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"C’est de la Racaille ? Eh bien, j’en suis !" : retour sur les émeutes de novembre 2005

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08072009

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"C’est de la Racaille ? Eh bien, j’en suis !" : retour sur les émeutes de novembre 2005 Empty "C’est de la Racaille ? Eh bien, j’en suis !" : retour sur les émeutes de novembre 2005




Novembre 2005, un frisson d’angoisse traverse l’échine froussarde d’une République coupable d’abandon. Le grand incendie se déchaîne pendant trois semaines, avant de se calmer. Le phénomène restant largement caricaturé, le livre d’Alèssi Dell’ Umbrio, "C’est de la racaille ? Eh bien, j’en suis !", permet de revenir intelligemment sur les ressorts d’une émeute qui en appelle d’autres. Lecture."C’est de la Racaille ? Eh bien, j’en suis !" : retour sur les émeutes de novembre 2005


mardi 7 juillet 2009, par Lémi

C’était il y a environ trois ans et demi. Une éternité en matière d’actualité. Et pourtant, il me semble que c’était hier.
C’était en novembre 2005, trois semaines de violences urbaines hypermédiatisées et unanimement diabolisées. 10 000 à 15 000 jeunes surexcités et rivalisant dans l’art délicat de la pyromanie vengeresse. La France des banlieues s’enflammait et la République tremblait dans ses jupons. La Racaille banlieusarde ne se contentait plus de zoner dans les halls d’immeuble en dealant du shit en Sergio Tachini, elle foutait le feu et boutait les bleus Robocops hors des barres d’immeubles à grands coups de coktails Molotov et de pistolets à grenailles. Gros titres, gros déferlement policier, gros ramdam étatique, état d’Urgence et tout le tralala. De Clichy-sous-Bois (d’où était – légitimement – partie l’émeute, suite à la mort tragique de deux adolescents – Zyed Benna et Bouna Traoré – coursés par la BAC et réfugiés dans un poste de transformation EDF) aux Minguettes, de Toulouse à Lyon, un même ras-le-bol s’exprimait, condensé de frustrations sociales, d’harcèlement policier et de visions d’avenir si creuses qu’on voyait à travers le No Future bétonné, en surimpression. Face au mépris d’un pouvoir toujours plus ignoble (le ministre de l’intérieur de l’époque, un certain N.S., genre de Massu post-moderne, ne faisait pas dans la dentelle ; à l’époque, il n’avait pas encore embrassé sa carrière de moine zen Nouvel Obs), l’embrasement se généralisa. Et puis finit par retomber. Temporairement. Depuis, il y a eu Villiers-le-Bel, autre spasme de colère qui nécessita toute une armée pour en venir à bout. Il y en aura d’autres, c’est certain, puisque la situation toujours empire pour les laissés pour compte.

La littérature consacrée aux émeutes de Novembre fait généralement dans le sensationnalisme bas de gamme, affichant des titres du genre "Quand la France brûle" ou "Plongée dans la France des Barbus, Al Qaida et les émeutes" (Exagérer, moi ? Allons donc…) et n’apportant au débat qu’une louche supplémentaire de terreur à visée sécuritaire. C’est pour cela que le court essai d’Alèssi Dell’Umbria, publié par les aussi jeunes qu’indispensables éditions l’Échappée, outre son titre réjouissant ("C’est de la Racaille ? Eh bien, j’en suis !"), est essentiel : refusant l’approche sensationnaliste ou misérabiliste, ne se posant pas en expert (ni sociologue, ni journaliste, il est militant associatif à Marseille et a publié en 2006 une très alléchante histoire de Marseille, fruit de 10 ans de recherches, aux éditions Agone [1]), il revient avec précision (dans la foulée des événements puisque le livre a été publié en mars 2006) sur les moteurs d’une révolte sauvage et inévitable que notre Léviathan contemporain n’a pas fini – ce n’est que justice – de voir resurgir…

Bannis

Il serait inutile de chercher une seule cause à ces journées-là, de tenter de les décrypter monolithiquement, sauf à se placer dans le camp du pouvoir en place. Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur et pyromane en chef (on se souvient de son apostrophe Brucewillissienne à une quelconque Madame Michu, ses petits poings serrés : « Vous en avez marre de cette racaille ? Je vais vous en débarrasser ! ») [2], expliqua ainsi que le nerf de la guerre était une vulgaire affaire de gros dealers en lutte pour leur territoire, stupidité abyssale quand l’on sait que ces gros dealers-là ne veulent justement que le calme nécessaire à leur business. Des penseurs de haut-vol, tels qu’Alain "Lumière" Finkielkraut, ne manquèrent pas d’y voir une manigance fondamentaliste islamiste, les barbus manipulant dans l’ombre des émeutiers à vocation Benladienne, tout ça sur fond de révolte immigrée et d’ethnoguérilla nouveau genre [3]. Et l’académicienne frelatée Hélène Carrère d’Encausse, fidèle à elle-même, s’empressa d’expliquer benoîtement que le maître mot de cette histoire était "polygamie" (Que voulez-vous ? Ils se reproduisent si vite, on est submergés…).

D’autres baudruches médiatiques sont rapidement enfoncées par l’auteur marseillais : des cagoulés rompus au feu, les émeutiers ? Des guerriers du bitume habitués de la garde à vue ? Que dalle : « La majorité des mineurs arrêtés lors des émeutes de 2005 étaient inconnus des services de police. » Des arabes et des noirs exclusivement, ou quasi, symbole de cette immigration qui n’en finit pas de conchier l’idéal républicain ? Rebelote dans l’enfumage médiatique : « À Lille, les deux tiers des personnes passant en comparution immédiate après les incendies nocturnes étaient des visages pâles… »

S’attarder sur ces saillies officielles ne menant à rien, j’abrège. On pourrait gloser à l’infini sur le mépris d’un pouvoir en place qui s’autorise toutes les impudeurs envers ceux qu’il a abandonné à leur sort. Mais la situation est suffisamment connue pour que je ne m’y attarde pas.

Alèssi Del’ Umbria réfute donc en bloc ces approches-ci et tente de cerner les évolutions historiques et sociologiques qui ont mené à trois semaines qui ont fait date. Pour aboutir à un constat simple : abandonnée à elle-même, sans avenir ni présent, bannie (éthymologiquement, "Banlieue" signifie "Lieu du ban") et sacrifiée, condamnée à l’éternelle galère et aux mépris des puissants, cette jeunesse ne pouvait qu’exploser. Et cette explosion, dénuée de tout espoir voire de toute finalité, ne pouvait que se dérouler ainsi, de manière autiste et isolée :

La question n’est même plus de savoir de savoir ce que la société française a à proposer aux « jeunes des quartiers en difficulté » - on connaît la réponse - , mais de savoir quelle forme de contestation collective et organisée ils pourraient rallier. Ou plutôt, comment ils pourraient mettre de la méthode dans leur furie. Les bandes de jeunes délinquants pouvaient, en 1968 et dans les années d’après, se rattacher à un mouvement de contestation générale qui traversait différents secteurs de la société, ils pouvaient rencontrer d’autres gens, d’autres expériences qui leur ouvraient des voies. Ils se retrouvaient côte-à-côte avec d’autres dans les affrontements de rue contre la police. Alors que les bandes de 2005 sont totalement isolées, et qu’elles ont fini par développer une culture de l’isolement.

C’est d’elles-mêmes que les banlieues se sont enflammées, en solitaire. Et c’est elles-mêmes qu’elles ont enflammées, simple constat qui, loin de révéler la stupidité de ses occupants (comme crurent bon de le déclamer certaines enclumes intellectuelles), mettait à jour un isolement géographiquement absolu : la frontière entre la périphérie et les centre-villes est désormais si marquée que la violence ne peut plus s’y exporter, pour le plus grand soulagement des beaux quartiers :

Quoi de plus révélateur de la ségrégation urbaine que l’effroi affiché par les autorités et les tour-opérateurs, durant les trois semaines de l’incendie, à l’idée que la "racaille" réussisse à pénétrer dans Paris intra-muros et puisse foutre en l’air la saison touristique ?! Le ruban du périphérique semble ainsi fonctionner comme des fortifications d’un nouveau genre, séparant de façon radicale la ville-musée de la banlieue-dortoir.

Bannis des centre-villes, mais pas seulement. Bannis également du monde professionnel, de ce fameux ascenseur social, le Graal sociétal dont on nous rebat tant les oreilles et qui semble s’être arrêté entre deux étages, au troisième sous-sol (local à poubelles et placard à balais). Entre boulots minables, esclavagisme précaire et RMI pour seul horizon, ceux-là n’ont même pas l’espoir d’un échappatoire par le travail :

La vague d’incendies de l’automne 2005 a constitué la première grande révolte des précaires. Parce que, même s’ils n’ont que quatorze ans, ces incendiaires savent exactement ce qui les attend ; et les plus âgés connaissent déjà la mécanique bien rodée qui conduit des petits boulots sans qualification et sans protection à l’ANPE, de celle-ci aux stages bidons.

Le feu qui cache le brasier

Rappelons-le, les émeutes de novembre se sont inscrites en dehors de tout cadre militant, politique ou associatif. Parties d’une énième bavure de cette police "républicaine" à qui l’on accorde toutes les impunités, elle s’est construite horizontalement, par capillarité, sans que personne ne puisse se l’approprier. C’est ce qui a fait sa mauvaise presse, c’est ce qui la rend si intéressante, irrécupérable.

Habitués à ce que la protestation, institutionnalisée, se décide et s’organise verticalement, à l’image de ces grèves de 24 heures décrétées par les centrales syndicales et annoncées des semaines à l’avance, les commentateurs se sentent toujours remis en cause dans leur omniscience médiatique à chaque fois qu’elle s’organise d’elle-même, horizontalement, par contagion et en dehors de tout cadre institutionnel.

Déconnectés, livrés à eux-mêmes, les émeutiers de novembre ne s’inscrivaient donc plus dans le cadre des émeutes de banlieue telles qu’elles se déroulèrent dans un passé pas si lointain (et totalement oublié). Alèssi Del’ Umbria, pour avoir lui-même participé à quelques "rodéos" marseillais enflammés dans les années 1980, parvient à rendre ce caractère effrayant d’une révolte qui voit ceux qui ruent justement dans les brancards abandonnés par leurs aînés.

Mais il en faudrait plus pour émouvoir (verbe qui donne le substantif émeute) les banlieues. Car le drame se situe bien là, dans le fait que la majorité des gens qui y vivent semble déconnectée et désolidarisée des jeunes, au contraire de ce que l’on avait vu dans les émeutes anglaises des années 1980 [4]. La violence tous azimuts des adolescents est à la mesure du silence des adultes.

Seuls donc, les jeunes insurgés de novembre, sans soutiens d’aucune sorte autre que la force du groupe insurgé. Et c’est là, également, la principale aporie de leur action. Impossible pour l’instant d’imaginer un rapprochement avec d’autres luttes. Le mythe de l’intégration a fini par s’effondrer totalement ; pas dupes, ils ne peuvent se fondre dans un militantisme qui ne serait désespéré, limite nihiliste. C’est pour cela que face à ce grand vide abyssal qui leur tient lieu d’avenir, leur désespoir n’est plus ancrable dans les (trop lisses) luttes des "intégrés", qu’ils soient syndicalistes ou étudiants (les manifestations anti-CPE fonctionnant à cet égard comme un exemple frappant, les jeunes étudiants se faisant à l’occasion littéralement massacrer par ceux qu’ils espéraient voir manifester à leurs côtés).

Incapables de remédier aux explosions sporadiques autrement que par la répression et l’aggravation des conditions de vie banlieusardes, le pouvoir en place (qu’il soit de gauche ou de droite) n’a à l’évidence pas l’intention d’opérer le changement d’envergure qui - lui seul - pourrait éviter la montée en puissance de cette contestation. Il l’a prouvé depuis longtemps. Si bien que l’on pourrait désespérer de la situation : d’un côté une révolte qui si elle est légitime n’est pas pour autant à même de sortir de sa stigmatisation. De l’autre, un pouvoir qui sait combien il est facile de jouer des peurs et ne voit pas pourquoi il s’interdirait ce calcul électoral (à titre d’exemple, les très sulfureuses violences de la Gare du Nord - téléguidées ? - le 27 mars 2007 ne furent pas vraiment nuisibles au candidat Sarkozy ainsi que le pointèrent de nombreux sondages [5]…)

Et après ?

Alèssi Del’ Umbrio s’emploie à aborder le sujet de manière globale, relevant dans les errances de notre modèle social et politique contemporain, les multiples étincelles au brasier. Entre politique carcérale du chiffre et précarisation effrénée de l’emploi, urbanisation blockhaus et répression tout azimut, effritement du modèle républicain et rupture quasi totale du lien générationnel, ce qui subsiste de vie dans les banlieues est tenacement et quotidiennement bafoué. Ils bâtirent une prison et la nommèrent zone d’habitation...

C’est pourquoi, sorti des flonflons de la propagande spectaculaire-marchande, la France n’aime pas davantage les jeunes qu’il y a trente ans. D’autant moins que la tendance à l’enfermement domestique est perceptible dans toutes les villes de l’hexagone. Même dans le Midi, les rues sont vides le soir. Sauf que, pour les rejetons de familles nombreuses – et il n’y a plus guère que les immigrés pour avoir des familles nombreuses – , la rue est le seul espace ouvert. Mais bien souvent, ils vivent dans des endroits où il n’y a même plus de rue, et une loi récente permet de les poursuivre s’ils se rassemblent dans les halls d’immeubles…

C’est donc sur un désert qu’il faut rebâtir, radicalement, une approche des banlieues ouvertes à autre chose qu’à la répression et à la stigmatisation. On peut difficilement donner tort à l’auteur quand, revenant sur la législation destinée à "libérer" les halls d’immeuble, il s’étouffe d’indignation : « On peut se demander dans quel asile d’aliénés on vit, quand un fait aussi légitime et évident, pour des jeunes, que de se retrouver entre eux là où ils le peuvent, est considéré comme criminogène. »

Les rares réponses politique apportées ne s’inscrivant pas dans cette politique de la terre brulée incarnée par Sarkozy,relèvent généralement d’un autre monde. Quand une ministre au parlé djeuns annonce un Plan Marshall des banlieues, difficile d’imaginer une seule seconde qu’il corresponde à autre chose qu’un énième effet d’annonce. Quand, suite aux émeutes, un gouvernement annonce l’ouverture (très limitée) des grandes écoles aux jeunes banlieusards, les réjouissances restent limitées au KFC de Garges-Les-Gonesses...

Alors quoi ? Se retourner vers les associations politiques à grande audience médiatique supposées ouvrir la voie aux transformation ? Depuis le lointain fiasco SOS Racisme, qui s’est honteusement retourné contre ceux qu’il défendait en se faisant allié du pouvoir, l’espoir reste très mince de ce côté-là… D’autant que les Ni Putes Ni Soumises ont plutôt rajouté une couche à cette désaffection : difficile de diffuser une image du banlieusard mâle moyen comme amateur de tournante suintant la testostérone incontrôlée tout en gardant la côte auprès des susdits…

Il y a bien eu quelques figures médiatiques, pas forcément les pires d’ailleurs, pour inciter les jeunes à aller voter, à se faire citoyens plutôt que casseurs. Jamel Debbouze ou Joey Starr s’y sont frottés, avec des échos limités. Leur monde n’était pas le même. Comme le dit Dell’ Umbria : « Par essence, le vote, acte individuel […] délégant à d’autres le pouvoir d’agir, n’encourage à rien.
Alors que la révolte engage à tout. »

Au final, il ne s’agit pas ici de faire un éloge du casseur moyen des émeutes de novembre. De faire une finalité de ces actions souvent absurdes (une maternelle ou une bibliothèque qui brûlent, ça reste assez triste…). Juste de comprendre et faire comprendre que pour ceux qui n’ont rien à perdre, la violence sauvage et gratuite devient parfois le meilleur des moyens d’expression. Comme c’est le seul qu’on leur laisse

http://www.article11.info/spip/spip.php?article489
brusyl
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"C’est de la Racaille ? Eh bien, j’en suis !" : retour sur les émeutes de novembre 2005 :: Commentaires

Donald11

Message Mer 8 Juil 2009 - 17:05 par Donald11

Depuis les cognes ont ete equipes de tazer (ou taser, je ne sais pas) ... Et les ratonnades d'antan continuent ...

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brusyl

Message Mer 8 Juil 2009 - 15:34 par brusyl

Petit erratum que j'apporte (très personnellement cela peut-être discuté) à ce texte par ailleurs excellent...

bannie (étymologiquement, "Banlieue" signifie "Lieu du ban") et sacrifiée


Il me semble bien qu'au contraire l'étymologie de ce mot (qui vient bien du "ban") signifie bien son rattachement à la ville;;
Le ban était au moyen-âge la désignation du territoire directement sous l'ordre du seigneur : territoire militaire tout d'abord (d'où l'expression convoquer le ban et l'arrière-ban) dans lequel le seigneur pouvait directement convoquer ses vassaux pour l'accompagner à la guerre puis juridique et législatif : territoire dans lequel la justice et la réglementation du seigneur s'appliquait directement....

L'auteur de l'article a probablement fait une confusion avec le verbe bannir dont l'origine semble différente : ce dernier viendrait du francique bannjan (exiler) et bandjan (faire signe – gothique bandwa, qui a donné bande en français) alors que ban vient du latin "bannus" qui veut dire (corrigez moi si je me trompe) : proclamation, édit (d'où les bans de mariage)

Dernière édition par brusyl le Mer 8 Juil 2009 - 18:49, édité 1 fois

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