Canard du 18 mars 2009

Ca la fiche mal pour un justicier autoproclame, de se voir condamner par la justice pour diffamation. Francois Garcon pretendait qu'Hubert Sauper, realisateur du fameux "Cauchemar de Darwin", avait manipule des enfants figurant dans son film en les retribuant et en leur demandant de simuler des scenes. C'etait faux, le realisateur en a apporte la preuve a l'audience, et la cour d'appel en a pris acte ce 11 mars, en des termes accablants pour le justicier ...
Bref rappel, "le cauchemar de Darwin", magnifique documentaire-requisitoire consacre au commerce de la perche en Tanzanie et a ses retombees humaines, sort en mars 2005. Il fait sensation. Il obtient le Cesar du meilleur premier film. Neuf mois plus tard, un homme d'affaires reconverti dans l'enseignement se fait un nom en clamant dans "les temps modernes", et devant tous les micros qui se presentent, que ce film n'est qu'une "imbecillite pour gogos". Et d'insister : "supercherie insoutenable !" "Pure foutaise !" "Procede d'une incroyable malhonnetete !" La polemique prend. Plusieurs critiques s'empressent de bruler ce film qu'ils avaient adore. Alors qu'il est nomine aux Oscars en mars 2006, la campagne s'intensifie. Le president tanzanien crie a la "trahison profonde", lance un site web anti "cauchemar" et fait pression sur les heros du film pour qu'ils temoignent contre Sauper. En France, 40 spectateurs se pretendant victimes d'une "manipulation mentale" attaquent Sauper en justice et lui demandent reparation : du jamais-vu dans l'histoire du cinema. Comme c'est bizarre : leur requete s'appuie sur des textes de Francois Garcon, et cinq d'entre eux sont ses eleves a la Sorbonne. Ils sont deboutes. Mais le justicier furibard continue de crier vengeance dans un livre entier consacre a l'affaire, puis lors d'une interview donnee a RFI, plus de deux ans apres la sortie du film. Sauper se resout a le poursuivre en diffamation ("le Canard", 23/1). Et gagne. Garcon fait appel. Et vient de perdre.
Dans ses attendus, le tribunal, qui a entendu deux temoignages decisifs etablissant que les enfants n'ont ni simule ni ete paye, note que le donneur de lecon aurait mieux fait de "disposer d'une base factuelle suffisante pour formuler a l'encontre du realisateur une telle accusation" et que "les temoignages invoques a l'appui de ses accusations sont peu credibles". Voila qui calme. A celui "qui se prevaut d'etre un specialiste du cinema pour y avoir consacre plusieurs ouvrages", les juges donnent une lecon de cinema, expliquent la difference entre un "documentaire de creation" (en deux mots : les faits sont respectes, la forme est creative) et un reportage journalistique. Et ils relevent au passage que Garcon a reconnu "participer pleinement a la campagne de denigrement du film" menee par le president de la Tanzanie...
Sur qu'apres ce jugement en appel tous ceux qui avaient joint leur voix a celle du justicier autoproclame pour mieux nier les terribles verites de ce film bouleversant vont s'empresser de faire amende honorable...
J.-L. P.