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Petits conseils aux enseignants-chercheurs qui voudront réussir leur évaluation.

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27022009

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Petits conseils aux enseignants-chercheurs qui voudront réussir leur évaluation. Empty Petits conseils aux enseignants-chercheurs qui voudront réussir leur évaluation.




Excellent article, terriblement, épouvantablement lucide !
Je ne peux pas le copier entier (ici est seulement une partie amputée de la deuxième partie)
le reste peut se lire sur
http://contretemps.eu/interventions/petits-conseils-enseignants-chercheurs-qui-voudront-reussir-leur-evaluation

Devenez un killer.
Vous ne devez pas seulement changer votre manière d’organiser votre travail de recherche, mais aussi, bien plus profondément, transformer vos façons d’être, de vous comporter en tant que chercheur - votre ethos. Les critiques les plus pertinents ont d’ailleurs bien saisi cet enjeu fondamental des mutations en cours, même s’ils s’obstinent à en refuser les conséquences pratiques. Ainsi comme, le remarque Sylvain Piron sur la base des travaux de Peter Lawrence : « l’évaluation quantitative produit une perturbation généralisée de la morale scientifique. Le règne des indicateurs de performance exacerbe des valeurs de concurrence et de compétition. De ce fait, il concourt à ruiner ce qui devrait être au contraire les valeurs centrales de la recherche scientifique : le partage, la collaboration et la critique éclairée au sein de communautés bienveillantes ».

Merton avait listé quatre valeurs fondamentales de l’ethos scientifique : l’universalisme, le communalisme (c’est-à-dire le fait de concevoir la recherche comme un bien public), le désintéressement, et le scepticisme organisé. Ce modèle est périmé. Dorénavant, vos quatre vertus cardinales sont : l’anglo-américanisme, l’appropriation privée concurrentielle, l’ambition personnelle et le conformisme calculé. Gravez bien ces formules dans votre mémoire. Faites-en votre credo et votre leitmotiv.

Ne faites pas de la recherche : écrivez des papiers.
Vous devez laisser tomber une autre illusion. Dans l’univers académique 2.0, vous l’avez compris, votre but n°1 est de publier. Mais pas de faire de la recherche. La nuance est de taille et il est essentiel pour vous de bien la saisir, faute de quoi vous risquez fort de rester sur le carreau. Il y a en effet dans ce nouveau contexte une grande différence entre faire de la recherche et publier des articles académiques. Comme l’explique Sylvain Piron « dès lors que des indicateurs bibliométriques sont pris comme des indicateurs de performance et des outils de décision, ils cessent d’être une mesure pour devenir une finalité qui oriente le comportement des acteurs. Il s’agit là d’un cas remarquable dans lequel l’observation scientifique a totalement perturbé le milieu soumis à observation. C’est la performance bibliométrique qui devient un objectif prioritaire, et non plus la découverte scientifique. » (....)

N’écrivez pas de livres, tronçonnez.
Mais reprenons. Tout d’abord, pour vos publications, oubliez les monographies - dans notre nouveau régime de production du savoir, ça vaut peanuts. Si vous êtes chercheur en sciences humaines et sociales surtout, renoncez à écrire des livres. À quoi bon, puisqu’ils ne seront pas directement recensés par les bases de données bibliométriques ? C’est bien simple : aujourd’hui, leur monnaie n’a plus cours.

Non seulement écrire des livres est largement inutile, mais, pire, cela fait dangereusement baisser votre productivité académique. Un ouvrage, c’est au minimum 300 pages – réfléchissez : cela fait l’équivalent de combien d’articles potentiels ainsi sacrifiés en pure perte ? Quel sens y aurait-il à s’enfermer dans un travail d’aussi longue haleine pour de si maigres résultats ?

Faites le deuil de vos émois de jeunesse, de votre admiration adolescente pour les grands livres. Nous ne sommes plus au temps des Barthes, Deleuze ou Foucault. Aujourd’hui, de toute façon, toutes choses égales par ailleurs, ils ne pèseraient rien, leur poids bibliométrique ayant été en leur temps, comparé au vôtre aujourd’hui, proche du degré zéro : pensez, jusqu’à un âge avancé, pas un seul article publié dans des revues répertoriées par ISI web of science™️. Des nains académiques, des nabots du H-index. Surtout, ne faites jamais non plus de traductions ou d’éditions critiques : du temps perdu, du pur gâchis. (....)

Achetez-vous une méthode Assimil.


Hors de l’anglais, point de salut. Si la dernière révision de vos verbes irréguliers remonte à votre classe de première, achetez une méthode Assimil. Sur le marché mondialisé de l’article, il vous faut écrire dans la langue de Bill Gates. Vos doctorants préférés traduiront en français vos chefs-d’œuvre. Si vous êtes nul en langue, utilisez votre fille au pair britannique pour la version anglaise. À défaut, renouez le contact sur facebook avec votre correspondant anglais du collège et salariez-le via paypal.

Identifiez le « facteur d’impact » de vos publications potentielles.
(....)
Pensez servile : vendez-vous.

Dès que vous cliquez sur la touche ENTER de votre ordinateur pour envoyer votre article en document attaché par email au comité de lecture, sachez que, une fois renvoyée la pièce jointe que vous aviez oubliée dans votre premier message, vous entrez dans un autre jeu - le « publication game », avec ses codes et ses étapes bien spécifiques, que Bruno Frey schématise de la façon suivante :


Après avoir envoyé votre papier, vous aurez de la chance si, environ un an après votre première soumission, un nouvel email de la secrétaire de rédaction (à ce poste, ce sont toujours des femmes) vous parvient, vous demandant de resoumettre votre papier en intégrant les demandes des referees. Ayez bien conscience qu’il s’agit là d’une offre que vous ne pouvez pas refuser, même et surtout si les remarques ne sont pas seulement marginales mais exigent une modification substantielle de vos thèses.

À ce stade, votre seule chance de publication est de vous soumettre servilement à toutes les demandes de tous les referees (vous n’êtes pas en effet sans savoir que chacun d’entre eux dispose d’un droit de veto sur votre texte). Ignorez les remarques vexantes de referees drapés dans leur anonymat, vous vous vengerez sur d’autres plus tard, lorsque vous serez à votre tour membre du board. Pour l’heure, mettez votre fierté et vos convictions au placard et, au besoin, changez complètement votre thèse, votre plan et vos conclusions. Vous n’avez pas de scrupules à avoir. Après tout, il est dans l’ordre des choses que, comme l’écrit Bruno Frey, « les chercheurs vendent leur âme pour se conformer à la volonté des autres, à savoir les referees et les éditeurs, afin d’en tirer profit, c’est-à-dire pour décrocher des publications »[10]. Certes, « agir ainsi contre ses convictions dans le but d’obtenir une récompense » s’apparente, toujours selon lui, à de la « prostitution intellectuelle », mais vous devez en passer par là pour survivre, académiquement parlant. Faute de suivre cette voie, vous risqueriez de devenir un « non publiant ». Votre pire cauchemar.

Souvent donc, entre vos idées et votre réussite académique, il vous faudra choisir (sauf si vous n’avez pas de convictions particulières, ce qui rend évidemment la chose beaucoup moins coûteuse). De façon plus générale, cela va sans dire, fuyez les sujets authentiquement polémiques et les prises de position politiques tranchées. Évitez aussi les sujets trop novateurs ou trop atypiques : ils sont risqués. Ne critiquez jamais un auteur ayant du pouvoir institutionnel dans votre champ. Réservez vos critiques aux outsiders. En sciences humaines et sociales, bannissez Marx de votre vocabulaire.
(....)


Si vous ne suivez pas ces règles élémentaires, vous vous trouverez devant une alternative moralement coûteuse et éminemment chronophage : accepter des révisions substantielles ou voir votre article refusé. Dans ce second cas de figure, vous aurez perdu un temps très précieux. Devenez donc votre propre évaluateur et scalpez en amont tout ce qui dépasse. En recherche aussi, soyez un bon élève. Votre docilité sera récompensée.

Une fois publié, vous n’êtes cependant qu’à la moitié du chemin. En effet, en l’état, votre article ne vaut encore rien ou pas grand-chose sur le marché de l’évaluation. Comme nous l’avons vu, dans le grand casino de l’évaluation bibliométrique, ce n’est pas le nombre d’articles publiés qui compte per se, mais le nombre de fois que chacun de vos articles aura été cité.

Renforcez votre capital citationnel.

Dans votre malheur, vous avez de la chance : en effet, les évaluations bibliométriques fondées sur le nombre de citations ne mesurent pas la qualité de votre recherche. Encore une fois, laissez tomber cette vieille lune. En réalité, la seule chose qui compte est votre visibilité citationnelle, le buzz que vous réussissez à produire. Dans cette nouvelle économie, le seul objectif est de faire parler de vous, et ce, à la limite, indépendamment du contenu de ce que vous faites. Bienvenue dans la bulle spéculative du ranking académique.

Les index de citation ne disposent en effet d’aucun instrument capable d’apprécier le sens d’une citation : qu’elle soit laudative, purement tactique, fortement polémique ou franchement disqualifiante, elle a toujours, en fin de compte, la même valeur. L’analyse citationnelle est une taupe, quasi aveugle, ne répondant qu’à un seul stimulus : le nombre d’occurrences d’un nom et d’un titre.

Il est vrai cependant que les spécialistes en scientométrie admettent une corrélation forte entre qualité de la recherche et la fréquence des citations. Mais l’on sait aussi, au moins depuis Hume, qu’une conjonction habituelle n’est pas une loi nécessaire. Cette distinction épistémologique est votre planche de salut : à défaut d’être vraiment de qualité, il suffira que votre recherche soit suffisamment citée pour avoir l’air de l’être, et donc le devenir. Contrairement au mythe du génie esseulé, il n’y a effectivement peu ou pas de grands chercheurs peu cités. Mais il y a en revanche une masse non négligeable de chercheurs médiocres raisonnablement cités. À vous de faire jouer cette distorsion en votre faveur.

Vous disposez d’une série de techniques simples pour le faire, la plupart répertoriées par le chercheur suisse Fridemann Mattern[11] :
- Pratiquez l’autocitation, mais avec modération, car le « citation index » repère les pratiques d’autocitation outrancières.
- Plus payant : citez vos collègues et amis. Ils vous le rendront au centuple. Pensez vos citations comme autant de « pokes » sur facebook. Participez vous aussi au grand potlatch de la référence.
- N’oubliez pas que vos doctorants sont votre clientèle captive : veillez à ce qu’ils vous citent plusieurs fois dans chacun de leurs articles. Pensez-les comme une écurie, une machine travaillant à étoffer votre poids citationnel.
- En sciences dures, et dorénavant aussi en SHS, usez et abusez de la pratique de la signature collective. Appropriez-vous les travaux de vos doctorants en mettant systématiquement votre nom sur leurs articles.
- Étendez ce procédé : si vous dirigez une équipe de recherche, pratiquez le « gift authorship » en offrant à des membres choisis de votre labo la possibilité de cosigner gratuitement un article auquel ils n’ont pas contribué. Votre générosité sera, là encore, amplement récompensée.
- Jouez la quantité plutôt que la qualité : écrivez le plus d’articles possibles.
- Ne vous reposez jamais sur vos lauriers : votre évaluation bibliométrique est mise à jour en permanence, votre place n’est jamais acquise.
- Renoncez à cet obscur travail de recherche qui vous tenait à cœur. Écrivez sur des sujets à la mode. En travaillant sur des sujets « tendance », vous augmentez vos chances d’être cité et vous élargissez démesurément votre bassin de citateurs potentiels.
- Trouvez des titres accrocheurs : cela plaira et vos articles seront davantage cités.
- Écrivez des articles de synthèse plutôt que des résultats de recherches innovantes. Les statistiques montrent qu’en contexte d’inflation bibliographique, les articles de « survey » sur la littérature existante sont davantage cités que les productions originales.
- Devenez un « troller » académique. Le « troll », vous le savez, est ce procédé bien connu sur les listes de discussion consistant à provoquer les autres membres de la communauté afin de susciter une avalanche de réactions. Cette tactique, très payante lorsqu’elle est bien maîtrisée, est un art. Prenez habilement le contre-pied d’une thèse en vogue, et le tour est joué : le tombereau de réponses qui s’ensuivra vous apportera plus que votre lot suffisant de citations. Devenez donc un troller et multipliez les paradoxes rhétoriques: vous allez faire un malheur.

De façon plus générale, débarrassez-vous de cette idée farfelue que la recherche académique puisse être destinée à éclairer vos concitoyens ou à intervenir de manière critique dans le débat public. Seule vous importe votre fréquence de citation par des chercheurs internationaux de votre micro-sous-champ. L’extérieur n’existe pas, seule compte votre place dans l’espace académique. Ignorez le monde, enfermez-vous dans votre tour d’ivoire électronique. Les seules incursions qui vous sont permises sont pour y flairer les tendances à la mode, pour draguer les financeurs, ou pour faire du networking avec vos amis du Ministère. À ce propos, sachez que le copinage mandarinal est dépassé : il vous faut viser plus haut. En la matière, prenez exemple sur votre collègue de Paris IV. C’est aussi, aujourd’hui, la clef de la réussite.

En conclusion, quelques avertissements en direction des « archaïques » parmi vous. Si vous voyez dans le décret de notre Ministre Madame Valérie Pécresse une « atteinte à votre indépendance et un alourdissement de votre charge de travail » c’est que (....)
De même, si vous ne voyez pas l’intérêt des réformes actuelles de l’évaluation des enseignants-chercheurs, au prétexte que vous êtes déjà évalués, par vos pairs, de façon collégiale, lors de la publication de vos travaux et dans la progression de votre carrière, c’est que vous avez manqué un épisode. Comme l’a suggéré la conférence de Bergen en mai 2005, le « management de la qualité du corps enseignant » doit en effet désormais passer par de nouvelles procédures d’évaluation, et ce à l’échelle internationale. Qui veut un marché unifié et un espace de concurrence non faussée veut aussi des étalons de mesure communs, à base harmonisée. Telle est la motivation fondamentale des réformes institutionnelles en cours sur le front de l’évaluation. L’évaluation bibliométrique n’est que la partie émergée de l’iceberg. Elle n’est qu’un des instruments mis au service de la libéralisation de l’enseignement et de la recherche.

Enfin, si le décret sur les enseignants-chercheurs vous irrite, sachez que ce n’est qu’un avant-goût de ce qui vous attend. Dans le cas où votre agitation actuelle ne parviendrait pas à bloquer les nécessaires réformes, vous ne tarderiez pas à le constater plus amèrement encore. Plutôt que de refuser collectivement le nouvel ordre des choses en niant l’évidence de votre médiocrité académique – si justement rappelée il y a peu par notre Président - vous devriez plutôt vous activer un peu et vous préoccuper sérieusement d’augmenter votre facteur h. Quoi qu’il en soit, pour la suite, vous n’avez plus d’excuses. Vous ne pourrez plus dire que vous ne connaissiez pas les règles de notre nouveau jeu.
brusyl
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