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Les pauvres à l'ère du soupçon

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12032009

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Les pauvres à l'ère du soupçon Empty Les pauvres à l'ère du soupçon




Entretien avec Serge Paugam

http://www.unsa-education.org/modules.php?name=Dossiers&pa=printpage&did=61&page=1

Pourquoi les pauvres et les chômeurs sont-ils de moins en moins considérés comme des victimes mais plutôt comme des incapables ou des paresseux ? Qu’est-ce que cela révèle des sociétés contemporaines ? A ces questions dérangeantes, le sociologue Serge Paugam apporte des réponses qui interrogent la société tout entière. Auteur avec Nicolas Duvoux de La régulation des pauvres, il analyse également la décentralisation de la politique sociale, le RSA etc.


Pourquoi parlez-vous de "régulation" des pauvres ?
On parle souvent de lutte contre la pauvreté, de combat contre la pauvreté. Parler de la régulation des pauvres, c’est faire le constat que les pauvres ne sont pas en dehors de la société mais bien à l’intérieur. Pris en compte par la société, par des institutions qui visent à leur assurer une existence et une place spécifique. Selon les orientations politiques, selon la conjoncture, la façon dont on traite les pauvres change considérablement. C’est la raison pour laquelle on peut parler de régulation des pauvres, au sens où on peut modifier sensiblement le statut social des pauvres à l’intérieur de la société, en faisant jouer à cette catégorie une fonction sociale précise. On peut donc réguler la pauvreté, lui donner un sens différent selon ce que l’on souhaite pour les pauvres. On peut souligner que la pauvreté est une catégorie créée par la société. La pauvreté a les contours qu’on veut bien lui donner. Par exemple, on peut appréhender la pauvreté à partir de la catégorie des titulaires du RMI. Or, cette catégorie n’a pas toujours existé.


Dans l’ouvrage « La régulation des pauvres », vous parlez d’un durcissement de la société vis-à-vis des pauvres et des chômeurs.
C’est ce qui ressort des analyses que j’ai pu faire à l’échelon européen. Il y a une forte différence entre la décennie 90 et les années 2000. La décennie 90 était plus portée à la compassion dans un climat économique dégradé. Il y avait l’idée que les pauvres devaient être aidés par la société. Il n’était pas concevable de remettre en question cette politique de générosité envers ceux que l’on considérait comme les victimes de l’injustice sociale. Au cours de cette période, on a déployé des moyens pour aider cette catégorie, lui donner accès à des droits. Dans la décennie 2000, lorsque la conjoncture économique s’améliore, que le chômage diminue, il y a une inversion de l’attitude vis-à-vis des pauvres. L’opinion se retourne, devient plus critique à l’égard des pauvres et des chômeurs. Et en vient à mettre en avant la responsabilité du pauvre : il ne serait plus tout à fait une victime mais avant tout une personne suspectée de profiter de l’assistance et que l’on pourrait même voir comme une personne paresseuse.


La notion de mérite est souvent mise en avant depuis quelque temps. Qu’en pensez-vous ?
En mettant en avant la notion de mérite, on a tendance à oublier la notion de responsabilité sociale qui est fondatrice de la solidarité dans notre pays. Si on a mis en place des politiques de solidarité à la fin du XIXème siècle, c’est que l’on considérait qu’il y avait une sorte de dette sociale vis-à-vis des plus défavorisés. Pour mettre en place une politique de solidarité à l’échelle d’un pays, il est nécessaire de faire prendre conscience que les individus sont des associés solidaires et que c’est ensemble qu’ils peuvent lutter contre des risques majeurs comme le chômage, la maladie, la vieillesse etc.
Aujourd’hui, la mise en avant permanente de la responsabilité individuelle – qu’il ne faut pas nier pour autant - a tendance à remettre en cause la responsabilité sociale. Et c’est ainsi que lorsqu’on parle de « pauvres méritants », il peut être tentant de considérer que tous les autres n’ont aucun mérite. On va ainsi gommer la difficulté objective de leurs difficultés, de leurs problèmes de santé.
Je crois qu’il s’agit là d’une éthique contraire d’une éthique de la solidarité. Il y a une suspicion vis-à-vis de ceux qui ne s’en sortent pas. Mais qui a pris le temps de réfléchir à l’usure morale, mentale, psychologique provoquée par le chômage et qui va conduire un individu à douter ou perdre ses capacités ? On va dire qu’il est paresseux. Or, il est victime d’un processus qui l’a profondément disqualifié, qui lui a fait perdre le sentiment de son utilité sociale. Pour s’en sortir, on en appelle à sa responsabilité. C’est un discours réducteur et dangereux.


Dans une société où l’individu aspire à une forte autonomie, comment équilibrer responsabilité individuelle et responsabilité sociale ?
On peut l’envisager si on met d’abord l’accent sur la responsabilité sociale. Cela se traduit dans le cas de la lutte contre la pauvreté par autre qu’une réponse à l’urgence. La responsabilité sociale, c’est être capable de mettre en place de véritables politiques de prévention, de long terme : assurer une formation qualifiante à chacun tout au long de la vie, conserver un haut niveau de protection sociale etc. La protection sociale ne doit pas être remise en cause régulièrement et doit assurer une redistribution verticale [entre les riches et les pauvres]. A partir d’un socle de protection élevé, on peut imaginer de prendre en compte la responsabilité de l’individu, d’être plus exigeant à son égard. C’est ce qu’ont réussi les pays scandinaves, qui concilient un très haut niveau de protection sociale, une très forte exigence en terme de qualification de la main d’œuvre et une politique active en matière de recherche d’emploi.
En France, on a le sentiment que l’on va réduire de plus en plus le socle de protection sociale en créant des inégalités de plus en plus manifestes et en même temps, on a tendance à renforcer la responsabilité individuelle. C’est un processus d’essence libérale, qui est proche de celui qui a été mis en place il y a trois décennies au Royaume Uni par Margaret Thatcher.


Vous dites qu’il est nécessaire d’assurer une formation tout au long de la vie. Le problème pour les pauvres n’est-il pas l’accès à la formation ?
La formation en entreprise est très inégale. Certaines entreprises n’ont pas toujours envie de se priver d’une main d’œuvre peu chère… Il y a des carences manifestes dans l’information à laquelle les salariés ont accès en matière de formation. Il est possible de faire beaucoup mieux : pourquoi ne fait-on pas de grandes campagnes de sensibilisation sur la formation, sur les droits auxquels les salariés peuvent prétendre ? L’Etat incite régulièrement la population à réduire sa consommation d’alcool ou à rouler moins vite. Il pourrait le faire dans d’autres domaines comme la formation.


Dans "La régulation des pauvres", vous observez la décentralisation des politiques sociales et en critiquez certains aspects. Qu’est-ce qui ne va pas ?
On peut s’interroger sur la pertinence de l’échelon départemental. Or, c’est celui qui a été choisi pour développer les politiques sociales. Le département est devenu une sorte de « département providence ». D’une part, alors que la département devient l’acteur principal des politiques sociales, on voit se développer un acteur régional qui devient plus puissant à qui on a donné une responsabilité plus grande en matière économique et notamment en matière de formation.
C’est absurde : il faut articuler l’économique et le social. Je doute de la cohérence de ce processus.
D’autre part, on observe l’émergence d’attentes qui se situent à un échelon plus local que celui du département. On le voit autour de questions urbaines ou de logement : on observe une mobilisation des acteurs pour assurer à l’échelon de la commune ou de l’agglomération de communes une certaine paix sociale, un intérêt pour reconstituer du lien social à l’échelon local. Les élus de gauche et de droite sont attentifs à cette demande de création d’un espace solidaire à l’échelon local. Les citoyens ont envie de peser sur les choix qui pèsent sur leur cadre de vie.


Avec Nicolas Duvoux, vous parlez de la situation difficile dans laquelle les travailleurs sociaux sont placés.
Ils disposent de peu de marges de manœuvre : ils sont parfois dans une gestion administrative du social. Le travailleur social est devenu un agent administratif comme un autre au détriment de la qualité du suivi. Le travailleur social en est rendu à mettre les individus dans des dispositifs, à faire un travail de classement.


Vous avez la dent dure contre le RSA. Selon vous, cela va conduire au développement d’un sous salariat.
L’idée que les pauvres doivent être mieux insérés sur le marché du travail ne fait pas débat mais de quelle insertion professionnelle parle-t-on ? Est-ce que c’est un emploi qui intègre professionnellement ou est-ce que c’est un emploi qui disqualifie ? On ne se pose pas suffisamment la question de la pérennité d’une insertion professionnelle. Il y a en effet des formes d’intégration professionnelle qui disqualifient les individus, qui ne leur assurent pas de protections, qui ne renforcent pas le sentiment de leur utilité. On a tendance à gommer cet aspect pour en arriver à considérer que le pauvre a intérêt à accepter n’importe quel emploi parce que ce sera mieux que la situation dans laquelle il se trouve.
Avec le RSA, il y a un risque majeur d’institutionnaliser un sous salariat. Celui-ci existait déjà avant la mise en place du RSA. Sauf que c’est la première fois qu’on rend possible, de manière indéterminée, le cumul d’un revenu d’assistance avec quelques heures de travail. Ce statut pourrait conduire à la constitution progressive d’un segment du marché de l’emploi qui correspondrait au destin des moins qualifiés dans notre société. Et qui pourrait concerner une frange non négligeable de la population. Dans la période de crise dans laquelle nous entrons, il y a de forts risques que ce soit un point d’arrivée pour de nombreux individus qui pourraient ne jamais sortir de ce statut hybride dont les droits restent inférieurs à ceux des autres salariés.
Au moment du CPE, il y a pourtant eu une forte mobilisation pour éviter de créer un statut spécifique pour les jeunes. Or le RSA, qui est une autre forme de sous-salariat, est passé comme une lettre à la poste.





Serge Paugam est directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS. Il a publié de nombreux ouvrages dont La société française et ses pauvres, Le salarié de la précarité et La régulation des pauvres (publiés aux PUF).
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Les pauvres à l'ère du soupçon :: Commentaires

Donald11

Message Mer 18 Mar 2009 - 9:06 par Donald11

Y'a ben queque chose qui m'avait fait eternuer, mais, sous le coup de la fatigue sans doute, je n'avais pas refait les calculs ... Il est vrai que, au dela de quelques milliers (d'euros), je ne vois plus du tout a quoi correspond le nombre : 2000 milliards. C'est vertigineux, et ca donne envie de gerber !!! Pour les nombres astronomiques, on a invente un autre systeme de mesure pour qu'il soit plus parlant : l'UA ...
Merci pour cette rectification fort bien venue mon Ratounet ... On reconnait au passage la marque du trader habitue aux zero .... D'un autre cote, si on etait moins nombreux, ca simplifierait grandement les calculs .... Salauds de pauvres !!!!

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country skinner

Message Mar 17 Mar 2009 - 19:19 par country skinner

le montant de la perte globale des milliardaires s'élevait à 2 000 milliards de dollars. Un rapide calcul nous montre que si nous divisions cette somme entre tous les habitants de la planète, cela donnerait environ 310 milliards de dollars par tête de pipe

La j'ai pas compris le calcul ? Il y aurait 2000 / 310 = 6.5 habitants ?
Ou alors 2000 milliards /6.5 milliards d'habitants = 310 milliards par milliard d'habitants soit 310 dollars par habitant

Ce qui reste encore une fortune pour ceux qui ont moins d'un dollar par jour pour vivre...

Ceci dit, au de la des chiffres, on sait très bien qu'une part infime de la richesse des milliardaires du globe suffirait à faire manger toute l'humanité...

C'est pas qu'on peut pas partager... c'est qu'on veut pas (à dire avec l'accent suisse)

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Donald11

Message Mar 17 Mar 2009 - 17:29 par Donald11

Jean ne m'en voudra pas de recopier ici son commentaire sur la "crise ! Quelle crise ?"
Merci pour cette petite mise en perspective ....

Entendu hier sur BFM radio, le nombre de milliardaires a diminué de 335 noms depuis 2007, nous le savions déja et je rassure les âmes sensibles, ils ne sont pas devenus SDF. Le plus important de l'info était que le montant de la perte globale des milliardaires s'élevait à 2 000 milliards de dollars.

Un rapide calcul nous montre que si nous divisions cette somme entre tous les habitants de la planète, cela donnerait environ 310 milliards de dollars par tête de pipe. Cela est encore trop imperceptible dans la conscience générale alors prenons un exemple concret pour mesurer l'ampleur d'une telle somme.

Un smicard gagnera environ 580 000 euros en 40 ans de travail et si l'on rajoûte la retraite en imaginant qu'il vive jusqu'à 96 ans et qu'il aurait commencer à travailler à 16 ans, il ne dépassera pas les 900 000 euros dans toute sa vie (en étant large).

C'est à dire un peu plus d'1 million de dollars, il lui faudrait donc vivre 310 000 vies pour gagner ces 310 milliards de dollars.

Personne ne voit d'injustice dans le système capitaliste ?

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brusyl

Message Mar 17 Mar 2009 - 14:57 par brusyl

Plus les sociétés deviennent inégalitaires, plus elles sont attachées à la diversité


Entretien avec Walter Benn Michaels, auteur de "La diversité contre l'égalité" (Raisons d'agir, février 2009).



Marianne2.fr : Pour vous, le débat sur la diversité masque l'accroissement des inégalités économiques?
Walter Benn Michaels : Oui. Au cours des 30 dernières années, les pays comme la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada sont devenus de plus en plus inégalitaires, économiquement parlant. Et plus ils sont devenus inégalitaires, plus ils se sont attachés à la diversité. C'est comme si tout le monde avait senti que le fossé grandissant entre les riches et les pauvres était acceptable du moment qu'une partie des riches sont issus des minorités.

Vous considérez qu'il s'agit d'un écran de fumé et qu'il est délibérément mis en place. Pourquoi et par qui?
Non, il n'y a pas de complot ici. Je pense que les gens se sont de plus en plus attachés à un modèle libéral de justice, dans lequel la discrimination — racisme, sexisme, homophobie, etc. — est le pire de tous les maux. Si ça marche, c'est à la fois parce que c'est vrai — la discrimination est évidemment une mauvaise chose — et parce que ça ne mange pas de pain— le capitalisme n'a pas besoin de la discrimination. Ce dont le capitalisme a besoin, c'est de l'exploitation.

Vous expliquez que la diversité ne réduit pas les inégalités, mais permet seulement de les gérer. Que voulez-vous dire?
Eh bien, il est évident que la diversité ne réduit pas les inégalités économiques. Si vous prenez les 10% de gens les plus riches (ceux qui ont en fait tiré le plus de bénéfices de l'explosion néolibérale des inégalités) et que vous vous assurez qu'une proportion correcte d'entre eux sont noirs, musulmans, femmes ou gays, vous n'avez pas généré plus d'égalité sociale. Vous avez juste créé une société dans laquelle ceux qui tirent avantage des inégalités ne sont pas tous de la même couleur ou du même sexe.

Les avantages en termes de gouvernance sont assez évidents, eux aussi. L'objectif du néolibéralisme, c'est un monde où les riches peuvent regarder les pauvres et leur affirmer (à raison) que personne n'est victime de discrimination, leur affirmer (tout autant à raison) que leurs identités sont respectées. Il ne s'agit pas, bien sûr, de les rendre moins pauvres, mais de leur faire sentir que leur pauvreté n'est pas injuste.

Vous allez même plus loin puisque vous expliquez que le combat pour la diversité a partie liée avec une logique néolibérale. Pourtant il a existé des convergences, que vous évoquez dans le livre, entre luttes économiques et revendications portées par des minorités. Pourquoi ces convergences ont-elles disparu aujourd'hui?
La convergence que vous évoquez entre la lutte contre la discrimination et le combat contre l'exploitation n'était qu'une convergence temporaire. Ainsi, par exemple, aux Etats-Unis, les Noirs radicaux se sont battus à la fois contre le racisme et le capitalisme. Des gens comme le Black Panther Bobby Seale ont toujours estimé qu'on ne peut pas combattre le capitalisme par le capitalisme noir, mais par le socialisme. Mais avec l'ère du marché triomphant débutée sous Reagan et Thatcher, l'antiracisme s'est déconnecté de l'anticapitalisme et la célébration de la diversité a commencé. Bien entendu, il n'y a rien d'anticapitaliste dans la diversité. Au contraire, tous les PDG américains ont déjà eu l'occasion de vérifier ce que le patron de Pepsi a déclaré dans le New York Times il y a peu: « La diversité permet à notre entreprise d'enrichir les actionnaires ».

De fait, l'antiracisme est devenu essentiel au capitalisme contemporain. Imaginez que vous cherchiez quelqu'un pour prendre la tête du service des ventes de votre entreprise et que vous deviez choisir entre un hétéro blanc et une lesbienne noire. Imaginez aussi que la lesbienne noire est plus compétente que l'hétéro blanc. Eh bien le racisme, le sexisme et l'homophobie vous souffleront de choisir l'hétéro blanc tandis que le capitalisme vous dictera de prendre la femme noire. Tout cela pour vous dire que même si certains capitalistes peuvent être racistes, sexistes et homophobes, le capitalisme lui-même ne l'est pas. Si dans les années 60 les Black Panthers pensaient qu'on ne pouvait pas combattre le capitalisme par le capitalisme noir, aujourd'hui, dans la crise économique actuelle, des gens comme Yazid Sabeg espèrent qu'on peut sauver le capitalisme grâce au capitalisme « black-blanc-beur ».

Vous ne semblez pas être un fervent partisan de la politique de discrimination positive telle qu'elle est menée actuellement aux Etats-Unis. Que préconiseriez-vous afin de rendre moins inégalitaire le système éducatif américain ?
Ces quarante dernières années, les étudiants des universités américaines ont changé, et de deux façons. Premièrement, ils se sont beaucoup diversifiés. Deuxièmement, ils sont toujours plus riches. Cela signifie qu'alors que les universités américaines se sont autoproclamées de plus en plus ouvertes (à la diversité), elles se sont en réalité de plus en plus fermées. Ça ne veut pas seulement dire que les jeunes issus de milieux modestes ont du mal à payer leur scolarité, ça signifie aussi qu'ils ont reçu un enseignement si bas de gamme dans le primaire et le secondaire qu'ils n'arrivent pas à passer les examens d'entrée à l'université.

Donc, la première chose à faire lorsqu'on décide de mettre en place une politique de discrimination positive, c'est de le faire par classes et non par races. La seconde — mais de loin la plus importante — chose à faire serait de commencer à réduire les inégalités du système éducatif américain dès le primaire. Tant que ça ne sera pas fait, les meilleurs universités américaines continueront à être réservées aux enfants de l'élite comme le sont, pour l'essentiel, les meilleures grandes écoles françaises. Même si, bien sûr, vos grandes écoles ainsi que vos universités les plus sélectives, puisqu'elles sont gratuites ou bien moins chères que leurs homologues américaines, apportent un avantage supplémentaire aux riches — c'est une redistribution des richesses, mais à l’envers.

Barack Obama est présenté, en France, comme un produit de la discrimination positive. Comment interprétez-vous sa victoire électorale et l'engouement qu'elle a pu susciter ?
Sa victoire, c'est le triomphe totale de l'idéologie néolibérale aux Etats-Unis, le triomphe de la diversité et en même temps celui des marchés. Ce n'est pas un hasard si des économistes démocrates conservateurs comme Larry Summers ou Tim Geithner sont ses conseillers les plus proches. Si ce que vous voulez, c'est sauver le système économique néolibéral de la crise, c'est une bonne chose. Nous savons tous que l'administration Bush était trop distraite par ses lubies impérialistes du XXe siècle pour s'apercevoir que Wall Street avait plus besoin d'aide que l'Irak. Obama ne fera pas cette erreur. Mais si vous voulez que le système change fondamentalement, ne comptez pas sur les Démocrates. Du point de vue de la justice économique, Obama, c'est juste un Sarkozy noir. Bien sûr, ce n'est pas un problème pour Sarkozy, mais c'est un problème pour tous les gens qui se disent de gauche, qui aiment Obama et pensent que l'engagement dans la diversité dont il est le produit va également produire une société plus égalitaire.

Le thème central de La diversité contre l'égalité, c'est qu'ils se trompent ; la diversité est au service du néolibéralisme, et non son ennemie. Ce n'est pas une adresse à Sarkozy — il sait déjà qu'une élite diversifiée est une élite plus heureuse, plus autosatisfaite. Cela s'adresse à la gauche, à ceux qui préfèrent s'opposer au néolibéralisme, plutôt que l'améliorer.

Source : Marianne2.fr (le titre et le chapo ont été rédigés par la rédaction de l'Observatoire du communautarisme)

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4ème de couverture :
A la télévision comme dans les entreprises, au Parti socialiste comme à l'Elysée, à Sciences Po comme à l'armée résonne un nouveau mot d'ordre: Vive la diversité ! Avec l'élection de Barack Obama, le bruissement s'est changé en clameur. Désormais, chacun devrait se mobiliser pour que les femmes et les "minorités visibles" occupent la place qui Leur revient au sein des élites. Mais une société dont les classes dirigeantes reflètent la diversité a-t-elle vraiment progressé sur le chemin de la justice sociale ? A cette question jamais posée, Walter Benn Michaels répond par la négative. La promotion incessante de la diversité et la célébration des " identités culturelles " permettent au mieux, selon lui, de diversifier la couleur de peau et le sexe des maîtres. Sans remettre en cause la domination qui traverse toutes les autres : celle des riches sur les pauvres. A l'aide d'exemples tirés de la littérature, de l'histoire et de l'actualité, ce livre montre comment la question sociale se trouve désamorcée lorsqu'elle est reformulée en termes ethnico-culturels. Plus fondamentalement, il s'interroge sur l'objectif d'une politique de gauche: s'agit-il de répartir les inégalités sans discrimination d'origine et de sexe, ou de les supprimer ?

Biographie de l'auteur :
Walter Benn Michaels est professeur de Littérature à l'université de l'Illinois à Chicago.




http://www.communautarisme.net/Plus-les-societes-deviennent-inegalitaires,-plus-elles-sont-attachees-a-la-diversite_a1036.html?PHPSESSID=c21259af7887c24df47b80999255925c

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brusyl

Message Sam 14 Mar 2009 - 15:37 par brusyl

(suite du commentaire précédent)
Il me semble d’autre part utile de faire un préalable un petit rappel historique sur le sujet


la société antique est profondément inégalitaire : citoyens/esclaves, hommes libres/barbares. Elle est profondément élitiste aussi (–la paideia- que l’on peut traduire par éducation de soi, civilité était un moyen d’exprimer la distanciation sociale)
La véritable naissance du concept d’égalité sociale est indissociable du monothéisme, qui pour la première fois dans l’histoire va le rendre « pensable » : - Epître de Saint Paul aux galates ou les béatitudes : heureux les pauvres, malheur aux riches par ex_ et c’est à cause de cela très précisément que le christianisme fut perçu comme profondément subversif : Porphyre ,Celse ou Plotin par exemple s’en prennent à la scandaleuse démagogie égalitaire du christianisme, contraire à l’ordre naturel , cette réintégration des pauvres « cette ville tourbe » qui à leurs yeux expient un faute commise dans une vie précédente.
Notre société actuelle, saturée par des siècles de langage chrétien ne mesure plus la radicalité de cette vision égalitaire et son scandale dans la société de l’époque.....
Il serait bien sûr abusif de définir le catholicisme qui a suivi comme une défense résolue des plus démunis- loin s’en faut-mais tout au long de notre histoire, une telle exigence va enflammer périodiquement le christianisme : François d’assise Wycliff, Luther Bossuet Saint Vincent de Paul mais aussi au XII° les ordres mendiants, la réforme.
Les philosophes des lumières et la révolution, tout en s’opposant fortement au cléricalisme vont reprendre ces valeurs évangéliques (mais avec un reste d’élitisme –mépris du commun, horreur de la foule hérité du passé aristocratique)


Dans le monde anglo-saxons (qu’il nous faut étudier car c’est bien lui qui a importé les « valeurs » qui nous dirigent aujourd’hui) le darwinisme social prend au même moment largement le dessus (E. Burke « quand nous affectons de prendre en pitié ces pauvres (…) nous badinons avec la condition humaine) : Il faut s’accomoder de l’existence des démunis, de la misère sans chercher à les soulager . La compétition sans merci et la survie du plus apte sont légitimes sur le terrain économique comme en matière biologique( Spencer, Malthus, Darwin, Ricardo, JB Say) : c’est « l’esprit bourgeois » qui triomphe au XIX°. Le catholicisme romain se ralliera, scandaleusement, à cette vision, totalement opposées à la « subversion biblique »

Cette justification de l’inégalité sociale entre les hommes n’est-elle pas ontologiquement à l’origine même du capitalisme ?(F. Braudel a développé longuement ce thème « le capitalisme est une création de l’inégalité du monde)
C’est contre la dureté de cet esprit bourgeois que se dresseront les premiers théoriciens du socialisme (Guesde, Marx, Proudhon)
Ce rappel désolée s’il est un peu long, permet de mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui : le retour en force de logiques qui nous renvoient au XIX° siècle
Notre société actuelle a formidablement promu la notion d’identité ( et revendique l’égalité identitaire : blancs/noirs, hommes/femmes, hétéro/homo par ex) mais dans le même temps cette intransigeance égalitariste s’accompagne d’une véritable indifférence à l’égard des inégalités de condition : la culture anesthésie le social.
(la promotion de l’un et le déclin de l’autre sont probablement liés : (cf Fitoussi) : les valeurs individualistes devenues hégémoniques depuis la fin des années 60 contribuent à rendre de plus en plus ingouvernables la démocratie : recul de l’état, du concept de « bien commun ».Cet affaiblissement du politique ouvre continuellement plus de terrain au marché, à la libre concurrence, à la loi du plus fort)


Les sociétés occidentales vivent depuis le début des années 70 un phénomène d’appauvrissement des pauvres sans précédent (sauf crise des années 30) Pourquoi une telle régression ? Pourquoi elle ne provoque pas de contestation ?
Parce que, j’y reviens, c’est un projet : les capitalistes ont relancé la lutte des classes et l’ont gagnée. Ce choix est politique, au plein sens du terme. et porte comme nom « l’extinction du moins apte ».L ‘ouverture à la mondialisation ont fourni un moyen « disciplinaire » permettant de faire accepter à l’opinion ces régressions.

Naomi Klein analyse très bien ce projet quand elle attaque l’école de Chicago : limitation du rôle de l’état à sa portion la plus congrue, privatisation des services publics, attaque en règle des législations de protection des travailleurs et assurances sociales. Puisque ces thèses n’ont guère de chances de s’imposer par la voie des urnes, ils préconisent des crises ou des chocs si besoin crées de toutes pièces dont le principal intérêt sera de priver de toute réaction les citoyens et les élus de ceux-ci, qui sont alors « murs » pour accepter n’importe quoi : la « crise » peut être naturelle, ou un boulerversement politique ou économique . Son livre très bien documenté « la stratégie du choc »
Une autre grande idée de Milton Friedman est celle relative à ses interprétations du problème du chômage volontaire dû non pas à une carence de l’offre d’emplois mais au système d’indemnisation des chômeurs qui détermine le taux du chômage et les décisions des chômeurs de travailler ou de ne pas travailler. Si le chômage augmente, dit-il, c’est pour deux raisons: l’accroissement de femmes et de jeunes désirant travailler à temps partiel d’une part et l’amélioration de la protection sociale des chômeurs d’autre part. Pour lutter contre le chômage, il faut réduire au maximum le rôle de l’État dans l’économie et remettre en question le système de protection sociale des salariés et des chômeurs


Fitoussi a montré jusqu’à quelle extrémité pouvait conduire ce projet inégalitaire : tout simplement jusqu’à l’extinction physique du moins apte. Aujourd’hui nous n’en sommes pas (encore ) là mais nous sommes bien arrivés au stade de « l’exclusion du moins apte » acceptée mollement par nous tous : nous nous sommes insensiblement réaccoutumés à l’injustice sociale tout en prenant notre parti de l ‘arrogance de l’ostentation des nantis.

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brusyl

Message Sam 14 Mar 2009 - 15:36 par brusyl

Du temps libre aujourd’hui, (c’est super d’etre seule, de temps en temps !) j’en profite pour revenir sur cet article, qui bien qu’intéressant, m’a semblé limité et dans sa perspective et dans son étude anthropologique « du pauvre » . Il m’a semblé intéressant d’inscrire la pauvreté dans une perspective historique et sociologique de plus longue durée que ne le fait l’auteur de l’article


L’individu isolé n’existe pas ont toujours répété à l’envi Durkheim et L ,Bourgeois (fondateur du solidarisme) contre le dogme libéral de l’antériorité de l’individu sur l’organisation sociale.
L’individu nait en société et ne s’épanouit qu’à travers son rapport aux autres. Interdépendants et solidaires, les hommes sont porteurs d’une dette les uns envers les autres, ainsi qu’envers les générations précédentes et suivantes.
Le solidarisme servit de support philosophique et moral au système de protection sociale ébauché sous la III ° Rép, dont la sécurité sociale, en 1945, fut l’héritière.
L’Etat-providence, système généralisé de protection et d’assurance sociale va permettre à l ‘homme d’alors d’acquérir une autonomie plus large par rapport à ses communautés d’origine, leurs attaches traditionnelles : la famille, le village, le syndicat les relations de travail.
Mais pour définir le lien social, la question « sur qui puis-je compter » n’est pas suffisante. Durkheim fait appel à un deuxième fondement : la dimension : « est-ce que je compte pour quelqu’un » La société en me donnant une valeur permet de me définir comme membre de cet ensemble social. C’est la question de l’utilité

Ce distingo conduit à s’interroger plus largement sur la notion de la pauvreté aujourd’hui, vécue non seulement par la privation et la précarité (définition officielle de la pauvreté) mais aussi par le sentiment d’inutilité sociale : absence de reconnaissance, mépris social sont des dimensions importantes du sentiment de pauvreté. La personne pauvre est désignée comme appartenant à ensemble social dévalorisant : produit d’une incompétence, d’une irresponsabilité, d’une paresse.

L’explication de la pauvreté par l’injustice la notion de solidarité, ont totalement régressé dans notre société : le pauvre n’est plus victime de la société, il est devenu victime de lui-même et bien plus il est considéré comme profiteur du système (la campagne sarkozienne a été un modèle du genre)

Ce qu’il intéressant d’étudier est pourquoi, comment le consensus solidaire qui existait chez nous jusques disons vers le milieu des années 70 s’est muté en cet inégalitarisme accusateur
Comment de l’article 25 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé son bien-être et ceux de sa famille) nous acceptons maintenant dans l’indifférence , dans une étrange accoutumance, cet extraordinaire résurgence de l’inégalité, ce scandale historique ? : ni les chocs pétroliers, ni les crises économiques ni la mondialisation de l’économie ne suffisent à expliquer cela
En réalité, cette inégalité revenue n’est pas une bavure, ni un inconvénient : comme le disent certains, le prix à payer pour l’immense mutation économique en cours : c’est un PROJET.
C’est le projet par défaut d’une société marchande qui n’en a plus d’autre que de tourner sur son profit et sur elle-même

Je suis tout à fait d’accord sur le jugement de l’auteur sur le RSA :dans notre société qui devient de moins en moins universelle, de moins en moins solidaire, celui-ci va créer une nouvelle catégorie juste au dessus du RMI (lumpenproletariat ?), juste un peu plus digne : les pauvres qui font l’effort de travailler. Encore plus de hiérarchie sociale : quid de l’effort qui sera alors fait pour les érémistes, ceux qui bénéficiant « passivement » de ce qu’il nous reste de solidarité qui seront vissés tout en bas de cette stratification ? Le RSA ne va-t’il pas contribuer à précariser encore davantage les salariés à petits revenus (notamment avec les années de pain noir qui nous attendent) et du multiplier, pour la plus grande joie du patronat,les bad jobs ?

Dernière édition par brusyl le Sam 14 Mar 2009 - 21:51, édité 1 fois

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brusyl

Message Jeu 12 Mar 2009 - 10:22 par brusyl

Article intéressant : je suis en train de lire un livre de 1998 qui analyse déjà exactement en ces termes le problème donc l'émergence de cette pensée a déjà plus de 10 ans
Je reviendrai discuter dessus plus longuement, mais je crois que l'école de Chicago a eu un rôle déterminant dans la propagation de l'idée que celui qui est pauvre l'a bien mérité, car elle a, dans son raisonnement économique totalement intégré l'idée que le développement des inégalités était un puissant moteur de croissance économique....

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