tout cela pour tous les étudiants en formation. Ce qui fait du monde, tellement de monde même qu'on n'aura pas la possibilité matérielle d'organiser correctement ces stages, mais au fond quelle importance?

Reste le cas des universitaires eux-mêmes. Ils ne seraient pas un peu cultivés? Ce ne serait pas de la distinction sociale, ça? En outre, ces fainéants prétendent faire de la recherche. Mais est-ce bien sûr? Il faudrait vérifier ça. L'autonomisation des universités consiste, en gros, à contrôler de plus en plus l'activité des universitaires, et à les faire dépendre toujours plus des autorités locales. Désormais, l'universitaire, déjà quasiment métamorphosé en rond-de-cuir à réunions et paperasses, passera son temps à pondre des projets, des évaluations et des rapports d'activité, c'est-à-dire à avouer ce qu'il fait et ne fait pas à l'inquisition publique. On a beau crier sur tous les tons que la liberté et le temps sont nécessaires à la recherche, rien n'y fait, l'obsession ministérielle est de contrôler. Un universitaire exerce trois métiers, enseignant, administrateur et chercheur. C'est déjà beaucoup. Mais on en distingue, dans le fond, un ou deux qui ne cherchent pas assez. Qu'ils enseignent donc plus. Cela s'appelle, dans la réforme, la «modulation des services».

En réalité, l'immense majorité des universitaires consacre déjà beaucoup de temps à la recherche. Le temps que leur laissent l'enseignement et la bureaucratie démultipliée par les diverses lubies tracassières des ministères ne suffit plus. Il faut chercher le soir, le samedi et le dimanche. En d'autres termes, si les autorités laissaient les universitaires tranquilles, ils pourraient chercher plus. Mais c'est constamment l'inverse qui se passe. Si une petite partie d'entre eux s'investit moins dans la recherche, cela ne justifie en rien une réforme des statuts, dont on a toutes les raisons de soupçonner qu'elle cherche, une fois de plus, à alourdir une charge de travail déjà considérable.



Cette réforme, qui entend compenser recherche et enseignement, part d'une méconnaissance totale de la réalité concrète de l'université, ce qui est un trait constant des politiques français et de ceux qui les conseillent. A l'université, recherche et enseignement, pour une part notable, ne se différencient pas. Comment comptabilisera-t-on les directions de recherche? Les déluges de mémoires à lire? Les soutenances de thèses? Les directions d'école doctorale? Les interventions dans des séminaires pour exposer une recherche en cours? Les directions de revues et de collections? Les organisations de colloques? Recherche? Enseignement? Administration? Et comment mesurer une recherche? Si vous vous consacrez cinq ans à un grand livre, vous ne faites rien de visible. Donc on vous accablera de charges. Si vous êtes plus malin, vous publiez des tombereaux d'articles creux. Ça ce voit, ça se mesure bibliométriquement: vous êtes un chercheur.

Ce qui sous-tend en réalité cette réforme, c'est que le ministère a bien compris la philosophie de ce gouvernement. Si la culture est une vieillerie discriminatoire, alors les universitaires sont des inutiles qui coûtent cher. Leur seule fonction consiste à occuper quelques années les centaines de milliers de jeunes gens qui n'ont pas eu accès aux grandes écoles. Avec plus d'heures d'enseignement, ils pourront donner plus de cours d'orthographe ou de connaissance du système éducatif au lieu de se consacrer à la recherche.

Afin de mieux les mettre au pas, la réforme remet entre les mains des présidents d'université leur recrutement, leurs services et leur promotion, dont une partie relevait autrefois du Conseil National des Universités. Ce qui est désopilant, dans cette mille cinq centième réforme, c'est qu'elle entend, comme les autres, remédier aux maux incontestables dont souffre l'université. L'un de ces maux, universellement pointé depuis des années, tient au clientélisme local. Par conséquent, excellent gag, la réforme s'empresse de renforcer autant que possible les conditions de ce clientélisme. Le roi-président n'aura plus qu'à distribuer les prébendes à ses courtisans, pour des motifs, bien entendu, qui seront tous directement en rapport avec l'excellence de la recherche et la qualité de l'enseignement. Qui pourrait penser autrement?

A l'horizon de cette réforme, qui s'inscrit dans la parfaite continuité des précédentes entreprises de démolition, l'université devient une sorte de lycée, où des enseignants bien soumis à la hiérarchie locale formeront des instituteurs bas de gamme, pauvres en culture générale mais riches en connaissances bureaucratiques. L'université se définissait autrefois par la liberté, le savoir, la recherche et sa transmission. Il fallait bien en finir avec ces conceptions discriminatoires.


http://bibliobs.nouvelobs.com/20090109/9827/manuel-de-destruction-culturelle-chapitre-1-luniversite#_ftn1
brusyl
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Manuel de destruction culturelle, chapitre 1: l'université :: Commentaires

Mister Cyril

Message Mer 14 Jan 2009 - 14:11 par Mister Cyril

Sujet passionnant ma belle...mais franchement il faudrait un débat "en live" pour entamer une telle discussion sans fin...par contre dire comme Country (mais j'ai peut être mal compris) que "la reproduction sociale" était une connerie me laisse sans voix. Encore une fois il ne s'agit pas d'un déterminisme "physique" mais des processus culturels et cognitifs qui laissent peu de doute sur la transmission élitiste des savoirs...mais on peut toujours croire que la poignée d'autodidactes et "self made men" l'emporte sur la masse des individus FORTEMENT imprégnés des dynamiques de la reproduction sociale...j'ai comme l'impression Brusyl que tu as détourné une citation de country, il a pas pu traiter ainsi Bourdieu de con, est-ce-que j'insulte les banquiers moi?
bizzz

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brusyl

Message Lun 12 Jan 2009 - 19:12 par brusyl

la culture de qui ? Reproduction des "élites" ? Bourdieu dit des conneries .....

Je ne me risquerai pas à démonter la pensée de Bourdieu en ce qui concerne l’éducation : elle a par ici de trop fervents défenseurs et je ne la connais pas assez en détail pour tenir la discussion :
Je connais toutefois les grandes lignes de sa pensée :
Que résume parfaitement cet extrait :
« Tout système d’enseignement institutionnalisé (SE) doit les caractéristiques spécifiques de sa structure et de son fonctionnement au fait qu’il lui faut produire et reproduire, par les moyens propres de l’institution, les conditions institutionnelles dont l’existence et la persistance (autoreproduction de l’institution) sont nécessaires tant à l’exercice de sa fonction propre d’inculcation qu’à l’accomplissement de sa fonction de reproduction d’un arbitraire culturel dont il n’est pas le producteur (reproduction culturelle) et dont la reproduction contribue à la reproduction des rapports entre les groupes ou les classes (reproduction sociale). »

L’action pédagogique s’exercerait donc comme une «violence symbolique» : la classe dominante imposant dans le domaine de l’éducation son arbitraire qui n’aurait d’autre but que de légitimer et perpétuer sa domination sociale….
Nos hussards de la république concevaient l'école comme le moyen privilégié de réparer cette inégalité des acquis entre les enfants , de leur permettre d'échapper à la détermination de classe et de trouver leur place dans la société : elle faisait partie du système qui devait donner sa cohérence à la société.
Bourdieu , en dénonçant la véritable mission de l’école qui est de reproduire l’ordre social, en pointant l’imposition d’un arbitraire culturel comme le grand responsable de cette injustice, s’interdit par là-même de proposer une autre orientation au système. Dénonçant les idéologies comme des «violences symboliques»il ne ne peut lui-même recourir à ce genre de violence, il devient prisonnier de sa propre dénonciation.

Comment expliquer, alors que les théories de l’éducation de Bourdieu se sont largement diffusées dans le monde de l’éducation, au sein notamment de nos chères IUFM, que l’enfant a été placé au centre du processus éducatif, que les injustices dénoncées par Bourdieu soient encore plus criantes ? l’école joue de moins en moins son rôle d’ascenseur social, perd, au dire de tous les enseignants sa qualité, que nos écoles, nos universités qui étaient jusqu’à présent honorablement classées perdent chaque années des places dans le classement international ? que nos enfants les délaissent massivement pour se tourner vers les grandes écoles qui ont toujours été et sont toujours elles de véritables machines de reproduction de l’élite ?

La théorie Bourdieu a cassé un enseignement qui faisait l’objet d’un large consensus, qui était réellement un instrument de progression sociale (car l’ascension sociale de la troisième république : grand père cultivateur, père instituteur, fils professeur d’université a été tout à fait réelle) a cassé ce socle de « culture générale « qui faisait consensus et notre système éducatif en crève depuis puisqu’il ne trouve rien de cohérent pour le remplacer (la preuve en serait la succession tragique des réformes de l’enseignement )

Ces analyses marxistes figent terriblement la réalité sociale : Bourdieu a par exemple longuement développé la domination culturelle opérée sur la femme par l’homme : il n’a pas vu le changement profond opéré ces dernières décennies dans son statut . Comme toutes les théories marxistes et c’est je crois le plus fort reproche qu’on peut leur faire, Bourdieu n’intègre pas le changement, il déconstruit le "processus de reproduction" mais il n’aborde en aucune manière le problème de la reconstruction. Or nous vivons dans des société où le changement est de plus en plus rapide et nous nous apercevons douloureusement que tout changement n’est pas un progrès.

Alors rapprocher Bourdieu et Santini ne me semble pas si idiot que cela : (de la même façon que ce sont d’anciens trotskystes qui se sont convertis à la pensée néoconservatrice américaine : même vision manichéenne, même vision millénariste de l’histoire,même ignorance des effets du changement social, même foi en l’idée de la lutte, de la guerre permanente et une foi inébranlable en leur dogme qu’aucune réfutation par les faits ne peut atteindre ): l’un et l’autre ont tout intérêt à la destruction de la culture générale : la culture « classique » transmettait un patrimoine suffisamment universel pour être tenu pour patrimoine de l ‘humanité : il avait le mérite de montrer à l’élève qu’il appartenait à un moment (l’histoire) et à une communauté…
Le savoir apparaissant comme un instrument de domination d’une classe sociale, on a cassé cette culture « bourgeoise »Les principes de l'école républicaine, donner à tous une instruction commune pour combattre les inégalités, pour assurer la promotion sociale ont cédé devant cette critique.
Cela arrange que trop les néoconservateurs qui nous gouvernent actuellement pour lesquels « la rentabilité », la « loi du marché » est le seul appareil de mesure de l’action politique. La culture classique n’a aucun intérêt économique immédiat et présente au contraire le grand inconvénient de former des cerveaux réfléchissants et critiques…
Sur ce point, nous nous rejoignons....
Je pense pas être une "has been" intégrale, pensant qu'il faudrait revenir à l'école de papa... mais je pense que notre pays ne pourra épargner une grande discussion réunissant tous les professionnels de l'enseignement (primaire, secondaire et supérieur car tout est lié) qui définira les fondamentaux qu'il entend conserver ou développer...

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brusyl

Message Lun 12 Jan 2009 - 16:55 par brusyl

Université : pas de normalisation par le bas
Voici un article moins passionnel, plus argumentatif mais tout aussi critique sur la LRU


Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche vient de diffuser un projet de décret sur le statut des universitaires qui concrétise la loi sur la responsabilité des universités (LRU) - d'autonomie des universités d'août 2007.

Deux réformes majeures sont prévues. D'une part, la possibilité d'une modulation des services d'enseignement est introduite en fonction de l'intensité et du niveau de la recherche de chaque universitaire : avoir une activité de recherche "soutenue" permettrait d'enseigner moins ; ne pas remplir cette condition exposerait à devoir enseigner plus. D'autre part, l'essentiel du déroulement de la carrière (recrutement, avancement, octroi de primes ou de congés sabbatiques et modulation des services) est confié à l'instance universitaire locale, vidant de sa substance le statut de fonctionnaires d'Etat maintenu par le décret pour les professeurs et maîtres de conférences.

Les signataires du présent texte proviennent de disciplines diverses, leurs opinions politiques, leurs appartenances syndicales sont variées, mais ils sont unanimes à considérer qu'un tel projet est, en l'état, inacceptable. Ils ne se mobilisent pas seulement pour défendre leur statut et leurs droits, mais aussi parce que, demain, si les réformes annoncées s'appliquaient, le service public auquel ils sont attachés en serait affaibli, et les premières victimes en seraient ses premiers usagers, les étudiants qu'il leur incombe de former.

Ce projet est d'abord inacceptable parce qu'il repose sur une logique de défiance à l'égard des universitaires, suspectés de ne pas accomplir correctement leur double tâche d'enseignement et de recherche. Faire dépendre le service d'enseignement de critères d'évaluation de la recherche - pour l'instant incertains -, c'est risquer d'assimiler l'activité noble qu'est l'enseignement à une sanction. Cela revient en tout cas à introduire entre les deux missions des enseignants-chercheurs une hiérarchie : ou bien un bon enseignant n'a nul besoin de s'adonner à des recherches, ou bien un chercheur peu productif suffit à faire un enseignant performant.

Ce projet est ensuite inacceptable parce que, à supposer qu'on admette le principe d'une modulation des services liée à une évaluation permanente de l'activité de recherche, les modalités proposées pour cette modulation ne garantissent nullement contre l'arbitraire. Le pouvoir de décision serait en effet aux mains du président d'université (ou du directeur d'établissement) et du conseil d'administration, le second étant conçu par la loi LRU comme un instrument du premier.

Le projet de décret accentue les effets nocifs de la loi LRU, qui a concentré tous les pouvoirs aux mains des présidents d'université. Or dans les universités des pays comparables, si le pouvoir de gestion est entièrement confié à la présidence conçue comme une instance administrative, celle-ci ne détient pas légitimement le pouvoir académique, qui relève des universitaires. En outre, compte tenu des contraintes budgétaires, rien ne garantit que la modulation ne soit le cheval de Troie de l'augmentation du service d'enseignement.

Ce projet est enfin inacceptable parce que, en vidant de son contenu le statut de fonctionnaires d'Etat des universitaires, il porte une grave atteinte aux libertés académiques sans lesquelles il n'y a pas d'universités dignes de ce nom. Depuis des années, le ministère de l'enseignement supérieur s'attaque à la ressource la plus précieuse de l'universitaire : son temps d'autonomie. C'est grâce à lui qu'il peut féconder son enseignement par ses lectures, ses recherches, ses échanges avec d'autres spécialistes, en France et à l'étranger.

Le projet de décret poursuit méthodiquement cette traque de deux manières. D'une part, il vise à transformer l'universitaire en un "employé de l'université" bon à tout faire : non seulement de l'enseignement et de la recherche, mais aussi de la direction d'unités de recherches, de l'ouverture vers l'international, de l'orientation professionnelle, du tutorat, de la levée de fonds, de fonctions d'intendance ou de secrétariat pour lesquelles le personnel administratif qualifié n'est pas assez nombreux. D'autre part, ce texte méconnaît le principe pour lequel le statut de fonctionnaire d'Etat a été conféré aux universitaires : pour garantir leur liberté. Celle-ci est la condition essentielle du développement de leur vocation : associer l'enseignement à la recherche dans un cadre serein et approprié.

Si l'assimilation bureaucratique de l'université à une "entreprise", et de l'enseignant-chercheur à un "employé" comme les autres, ne s'arrête pas, tout le monde y perdra. Non seulement les universitaires, incités à déserter une institution de plus en plus hostile, mais aussi les étudiants, exposés à voir diminuer la qualité de leurs formations en raison de la fuite, déjà entamée, de leurs meilleurs enseignants, et enfin l'université elle-même. Les réformateurs veulent à tout prix normaliser vers le bas une institution qu'ils comprennent mal et à laquelle ils sont étrangers. Rien d'étonnant à cela : ceux qui tiennent la plume du ministre et donc, de facto, celle du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire, sont justement ceux qui ont troqué la toge d'universitaire contre l'habit de conseiller du Prince.

Le ministère n'a jamais été aussi dirigiste que depuis qu'il prétend octroyer aux universités leur autonomie. Il serait grand temps qu'il daigne écouter les universitaires, c'est-à-dire ceux qui "sont l'Université", comme le disait si justement Simon Leys. Ils lui diront le fossé abyssal qui existe entre les beaux discours sur l'excellence, ou encore sur le pari de rendre attractives les universités françaises, et la réalité qui se dessine déjà : celle d'universités abandonnées au féodalisme et au clientélisme d'administrateurs locaux.

Loin d'être partisans du statu quo, nous sommes les mieux placés pour connaître l'ampleur des problèmes rencontrés par l'université et l'urgence de les résoudre. Mais en raison du déséquilibre manifeste qui est ici introduit entre les obligations (étendues) et les droits (restreints) des universitaires, nous demandons au ministère de suspendre la procédure d'édition de ce décret et de procéder à des amendements importants, de façon à redonner à ce statut l'équilibre grâce auquel il est une garantie institutionnelle au profit non seulement des universitaires, mais de l'université.

signé par plusieurs EC de l'université
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/01/05/universite-pas-de-normalisation-par-le-bas_1138017_3232.html

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brusyl

Message Lun 12 Jan 2009 - 15:56 par brusyl

je savais que cet article allait provoquer de la castagne.. mais c'est cela l'intérêt de ce genre de prise de position

L'université ne doit pas sélectionner, mais elle doit, en même temps, délivrer des formations professionnalisantes

Non je ne crois pas que cette phrase indique la vocation éternelle de l'université telle que la conçoit l'auteur mais bien la mission qui est donnée à celle-ci depuis la loi Pécresse (et peut-être même avant, avec la création des masters pros), ce que je pense l'auteur déplore profondément....

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country skinner

Message Lun 12 Jan 2009 - 13:09 par country skinner

L'université ne doit pas sélectionner, mais elle doit, en même temps, délivrer des formations professionnalisantes

Cette double proposition invalide tout le reste de la démonstration. A partir du moment la prémisse est que l'université a pour but de professionaliser, la conclusion est que la culture est accessoire (voire même nocive), la sélection se faisant sur les compétences. Nos sarkopithèques ne raisonnent pas autrement. Et pas un mot sur la nécessité de se donner les moyens d'une acculturation généralisée avant l'accès à l'Université ?

Ou alors c'est un effet de style par antiphrase ? Mais alors le passage sur la sélection par la culture sonne de façon assez douteuse (la culture de qui ? Reproduction des "élites" ? Bourdieu dit des conneries parce qu'il ne souscrit pas à cette idée que l'orthographe serait le signe d'une prééminence intellectuelle ?)

L'université se définissait autrefois par la liberté, le savoir, la recherche et sa transmission
Effectivement. La question à approfondir est de savoir pourquoi un universitaire, face à cette évolution du role social de l'université, ne trouve à mettre en avant que les déficiences orthographiques comme symptôme de cet abatardissement...

On pourrait se demander quel peut être le rôle de l'éducation dans un système économique totalement organisé sur le mode de l'accumulation de la valeur, ce que représente la culture dans ce système (valeurs transcendantes à l'économie, ou idéologie de classe), mais ca serait faire fonctionner la raison critique, qui comme chacun sait est par trop destructrice des illusions qui font survivre et s'adapter...

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