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Marcel Gauchet : "Où sont les lecteurs ? Aux abris en général..."

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07022009

Message 

Marcel Gauchet : "Où sont les lecteurs ? Aux abris en général..." Empty Marcel Gauchet : "Où sont les lecteurs ? Aux abris en général..."




LE MONDE | entretien avec Marcel Gauchet
(qui apporte un vision assez différente du "combat" pour la survie de la presse que ce que l'on a pu lire jusqu'ici)


Historien et philosophe français, Marcel Gauchet est directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et rédacteur en chef de la revue Le Débat (Gallimard). Il est l'auteur de nombreux essais, dont Le Désenchantement du monde (Gallimard, 1985 et Folio). Il a récemment publié Les Conditions de l'éducation (avec Marie-Claude Blais et Dominique Ottavi, Stock 2008).


Après les Etats généraux de la presse, le président de la République a annoncé certaines mesures pour endiguer la crise, mais pour vous cette crise n'est pas seulement de la publicité et de la demande, mais aussi de l'offre ?

Je précise d'abord que je n'ai d'autre titre à m'exprimer sur le sujet que celui de philosophe pour lequel la lecture du journal est la prière du matin, du midi et du soir. Il y a deux choses à distinguer : une question économique et un problème intellectuel de définition de la presse sur papier. Je ne suis pas compétent sur la première question. Bernard Poulet dit l'essentiel à son propos dans La Fin des journaux (à paraître chez Gallimard, le 12 février). Sur la seconde, je crois qu'on a fait fausse route en supposant que tous les lecteurs étaient entrés dans l'ère du zapping – brièveté, proximité, images. On est parti d'une définition très étroite de la demande pour constater à l'arrivée qu'elle n'est pas au rendez-vous. On a d'un côté des lecteurs à la recherche d'un contenu qu'on ne leur offre plus, et de l'autre une presse à la recherche d'un public qui n'existe pas.



Comment analysez-vous ce que vous appelez la tentative d'écrire pour un lecteur abstrait qui n'existe pas ?



Compte tenu du reflux qui les affecte, les journaux tentent d'aller au-devant des lecteurs jeunes, car ce sont les jeunes qui ne lisent plus. L'analyse est que nous sommes dans un environnement, avec l'audiovisuel et le Net, où l'information doit être immédiate, calibrée, prête à l'emploi. La thèse sous-jacente est que les médias ont implanté un mode d'appréhension de l'actualité dans la tête des lecteurs auquel il faut bien se soumettre puisqu'il gouverne leurs attentes. Je ne crois rien de tel, même si c'est vrai pour une partie des publics.

Réduire la taille des articles, privilégier le vécu, se priver de l'expertise de journalistes hautement compétents dans leur secteur est suicidaire. Il ne faut pas déduire du fait qu'on parcourt un gratuit pour lequel on ne paierait même pas 10 centimes qu'on est prêt à acheter le même en mieux – mieux présenté et mieux écrit – pour 1,30 euro. Ce modèle du papillonnement correspond bien sûr à une tendance lourde de notre univers à base de martèlement des nouvelles et de renouvellement constant des images chocs. Mais cette tendance nourrit aussi par contraste le désir d'autre chose. C'est un tel antidote qu'on attend de la presse écrite. Il justifie plus que jamais son rôle.



N'est-ce pas une conception totalement dépassée de la presse ?


Je ne dis pas qu'il faut refaire le Times de 1850 et se passer de réfléchir sur ce qu'impliquent ces nouvelles données de l'environnement, à commencer par le Net. Mais on ne demande pas à un journal d'être Google News. Quand on dit "la presse papier est condamnée", de quoi parle-t-on au juste ? De l'impasse d'un certain modèle économique ou du désintérêt des lecteurs pour le contenu ? Le mélange des deux diagnostics aboutit à la recherche à tout prix de "nouveaux lecteurs" hypothétiques, alors qu'il serait peut-être plus judicieux de se recentrer sur le lectorat motivé.




Vous parlez d'une presse élitiste ?



Le mot ne me fait pas peur. Que demande quelqu'un qui cherche à comprendre l'actualité ? Pas qu'on lui répète ce qu'il peut trouver partout. Il demande de la mise en perspective et du recul, autrement dit de l'histoire et de la géographie. Il est en quête d'une intelligibilité qui exige la connaissance d'un domaine ou d'une région du monde, et qui suppose un certain type d'écriture et de compétence.

Or nous assistons au contraire à un rétrécissement très net du spectre, avec une actualité de plus en plus dépourvue de mémoire et une domination de l'information domestique sur l'information extérieure. Tout cela est provisoire. Je pense que la presse écrite va peut-être devenir, pour un temps, plus confidentielle, mais qu'elle va monter en gamme, de manière à fournir des services plus spécifiques, ce qui ne dispense pas d'une synergie avec toutes les nouvelles technologies.

La presse papier est là, justement pour fournir des clés, pour accroître la capacité d'exploiter toutes ces ressources désormais disponibles. Il y a une demande solvable pour ce rôle, même si elle est aujourd'hui minoritaire. Un véritable entrepreneur, de ceux qui ne suivent pas le troupeau, saurait repartir de cette base restreinte pour conquérir un public plus large. Après tout, c'est ni plus ni moins le trajet qu'a suivi Le Monde de Beuve-Méry dans l'après-1945.



Pourquoi croyez-vous à la survie du papier et de la presse, à un moment où, sur le Net, chacun se croit journaliste ?



Il est vrai que chacun peut aujourd'hui s'adresser directement à la Terre entière. Mais en pratique, où sont les lecteurs ? Aux abris, en général ! C'est un moment, pas un modèle. Ce que démontre le "tous journalistes" est précisément, a contrario, qu'il y a un vrai métier de journaliste. Qu'il faut redéfinir profondément, mais qui va sortir vainqueur de cette confusion car on aura de plus en plus besoin de professionnels pour s'y retrouver dans le dédale et nous épargner de chercher au milieu des 999 000 prises de parole à disposition. Il ne faut pas induire de l'amateurisme global la pulvérisation intégrale du professionnalisme. C'est l'inverse qui va se produire. Le moment actuel est un passage. Mais à l'arrivée, le niveau d'exigence à l'égard de la presse sera plus élevé et non plus bas.

Quant à la question du papier, il est évident que pour les journaux comme pour les livres, le papier est devenu inutile dans beaucoup de cas. Pour l'information de proximité notamment. Pour le renseignement. Il est beaucoup plus pratique d'avoir accès à certaines données en quelques clics, que d'avoir dix volumes d'une encyclopédie chez soi. Mais ces informations ponctuelles ne dispensent pas d'une recherche d'intelligibilité.

Celle-ci suppose un rassemblement raisonné des données ou des points de vue, l'analyse, l'argumentation, bref, du texte suivi pour lequel le papier demeure un support privilégié. La preuve, dès que vous découvrez un texte intéressant sur le Net, vous l'imprimez. La consommation de papier ne diminue pas, au contraire.

Dans l'autre sens, si les lecteurs de journaux vont si volontiers sur le Net, c'est aussi parce qu'ils sont convaincus qu'un survol hâtif leur suffira. C'est ce partage qui est en train de se chercher. Il oblige à repenser ce qu'on attend de la presse sur papier. Elle doit se concentrer sur ce qu'elle a d'irremplaçable. Il y a un mystère à élucider dans ce pouvoir du support. Le fait est que l'objet papier autorise un commerce avec l'écrit que l'écran ne permet pas. Il est lié à un mode de compréhension dont je ne vois pas pourquoi il disparaîtrait.



Sauf si le désir de compréhension disparaît ?



Ce n'est pas au programme. Il ne faut pas prendre un moment difficile pour la fin de l'Histoire.
brusyl
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Marcel Gauchet : "Où sont les lecteurs ? Aux abris en général..." :: Commentaires

brusyl

Message Lun 9 Fév 2009 - 22:51 par brusyl

Mais le plus amusant et le plus paradoxal, (le mouvement se prouve en marchant), est que la thèse de Gauchet, nouveau Zénon (le support papier non instantanéiste favorise de ce fait l'analyse et la réflexion) s'analyse et se débat maintenant... sur le net en permanence par l'échange instantané entre lecteurs

je ne suis pas sûre que nous tous ici , vu notre âge et notre formation, utilisions internet comme le fera la génération montante. J'avoue, tout comme j'utilise mon ordinateur comme une machine à écrire, c'est à dire sur à peu près 10 % de toutes les possibilités nouvelles qu'il offre par rapport à son ancêtre, que je privilégie sur Internet tout ce qui a rapport à l'analyse, plus qu'à l'instantanéïté : je lis internet comme un livre ou un journal...
(regarde par exemple comme je me sens gênée lorsque tu postes trop d'articles en même temps, j'ai le sentiment que la quantité et le téléscopage de sujets différents et variés va gêner la qualité de ma lecture, ce que je vérifie d'ailleurs à chaque fois)


preuve que le support ne conditionne pas forcément l'appréhension de l'information....

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brusyl

Message Lun 9 Fév 2009 - 22:25 par brusyl

J'ai mis le temps à pondre ce truc, il y avait trop d'éléments à donner ! je m'aperçois en le relisant que je me suis éloignée de l'internet pour me consacrer au métier de journaliste ....désolée !


Deux petites remarques préliminaires :
Dans cet interview de Gauchet comme d’ailleurs comme dans l’article précédent (internet et le livre), il me semble que se fait une curieuse assimilation entre deux phénomènes : le support de l’information (internet ou la presse ou le livre) et l’attitude de la personne face à ces supports :ce que Gauchet qualifie de « papillonnement »,ou zapping….
Il me semble que cet éparpillement n’est pas dû à l’apparition d’internet : mais plutôt et plus tôt à la multiplication des produits d’information , ce qui a commencé avec les radios libres puis avec les chaînes de télé cablées ou satellites et….la télécommande et plus récemment les « gratuits »

Deuxièmement : la crise de la presse ne date pas d’aujourd’hui. Celle –ci a eu à affronter la concurrence de la radio puis de la télévision. Et dieu sait si l’audiovisuel, la concurrence de l’image sur l’écrit pouvait apparaître comme plus fondamentale que celle de l’internet qui lui reste basé sur l’écrit : le choc des images contre le poids des mots ! : l’information n’est pas la même, l’image privilégie l’émotion face à l’information
Comme l’estime P Bourdieu (tiens te revoilà toi ! salut !) ,la télévision n'autorise aucun espace de discussion et d'argumentation...
Ajoutons à cela l’exigence qu’a fait apparaître ce nouveau mode de communication : vivre l’événement en temps réel, ce qui a considérablement modifié l’approche journalistique : quand l’événement et le commentaire sont simultanés, comment cela en modifie –t’il notre compréhension ?
(Baudrillard : « la guerre implose en temps réel, l'histoire implose en temps réel, toute communication, toute signification, implose en temps réel )
l’événement retranscrit est lui-même balayé par un autre évènement, l’un poussant l’autre le premier n’existe plus quand on n’en parle plus… où est le débat d’idées ?



plutôt que de mettre une opposition de principe entre la presse et internet, je dirais plutôt que ce dernier implique un retour à l’écrit, qu’il réhabilite l’écrit et serait donc un allié de la presse plus que son irréductible ennemi.


La nouveauté est ailleurs….et pose plus le problème de la réorganisation du métier de journaliste qu’une menace de mise à mort
Avec Internet, l’accès aux sources devient maintenant multiple : elle n’est plus réservée à un élite formée à cela, elle ne vient plus d’un émetteur qui possède l’information vers un public « ignorant » qui demande cette information : il y a élaboration commune de l’information avec un feed-back permanent de l’un vers l’autre : comme le disent les sociologues, le récepteur devient énonciateur…..
Illusion ? réalité ? les contributions des posteurs enrichissent-ils l’information ? sont-elles vraiment prises en compte par le journaliste ou le bloggeur ? ceci est loin d'être garanti, mais ce qui est certain est que l’internaute a le sentiment de contribuer à l’enrichissement de l’information et c’est cela qui compte….
Dénoncé par les journalistes comme l’ ennemi,n° 1 Internet me semble pourtant pour ceux-ci moins un adversaire implacable qu’un allié de choix qui va les aider à sortir de leur immobilisme de ces dernières années
Oui la presse est en crise !
Une crise de « compétence » : les journalistes ont perdu leur crédibilité à vouloir copier les médias audiovisuels : la course au scoop , au grand coup.mais aussi à la suite d’affaires où ils ont étalé leur manque de recul et d’analyse par rapport à l’événement, trahissant ainsi leur code déonotologique (affaire allègre par exemple ou Outreau)
- Une crise de confiance : les journalistes ont perdu leur crédibilité politique : quel journaliste peut actuellement se prétendre indépendant alors que le système érigé maintenant en holding est totalement financiarisé : quelle indépendance par rapport à ce qui fait vivre les journaux la pub ? quelle indépendance par rapport à la caste politique au pouvoir alors qu’elle ne survit actuellement que sous perfusion?
-j’ajouterai peut-être une troisième raison : le sentiment d’appartenance à une communauté : la presse d’opinion jouait ce rôle : le lecteur de « Combat » ou de "l’Humanité "avait conscience d’appartenir à une communauté : cette presse d’opinion a maintenant quasiment disparu. Les journalistes, par peur de perdre leurs lecteurs se refusent à des publications d’opinions privilégiant la pensée unique, le prêt à penser et sous-traitent cette fonction à quelques « intellectuels », »experts » recrutés pour l’affaire.
Internet par contre, cultive très bien ce sentiment d’appartenance à une communauté, n’est-ce pas les «marianautes » ?

Le métier de journaliste a, traditionnellement, trois facettes :
1) donner l’information
2) proposer une analyse de l’information : ce sont les articles de synthèse et d’opinion
3) apporter un témoignage unique de l’événement , c’est le journalisme d’investigation

-Il reste au métier de journaliste de se réinventer, de retrouver au delà de la simple communication de l’information ce qui fait sa valeur ajoutée ce qui fait sa spécificité : l’investigation le journalisme d’enquête. Bien sûr, cela coûte beaucoup plus cher d’envoyer des journalistes sur le terrain, de les envoyer au feu que de payer un pigiste à compiler les blogs mais ce n’est qu’à cette condition que la profession retrouvera son image

-Un retour à la presse d’opinion aussi

-Et enfin et surtout une presse libre ! pourquoi Marianne et le canard enchaîné paraissent actuellement épargnés par cette crise : parce que leurs lecteurs les considèrent (à tort ou à raison) comme libres de toute pression économique ou politique….
Pour acquérir cette indépendance, il n’y a pas 36 000 solutions : c ‘est nous les lecteurs qui par nos abonnements, nos achats pourrons assurer cette indépendance : c’est une lutte pour la liberté du quatrième pouvoir, pour la démocratie à laquelle nous devons participer

Dernière édition par brusyl le Lun 9 Fév 2009 - 23:52, édité 1 fois

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country skinner

Message Dim 8 Fév 2009 - 10:05 par country skinner

Assez curieuse cette argumentation de Gauchet, mais bon... Deux trois banalités (il y a la place pour une communication de distraction, d'information, de réflexion / analyse / opinion, le glissement du support papier vers le support numérique favorise les deux premières, mais la troisième continue à intéresser une part même réduite de lectorat), quelques raccourcis à la limite du contradictoire ("je ne suis pas compétent sur la question économique" vs "il y a une demande solvable pour la presse papier" ou encore "le papier est devenu inutile" vs "texte suivi pour lequel le papier demeure un support privilégié") voire de parfait paralogismes ("le papier n'a pas disparu, au contraire" oui mais quel papier ? celui de la presse, ou celui du travail ?) enfin une assez saisissante assimilation forcée de la lecture de réflexion et de la presse papier (je n'ai par exemple étudié Nietzsche que dans les articles du Monde, évidemment)

Et surtout un black out complet sur la notion de vecteur de l'information et de son role transformateur du message transmis (cf les analyses de McLuhan), ce qui poserait des problématiques du genre : La multiplication des sources d'information, l'instantanéité de la distribution et la facilité illustrative du support numérique poussent le lecteur à accorder moins de temps à chaque source, d'où à la fois une exigence de concision du lecteur et une tentation de simplification réductrice de l'auteur, qui favorise les communications de type distractif / informatif, mais en facilitant en même temps le travail de recherche / synthèse.

Mais le plus amusant et le plus paradoxal, (le mouvement se prouve en marchant), est que la thèse de Gauchet, nouveau Zénon (le support papier non instantanéiste favorise de ce fait l'analyse et la réflexion) s'analyse et se débat maintenant... sur le net en permanence par l'échange instantané entre lecteurs.

"Le media est le message" McLuhan

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