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Aidons les députés UMP sur la question de la neutralité du réseau

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04032010

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Aidons les députés UMP sur la question de la neutralité du réseau Empty Aidons les députés UMP sur la question de la neutralité du réseau




http://www.pcinpact.com/actu/news/55666-benjamin-bayart-neutralite-reseau-net.htm


Benjamin Bayart, président de FDN, premier fournisseur d’accès français, nous a autorisé à publier cette note rédigée par ses soins et diffusée sur son blog. L’auteur, connu pour sa fameuse conférence Internet Libre ou Minitel 2.0, apporte sa précieuse contribution publique aux différentes questions posées par le groupe UMP autour du thème de la neutralité du réseau.

Le groupe UMP à l'Assemblée Nationale a ouvert le site web Éthique du numérique. J'y ai déposé une contribution, longue, dans la rubrique sur la neutralité du réseau. Je reprends ici cette contribution, in extenso.

Cette contribution est longue, je m'en excuse, mais le sujet est riche... Elle reprend en partie des arguments développés le 23 février devant le Groupe d'Étude "Internet, audiovisuel et société de l'information", mais en partie seulement, le sujet évoqué ici n'ayant pas tout à fait le même angle.
La neutralité du réseau est un concept fondateur d'internet. Il implique que les fournisseurs d'accès à internet n'interviennent pas dans le contenu des données transmises ou dans leur vitesse de circulation.
La neutralité du réseau n'est pas un concept. C'est quasiment la définition d'Internet.

En effet, Internet n'est que l'accord technique d'interconnexion des 40.000 réseaux publics routés par le protocole IP. C'est-à-dire l'accord sur le respect d'un certain nombre d'éléments, très peu nombreux, techniquement plutôt simples, et qui ne parlent que de technique. Internet est donc composé de ces 40.000 réseaux, de toutes nationalités (parfois sans nationalité véritable, d'ailleurs), et des centaines de milliers d'interconnexions entre ces réseaux.

Internet n'étant, au final, qu'un accord technique entre des opérateurs, sa neutralité est presque sa définition. Si chaque opérateur, sur son petit réseau à lui, décide de porter atteinte à la neutralité, alors, on aura la somme de ces 40.000 atteintes comme résultante, qui donnera un réseau qui ne fonctionne pas. Bien entendu, la neutralité n'a jamais été un principe absolu, une sorte de Saint Graal imposé par la force aux opérateurs. Simplement, des atteintes trop brutales à cette neutralité mènent rapidement à des désaccords forts, et donc à ce que les opérateurs concernés se retrouvent rapidement exclu du jeu (qui s'adresserait à un service postal qui, sur des critères qui lui sont propres, décide de perdre exprès une partie des colis...).

La neutralité n'est donc pas un concept abstrait, mais une des conditions impératives de l'existence même d'Internet. Par une condition conceptuelle imposée, mais une condition pragmatique.

Doit-on respecter cette neutralité même si elle implique la circulation de contenus illégaux ?
La question est fort mal formulée. D'abord parce qu'elle incite à répondre de travers. En effet, si la neutralité du réseau doit dévorer les petits enfants ou égorger les vieilles dames, alors, forcément, on est contre.

Internet n'est qu'un outil. On ne peut pas demander à un outil d'empêcher un usage. Quelles que soient les sécurités qu'on placera sur un marteau, on pourra toujours se taper sur le doigt, ou tuer son voisin avec. Doit-on respecter la fermeté des marteaux, même si elle implique des coups mortels ? Bin... Heu... Oui... C'est-à-dire que sinon, c'est plus marteau...

La bonne formulation est: le réseau Internet étant par nature neutre, et donc permettant de transporter tous les contenus, comment lutter contre les contenus illégaux? Ce qui en un autre domaine pourrait se transposer en: l'espace public étant par définition public et ouvert, et permettant donc toutes les rencontres les plus odieuses et les plus néfastes, comment empêcher autant que possible les drames?

Dans les deux cas, la réponse s'impose d'elle-même. Simplement, on gère l'espace public (la rue, pour faire simple) depuis longtemps, et donc la réponse est naturelle, alors qu'on ne gère l'espace public numérique que depuis peu, et donc l'évidence s'impose moins. La mère de toutes les réponses est l'éducation. La rue est un espace par nature dangereux. C'est pourquoi, dès le plus jeune âge, on apprend aux enfants à regarder avant de traverser. C'est un espace que nous avons appris à domestiquer. La réponse la plus forte à la croissance rapide du monde du numérique se trouve dans l'éducation populaire. D'abord, former les formateurs, qu'ils apprennent à maîtriser cet espace nouveau, pour pouvoir ensuite en apprendre les règles à tout le monde. Et je parle bien ici, volontairement, d'éducation populaire. On ne peut pas de contenter de former les enseignants, puis les enfants, Il faudrait alors un demi-siècle pour que toute la population soit formée. Il faut aussi prévoir de former les adultes, y compris les anciens.

Et, bien entendu, pour les cas les plus extrêmes, mais aussi les plus marginaux, il faut que la police ait les moyens d'intervenir. Comme elle intervient dans la rue. Non pas en contrôlant à priori tous les déplacements, mais en intervenant ponctuellement, là où c'est nécessaire.
Chercher à régler des comportements illégaux par une atteinte à la neutralité du réseau, c'est demander aux sidérurgistes de fabriquer de l'acier qui ne peut pas faire une lame de couteau qui puisse assassiner les gens. Idiot, et irréaliste.

Comment s'assurer que les Fournisseurs d'accès à Internet ne profitent pas de leur position pour favoriser certains contenus au détriment d'autres ?

Ça, c'est une vraie bonne question. Le fond de la réponse tient en deux principes en apparence contradictoire, mais qui dans les faits se complètent.

Le premier est de ne pas les rendre responsables de ce qui circule. En effet, si les FAI sont responsables de l'usage qui est fait du réseau, ils vont cesser toute interconnexion, tout filtrer, et préférer bloquer des contenus parfaitement légitimes plutôt que de prendre le moindre risque. Il est donc fondamental que le FAI ne soit pas responsable de l'usage qui est fait du réseau, comme le marchand n'est pas responsable de l'usage qui est fait du marteau.

Le second est de rendre les FAI responsables de ce qu'ils font. En effet, comment s'assurer que les médecins ne profitent pas de leur position pour abuser leurs patients? Simplement, en les rendant responsables. Non pas des bêtises de leurs patients (ce serait idiot, on l'a vu), mais en les rendant responsables de leurs actes. La neutralité du réseau doit faire partie des obligations des opérateurs (et pas seulement des FAI, qui ne sont qu'une variété d'opérateurs), et les atteintes à cette neutralité, qui ont toujours pour conséquence des entraves à la concurrence et des atteintes à la liberté d'expression, doivent être très lourdement sanctionnées.

Les producteurs et diffuseurs de contenus doivent-ils contribuer aux financements des réseaux ?
Oui. Et ils le font.

Sauf erreur de lecture de ma part, un diffuseur de contenu, pour diffuser son contenu sur Internet, doit s'y raccorder, et pour cela le plus souvent fait appel aux services, rarement gratuits, d'un opérateur de réseau. De même que le destinataire du contenu paye son raccordement au réseau.

Ainsi, vous payez l'hébergement de votre site web, et je paye l'accès Internet qui me permet de le consulter. Les opérateurs, qui ne sont que le transporteur dans cette histoire, sont bien rémunérés. Bien entendu, les opérateurs intermédiaires, qui ne sont ni mon FAI, ni votre hébergeur, ne sont pas rémunérés de manière directe. Tout comme, quand j'envoie un colis en Allemagne, je ne paye que La Poste, qui se débrouille de ses accords commerciaux avec ses partenaires, les opérateurs s'arrangent entre eux pour s'entre-facturer le trafic qu'ils transportent pour compte de tiers.

Il est donc parfaitement illégitime de considérer une rémunération qui soit, par exemple, liée à la valeur marchande du contenu transporté (La Poste est rémunérée autant qu'elle transporte un kilo de plomb ou un kilo d'or), et parfaitement illégitime de considérer que les producteurs de contenu doivent financer un autre accès à Internet que le leur.

Si oui, comment faire pour que cela ne menace pas le développement des services ?
La vraie question sous-jacente est subtilement différente. Les FAI estiment (à bon droit ou non, finalement, qu'importe) qu'il leur faut augmenter leur niveau de revenu pour pouvoir investir. Ils envisagent pour cela de ne pas respecter la neutralité du réseau, et donc de facturer les diffuseurs de contenu à forte valeur ajoutée, exerçant une forme de racket tout à fait lucrative.
C'est là une politique tout à fait condamnable à plusieurs titres:
d'abord, un non-respect du consommateur, qui pense avoir acheté un accès à Internet, à tout Internet, et pas seulement au catalogue publicitaire sponsorisé de son FAI;

ensuite, c'est un abus très clair de position dominante (ayant une clientèle captive d'abonnés, l'opérateur s'en sert pour faire levier et étendre son influence sur un marché où il n'est pas légitime);

c'est une entrave très sérieuse à l'innovation, incitant les entreprises novatrices à aller s'installer sur un marché où elles pourront prospérer librement avant de s'intéresser au marché français; on peut par exemple s'intéresser au cas de Google, que tous les opérateurs de France aimeraient racketter, mais dont aucun ne le fera (qui resterait abonné chez un FAI qui filtre Google?), Google étant devenu trop gros.
La bonne approche sur ce dossier-là est relativement simple: un FAI doit vivre des abonnements qu'il vend. S'il s'est mis, pour des raisons de marketing, en position de perdre de l'argent en faisant son métier, c'est bien triste pour lui, mais c'est une affaire privée, qui ne l'autorise en rien à racketter. Si la pression concurrentielle est telle que certains FAI savent produire des accès rentables avec les prix actuels du marché, alors que d'autres n'en sont pas capables, la réponse est assez probablement dans des recherches de gain de compétitivité, ou dans de la différenciation de service. Non pas en fournissant un accès Internet différent (on l'a vu, ce serait une atteinte à la neutralité, et donc ce ne serait plus Internet), mais en fournissant des services qui permettent de recruter de nouveaux clients (par exemple une assistance qui marche, par exemple des services de formation, par exemple...).

Questions qui ne sont pas posées, mais auraient dû l'être:
Quelle importance à défendre la neutralité du réseau ?
Cette question recouvre deux éléments distincts :

La neutralité étant, on l'a vu, consubstantielle à Internet, quelle importance à préserver Internet ?
En admettant l'importance d'Internet, quelle importance que l'on défende la neutralité ou qu'on laisse faire ?
Il est important d'avoir bien les deux éléments, un seul de ces deux aspects ne permettant pas de réfléchir convenablement. Internet représente une avancée, essentiellement, dans deux domaines. D'une part, un facteur de croissance économique, puisque c'est, incontestablement, l'épine dorsale de toute l'économie du numérique, et donc de la Société du Savoir. Le modèle actuel d'Internet garanti, dans le domaine économique, la capacité d'innover sans permis. C'est-à-dire que toute personne ayant une idée, bonne ou mauvaise, de service, peut la mettre en oeuvre, dans demander d'autorisation à personne, à partir de n'importe quel accès Internet, et en valider intégralement le fonctionnement. C'est cet élément qui a permis à tous les grands groupes actuels dans le monde du réseau de naître. Ils ne sont pas nés de l'investissement massif d'un grand groupe, ils sont nés, tous, d'une idée géniale, mise en oeuvre "dans un garage", puis développée par une entreprise d'abord petite, puis qui a grandi. C'est à l'opposé des réseaux de services numériques qu'on à connu avant Internet, comme les réseaux câblés (peu développés en France, mais très développés dans d'autres pays, où on trouve sur le câble beaucoup de services, mais pas la croissance explosive d'Internet), ou comme le Minitel.

Internet, tel qu'on le connaît aujourd'hui présente également un atout formidable de démocratie (y compris avec ce que ça peut avoir d'agaçant quand on est habitué aux corps constitués pour servir d'intermédiaire). D'ailleurs, le Conseil Constitutionnel ne s'y est pas trompé, et indique fort bien dans sa décision de juin dernier qu'Internet est aujourd'hui indispensable à l'exercice pratique de la liberté d'expression telle que définie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789. Or, cette liberté repose en très grande partie sur la neutralité du réseau. Oh, il n'y a pas de doute, même si les opérateurs français filtraient, un site comme celui-ci continuerait d'être accessible. D'abord parce que porté par la majorité parlementaire. Ensuite parce que la France reste une démocratie, et donc même porté par une opposition minoritaire, un site comme celui-ci resterait accessible. Mais c'est bien à la neutralité d'Internet, et à la très grande difficulté de son contrôle qu'on doit d'avoir vu filtrer des informations d'Iran... Si les fondements structurels du réseau n'étaient pas une neutralité technique imposée par la forme même du réseau, le régime iranien réussirait bien mieux son filtrage, et donc à faire taire les opposants.

Ainsi, il est primordial, en termes de libertés d'expression comme en terme de développement économique, de préserver Internet pour ce qu'il est, à savoir non une vache sacrée, mais un outil actuellement insurpassable.

Maintenant, étant entendu qu'il est souhaitable de préserver Internet, que peut-on gagner à défendre sa neutralité?

On l'a vu, une défense de la liberté d'expression. En termes de préoccupations politiques en France, ça ne vaut pas la mobilisation des foules (toute langue de bois mise à part), mais ça vaut au strict minimum un œil attentif et bienveillant.

Reste qu'en termes stratégiques et économiques, il est de l'intérêt de la France et de l'Europe de lutter pour préserver cette neutralité. En effet, elle apporte certains effets économiques importants:

L'innovation sans permis, on l'a déjà vu
En lisant cela en contraposé, c'est la seule chance de voir émerger de nouveaux acteurs européens dans le monde du service et du contenu, les positions dominantes actuelles étant américaines, c'est bien une condition nécessaire, et pas suffisante (d'autres conditions sont nécessaires, comme la défense des petites entreprises, et l'accompagnement de leur croissance, étant des lacunes fortes du modèle économique français, mais ce n'est pas le propos ici);
Préserver la concurrence, au sens du libre choix du consommateur, puisqu'on l'a vu, la volonté de certains opérateurs de porter atteinte à la neutralité du réseau et presque toujours liée à la volonté de mettre en avant, puis d'imposer, le choix de leurs partenaires commerciaux, et donc de fermer le jeu économique, en créant de gigantesques oligopoles mêlant réseau, service, et contenu, garantissant des clients captifs;
Permettre la diversité des services, et donc l'existence de marchés y compris pour des marchés de niche, qui n'ont pas de sens à l'échelle d'un opérateur, mais qui peuvent trouver des débouchés à échelle de la planète, par exemple dans les services ultraspécialisés.

Rédigée par Marc
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Aidons les députés UMP sur la question de la neutralité du réseau :: Commentaires

brusyl

Message Sam 6 Mar 2010 - 17:52 par brusyl

De nos jours, aux États-Unis. Pour avoir participé à un viol collectif, 7 mois de prison. Pour un braquage à main armée, 18 mois. Pour l’enregistrement vidéo d’un film dans une salle, 24 mois2. Pendant que de plus en plus de gens dénigrent Internet, prétendent qu’il n’a aucune influence politique et sociale, les tribunaux dispensent des peines disproportionnées pour des délits survenus sur Internet. Dans le même temps, les gouvernements votent des lois pour réduire la liberté des internautes. N’est-ce pas paradoxal ?
Si Internet n’avait aucune importance, pourquoi faudrait-il légiférer à son sujet ? Pourquoi faudrait-il pénaliser des activités qui ne mettent en danger la vie de personne ? Pourquoi même faudrait-il en parler ? Mais si on en parle autant, n’est-ce pas que quelque chose couve ? Peut-être pas quelque chose qui a été prévu, mais quelque chose d’encore innommable.

Le viol, le braquage à main armé, le crime… n’effraient pas les structures de pouvoir. Elles les ont intégrés et même abondamment pratiqués au cours de l’histoire. Le piratage d’un film constitue, en revanche, une menace plus subversive. Il s’agit de manipuler l’information, de la transférer par des canaux alternatifs, des canaux qui échappent aux structures de pouvoir. Elles n’ont pas l’intention de se laisser contourner.

Alors Internet n’a aucun impact sociétal ? Par leurs réactions musclées, les gens de pouvoir me paraissent plus lucides que l’intelligentsia techno-sceptique.

Books
Dans son numéro de mars-avril, la revue Books titre en cover Internet contre la démocratie ? Bien sûr pour égratigner Internet. Je vais y revenir. Mais ne trouvez-vous pas étrange que ces revues papier qui peinent à cause d’Internet ne cessent de dénigrer Internet ?

Comment les prendre au sérieux ? Si Internet change un tant soit peu la société, leur modèle ne tient pas. Comment voulez-vous que ces journalistes soient objectifs ? Le rédacteur-en-chef de Books avoue d’ailleurs dans son édito que sa revue est loin de l’équilibre.

J’imagine ce qu’il pense : « Que ce serait bien si Internet pouvait se dégonfler, si on pouvait en revenir à l’ancienne économie du papier. Alors essayons d’entretenir cette idée d’un Internet malsain pour entretenir cette autre idée que les informations de qualité ne se trouvent que sur le papier. » Ce point de vue traverse le dossier de Books.

Vous allez peut-être vous demander si les défenseurs d’Internet sont eux-mêmes objectifs ? Si Internet se développe, nous gagnons par ricochet du prestige. D’un autre côté, nous aussi, surtout ceux qui comme moi vivent de l’écriture, nous ne gagnons rien à ce développement, il ne nous paie pas plus que les journalistes des magazines qui agonisent (et même moins). Si nous nous engageons pour Internet, c’est parce que nous croyons qu’il ouvre de nouvelles possibilités historiques. Nous le faisons, en tout cas je le fais, par militantisme.

Oui, nous sommes des militants, nous ne sommes donc pas objectifs, mais nous ne nous contentons pas du monde que nous observons. Nous voulons le transformer, l’orienter dans la mesure de nos moyens dans une direction qui nous paraît plus agréable (je reste vague au sujet de cet agréable pour laisser la place à une pluralité d’agréables).

La technique du Lone Wolf
Lors de cette brillante conférence, Alain Chouet nous explique qu’Al Qaïda est morte entre 2002 et 2004 :
(voir sur http://videos.senat.fr/video/videos/2010/video3893.html)
Ce n’est pas avec un tel dispositif [une cinquantaine de terroristes vivant en conditions précaires dans des lieux reculés et avec peu de moyens de communication] qu’on peut animer à l’échelle planétaire un réseau coordonné de violence politique.

Preuve : aucun des terroristes de Londres, Madrid, Casablanca, Bali, Bombay… n’ont eu de contact avec l’organisation. Chouet nous présente tout d’abord la vision traditionnelle de ce qu’est une structure politique hiérarchisée. Pour agir à l’échelle globale, elle a besoin de liens fonctionnels. Il faut que des gens se parlent et se rencontrent et se commandent les uns les autres. Si ces critères ne sont pas remplis, la structure n’existe pas, Al Qaïda n’existe pas.

Chouet montre toutefois qu’une autre forme d’organisation existe, un réseau de gens isolés, les loups solitaires qui se revendiquent d’Al Qaïda. Maintenant que l’information circule, n’importe quel terroriste peut se dire d’Al Qaïda s’il se sent proche des valeurs d’Al Qaïda. Il n’a pas besoin adhérer au parti pour être membre du parti.

Pour Chouet, on ne combat pas une structure en réseau avec des armées hiérarchisées. On ne fait ainsi que créer des dommages collatéraux qui ont pour effet d’engendrer de nouveaux terroristes. Pour s’attaquer au réseau, il faut une approche en réseau. Exemple : proposer en tout point du territoire une éducation et une vie digne aux hommes et aux femmes qui pourraient devenir membres du réseau.

Tous ceux qui critiquent Internet et même tous ceux qui théorisent à tort et à travers à son sujet devraient écouter et réécouter cette conférence d’Alain Chouet. Trop souvent, ils pensent hiérarchies et oublient que le Web a été construit par des loups solitaires (à commencer par Tim Berners-Lee qui a travaillé en perruque au CERN). Pour créer un site Web, nous n’avons rien à demander à personne.

Inversement, si des gens veulent utiliser internet pour s’attaquer à des structures centralisées, ils ont tout intérêt à adopter une stratégie en réseau (à moins d’être de force égale ou supérieure à leurs ennemis centralisés).

Le cyberoptimisme
En introduction du dossier de Books, Olivier Postel-Vinay veut en finir avec le cyberoptimisme. C’est un peut comme s’il écrivait qu’il fallait en finir avec l’église catholique, l’anarchisme ou le capitalisme. Le cyberoptimisme, c’est l’engagement militant que j’évoquais.

Il ne s’agit pas d’en finir mais de faire que cet optimisme se concrétise et transforme la société, cette société pas toujours belle à voir. Sans optimisme, elle risque de se gâter davantage. Et puis optimisme rime-t-il avec irréalisme ? Je ne vois pas de lien de cause à effet.

Et puis quand on écrit dans un canard qui se prétend sérieux et qu’on fait parler des gens comme Berners-Lee, on les cite. Où le père du Web a-t-il dit qu’Internet pouvait jouer un rôle sur le plan démocratique ?

[Berners-Lee] se persuada très tôt du rôle positif, voire révolutionnaire, que ce nouvel instrument pourrait jouer sur le plan de la démocratie, écrit Postel-Vinay. Avec le Web, Internet offrait désormais à tout un chacun la possibilité de s’exprimer immédiatement dans la sphère publique et d’y laisser une trace visible par tous, dans le monde entier. Bien avant l’apparition de Google et autres Twitter, l’outil affichait un énorme potentiel de rénovation civique.

Que de confusions. Internet tantôt un instrument, tantôt un outil, pourquoi pas un media. Internet est bien plus que tout cela : un écosystème où l’ont peut entre autre, créer des outils. Il ne faut pas confondre le Web et les services Web comme Google ou Twitter. Cette confusion peut avoir des conséquences aussi dramatiques que de prendre Al Qaïda pour une structure hiérarchique et l’affronter comme telle.

Le Web est une structure décentralisée, en grande partie auto-organisée. Google, Twitter, Facebook… sont des entreprises centralisées, structurées sur le même modèle que les gouvernements les plus autocratiques de la planète. Comment imaginer que des citoyens pourraient faire la révolution en recourant à ces services ? Il faut être un cyberdumb comme Clay Shirky pour le croire. Alors doit-on dénigrer Internet à cause d’un seul imbécile avec pignon sur rue outre atlantique ?

La partie politique du dossier de Books ne s’appuie que sur les théories de Shirky critiquées par Evgueni Morozov. C’est surréaliste. Shirky vit dans le monde des capital-risqueurs américains. Vous vous attendez à une quelconque vision politique novatrice venant d’un tel bonhomme ?

Comment quelqu’un nourri à la dictature de l’argent pourrait penser la révolution politique ? Il ne le peut pas. Pour lui la révolution ne peut passer que par les services cotés en bourse. On n’abat pas la dictature avec des outils dictatoriaux sinon pour établir une nouvelle dictature.

Il faut arrêter de prendre Shirky en exemple et de généraliser ses idées à tous les penseurs du Web. Surtout à Berners-Lee qui n’a jamais fait fortune. Qui s’est toujours tenu à l’écart du monde financier.

Dans Weaving the Web, il évoque le rôle de la transparence des données et de leur interfaçage (ce qu’il appelle le Web sémantique). Il a souvent depuis répété que les démocraties se devaient d’être transparentes, ce que permet le Web. Ce n’est pas quelque chose d’acquis et c’est pourquoi il faut des militants. Le Web en lui-même ne suffit pas. Sa simple existence ne change pas le monde. C’est à nous, avec lui, de changer le monde.

La volonté de puissance
En 2006, quand j’écrivais Le cinquième pouvoir, nous en étions encore à une situation ouverte. Les militants comme les activistes politiques utilisaient divers outils sociaux de petite envergure qu’ils détournaient parfois de leur cible initiale. Personne ne savait a priori d’où le vent soufflerait.

Aujourd’hui, tout le monde partout dans le monde utilise les mêmes outils, des monstres centralisés faciles à contrôler (espionner, bloquer, contraindre… il suffit de suivre les péripéties de Google en Chine). De leur côté, les partis politiques, à l’image des démocrates d’Obama durant sa campagne 2008, créent leurs propres outils pour mieux contrôler leurs militants. D’ouverte, nous sommes passés à une situation fermée. La faute en incombe à trois composantes sociales.

1.Les engagés qui se mettent en situation de faiblesse en utilisant des outils centralisés.
2.Les forces politiques traditionnelles, au pouvoir ou à sa poursuite, qui elles aussi mettent en place des outils centralisés pour mieux contrôler (et on peut accuser tous ceux qui les conseillent afin de s’enrichir).
3.Les développeurs de services qui veulent eux aussi contrôler et qui poussent à la centralisation pour maximiser leurs bénéfices.
Ce n’est pas en utilisant Twitter, ou tout autre service du même type, que les citoyens renverseront la dictature ou même provoqueront des changements de fond dans une démocratie.

[…] les six derniers mois [de la révolution iranienne] peuvent être vus comme attestant l’impuissance des mouvements décentralisés face à un état autoritaire impitoyable – même quand ces mouvements sont armés d’outils de protestation moderne, écrit Morozov.

Nouvelle confusion entre bottom-up, ce mouvement qui monte de la base iranienne, et la décentralisation qui elle n’est accessible que par l’usage d’outils eux-mêmes décentralisés. La modernité politique est du côté de ces outils, pas de Twitter ou Facebook qui ne sont que du téléphone many to many à l’âge d’Internet.

Avec ces outils centralisés, on peut au mieux jouer le jeu de la démocratie représentative installée, sans jamais entrer en conflit avec les intérêts de ces forces dominantes. Impossible de les utiliser pour proposer des méthodes réellement alternatives à celles choisies par les gouvernements. Par exemple, si les monnaies libres se développent avec des outils centralisés, elles seront contrées dès qu’elles dérangeront.

1.Un service centralisé est contrôlable car il suffit d’exercer des pressions sur sa hiérarchie.
2.Un service centralisé est contrôlable car il dépend d’intérêts financiers. Rien de plus confortable que de céder à des tyrans en échange de revenus conséquents.
3.Un service centralisé n’est presque jamais philanthropique.
4.Un service centralisé dispose d’une base de données d’utilisateurs. Il ne garantit pas la confidentialité. « Sans le vouloir, les réseaux sociaux ont facilité la collecte de renseignements sur les groupes militants, écrit Morozov. » Sans le vouloir ? Non, leur raison commerciale est de recueillir des renseignements pour vendre des publicités.
5.Un service centralisé où tout le monde se retrouve c’est comme organiser des réunions secrètes aux yeux de ses ennemis.
6.Un service centralisé est par principe facile à infiltrer.
Cette liste des faiblesses politiques des outils comme Twitter ou Facebook pourrait s’étendre presque indéfiniment. Il faut être naïf pour songer un instant que la révolution passerait par ces outils. Le capitalisme ne peut engendrer qu’une révolution capitaliste. Une révolution pour rien : le passage d’une structure de pouvoir à une autre. Pour les asservis, pas beaucoup d’espoir à l’horizon.

Dans Le cinquième pouvoir, je parle de la nécessité de nouvelles forces de décentralisation. Aujourd’hui, les partis mais aussi les militants n’utilisent le Web que comme un média un peu plus interactif que la télévision. Pas de quoi encore changer la face du monde. C’est ailleurs que se joue la révolution sociale de fond.

Si les dictatures s’adaptent sans difficulté aux outils centralisés comme le montre Morozov, elles sont tout aussi dans l’embarras que les démocraties pour lutter contre le P2P. Cela montre la voie à un activisme politique indépendant et novateur, quels que soient les régimes politiques. Pour envisager la rénovation avec le Web, il faut adopter la logique du Web, c’est-à-dire la stratégie des loups solitaires.

1.Usage d’outils décentralisés, notamment du P2P.
2.Aucun serveur central de contrôle.
3.Anonymat garanti.
4.Force de loi auto-organisée pour éviter les dérives pédophiles, mafieuses…
5.Économie où Internet est si vital qu’il ne peut pas être coupé ou même affaibli sans appauvrir les structures dominantes. Ce dernier point est fondamental.
À ce jour, seul le Web lui-même s’est construit en partie suivant cette approche, ainsi que les réseaux pirates et cyberlibertaires de manière plus systématique.

La démocratie P2P
Mais qu’est-ce qu’on appelle démocratie ? Quelle démocratie Internet pourrait-il favoriser ? Utilisé pour sa capacité à engendrer des monstres centralisés, il ne peut que renforcer le modèle représentatif, quitte à le faire verser vers la dictature.

Internet est potentiellement dangereux (mais qu’est-ce qui n’est pas dangereux entre nos mains ?). Il peut en revanche nous aider à construire un monde plus décentralisé, un monde où les pouvoirs seraient mieux distribués, où la coercition s’affaiblirait, où nous serions moins dépendants des structures d’autorités les plus contestables.

Exemple. Les blogueurs ont potentiellement le pouvoir de décentraliser la production de l’information et sa critique. Je dis bien potentiellement. À ce jour, le phénomène est encore marginal. Mais ne nous précipitons pas. Le Web a vingt ans. Il y a dix ans la plupart des Internautes ne savaient rien d’Internet. Nous ne pouvons pas attendre du nouvel écosystème qu’il bouleverse la donne du jour au lendemain. Ce serait catastrophique et sans doute dangereux. Que les choses avancent lentement n’est pas un mal.

Alors n’oublions pas de rêver. Mettons en place les outils adaptés à nos rêves et utilisons-les dès que nécessaire pour résister. Ne commettons pas l’imprudence de nous croire libres parce que nous disposons d’armes faciles à retourner contre nous.

Avez-vous vu un gouvernement favoriser le développement du P2P ? Certains parmi les plus progressistes le tolèrent, les autres le pénalisent. Le P2P fait peur. Voilà pourquoi un pirate inoffensif écope de 2 ans de prison. Voilà pourquoi aussi il n’y aura de révolution politique qu’à travers une démocratie P2P.

Cessons de nous demander en quoi Internet bouleverse la démocratie représentative. En rien, en tout cas en rien de plus que la télévision en son temps, il exige de nouvelles compétences et favorisent d’autres hommes, au mieux peut-être porteur d’idées plus novatrices, mais rien n’est moins sûr.

Si Internet doit bouleverser la politique, c’est en nous aidant à inventer une nouvelle forme de démocratie, une démocratie moins autoritaire, une démocratie de point à point, une démocratie de proximité globale.

Au fait, j’ai titré ce billet “Internet stimule l’imbécilité” parce que la peur d’Internet fait dire n’importe quoi à des gens qui ne savent pas ce qu’est Internet et qui recoupent des textes écrits par des intellectuels qui eux-mêmes ne connaissent pas Internet (et la régression pourrait être poussée bien loin).



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