Selon le rapport du contrôleur général des prisons, Jean-Marie Delarue, l'univers carcéral est un « lieu où règnent la violence, la domination des uns sur les autres, la peur, la menace ». Mauvais état des lieux.

Deux rapports épineux classés sans suite, une loi renvoyée aux calendes grecques, et pendant ce temps-là, on s'entasse et on crève dans les prisons françaises. 52 suicides parmi les détenus et 9 parmi le personnel depuis janvier, du jamais-vu ! Et pour couronner le tout, un mouvement de gardiens qui, faute de moyens, exige et obtient un moratoire sur l'application des règles pénitentiaires européennes, plus humaines !
Pour avoir une idée de la situation, quelques chiffres : 62 252 détenus pour 51 997 places. Soit 140 % d'occupation. Un taux record. Ils étaient 47 837 prisonniers en 2001, soit une augmentation de 30,13 % en huit ans. Ils passent en moyenne huit mois à trois, assez fréquemment, parfois cinq, dans une cellule de 9 m'. Selon le rapport du contrôleur général des prisons, Jean-Marie Delarue, cela « n'autorise pas les détenus à être debout en même temps ; il faut que l'un d'eux soit sur son lit et comme la distance verticale entre les lits est faible, il doit être couché ». On vit, dans ces conditions, enfermé 22 heures sur 24 avec des inconnus dont au moins un sur les trois a toutes les chances d'être fou...
À l'automne dernier, Siné Hebdo (voir n°9 « La Mort à 4,20 euros ») racontait l'horreur vécue par Vincent Stasi. Cet homme de 50 ans, condamné pour escroquerie envers son amant, a passé deux ans en enfer, torturé, violé par ses codétenus. Il avait les cheveux peints en jaune par ses « camarades de chambrée » quand il a raconté son calvaire. Enfin placé en isolement jusqu'à sa sortie quelques semaines plus tard, il se rend de la prison à l'hôpital psychiatrique pour tenter de survivre. Jean-Marie Delarue poursuit dans son premier rapport publié le 8 avril dernier : « Les prisons sont des lieux de violence »... « les douches ou encore les salles d'activité (...) sont des lieux où règnent la domination des uns sur les autres, la peur, la menace ». Quant à l'accès aux soins, les lettres publiées dans le rapport en disent long. Une détenue explique devoir y renoncer malgré d'« atroces souffrances » pour ne plus subir l'humiliation d'être examinée menottée par le chirurgien urologue au vu de matonnes goguenardes. Les familles ne sont guère mieux considérées. Selon le rapporteur, elles sont généralement appelées par leur « seul patronyme, jamais de madame ou de monsieur ». Alors qu'elles viennent souvent de l'autre bout de la France et qu'elles vivent chichement, elles « ne sont pas prévenues en cas de départ dans une autre prison ou de transfert à l'hôpital, voire même de décès ».
Il en va ainsi tout au long des 200 pages. Pour le moment, le rapport n'a pas été présenté au président de la République. C'est pourtant lui qui a créé le contrôle général des lieux privatifs de liberté et nommé Jean-Marie Delarue. Les deux rendez-vous avec lui ont été annulés. L'administration pénitentiaire n'a pas cru bon de réagir officiellement.
La présentation du rapport dit Albrand sur la prévention du suicide a, elle, été boycottée par le docteur Albrand lui-même pour protester contre le manquement de volonté politique. Entre autres, sa proposition de réduire le mitard de 45 à 25 jours (sic!) comme les autres pays européens est passée à la trappe. Pourtant, au mitard, les suicides vont bon train !
La loi pénitentiaire a elle aussi été de nouveau repoussée à l'automne. La grande réforme des prisons est bien mal partie.
À trop traiter les détenus comme des bêtes pendant des mois et des années, on les prépare à la récidive. En dehors du fait que c'est pas joli, joli, c'est-y bien malin ? Car presque tous les détenus finissent par sortir.
Stéphane Sinet

Siné hebdo du mercredi 20 mai 2009