PRISONS : LA TAULE, SUBSTITUT DE L'HÔPITAL PSYCHIATRIQUE
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23052009
PRISONS : LA TAULE, SUBSTITUT DE L''HÔPITAL PSYCHIATRIQUE
Avec la criminalisation de la maladie mentale, la justice jette dans un trou noir une partie de la population. Sans provoquer le moindre scandale !
Sitôt arrivé à la prison de Fresnes, il a eu droit à une piqûre. Pour calmer le délire. Des bêtes dans les oreilles ; un tympan crevé pour les retirer ; un micro qui pousse dans le ventre et l'empêche d'avancer ; un sexe « qui plait trop », serré dans une chaussette et ficelé sur le ventre pour ne violer personne. Indubitablement, le jeune homme ne va pas très fort. Pourtant le juge n'a rien vu. La comparution immédiate, ça file si vite qu'on n'a pas vraiment le temps de voir. Trois mois de prison pour vol et au diable la folie. Une chance pour le jeune homme. Pauvre chance. En prison, au moins, on va s'occuper de lui. Il vient de la rue, il y retournera – et de même au délire –, repassera à l'acte, reviendra en prison, et à nouveau la rue, et à nouveau la prison, et à nouveau..., et ainsi de suite.
Histoire singulière ? Tant s'en faut. Les prisons françaises sont pleines de malades mentaux. Un détenu sur cinq souffrirait de troubles psychotiques ; un tiers serait malade, voire très gravement malade ; un sur six a déjà été hospitalisé en psychiatrie avant l'incarcération.* Crime d'indifférence ? Crime du temps, plutôt. À une époque où l'émotion – et son corollaire la peur – trace le fil rouge de notre cohésion sociale, le fou, parce qu'il est fou et susceptible dans l'imaginaire collectif de toutes les transgressions, incarne l'une des figures contemporaines du mal.
Si la Révolution française avait donné naissance à la psychiatrie en séparant les fous des criminels, deux siècles plus tard la France a régressé comme avant la prise de la Bastille et la criminalisation de la maladie mentale est en cours. La psychiatrie hospitalière traverse une crisemajeure – manque de lits, manque de médecins, manque d'infirmiers, manque de repères : les politiques et les citoyens ne se scandalisent plus, bien au contraire, qu'on envoie les fous en prison, les magistrats et les experts psychiatres n'hésitent pas à les satisfaire. En cas de comparution immédiate, la justice est expéditive et n'a pas le temps d'étudier la psyché. Aux assises, où l'expertise est obligatoire, les non-lieux pour folie sont devenus l'exception. Et peu importe, au fond, la vie derrière les barreaux d'hommes hallucinés, persécutés, dissociés...
Les murs nous empêchent fort heureusement de les voir.
Mais si, par extraordinaire, on passe de l'autre côté, alors on découvre que certains, épouvantés, se terrent au fond de la cellule, ne parlent plus, fuient la promenade, délaissent la nourriture qu'ils croient empoisonnée, redoutent la télé qui leur parle tandis que d'autres décompensent de façon spectaculaire, mettent la cellule à sac, le feu au matelas, confondent les surveillants avec Satan, hurlent contre les djinns pressés aux fenêtres, écrivent avec leur merde sur les murs... Et souvent finissent au mitard pour « troubles à la détention ».
Si le sort qu'une société réserve à ses déviants et ses fous est l'un des meilleurs témoignages de son degré de civilisation, alors la nôtre, sans conteste, va très mal.
Catherine Herszberg**
*3o % des personnes vivant dans la rue souffriraient de troubles psychiatriques (chiffres du service « santé mentale et exclusion sociale „ de l'hôpital Sainte-Anne).
** Auteure de Fresnes, histoires de fous, Seuil, 2006.
à lire sur le sujet: Étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues, 2004, ministères de la Santé et de la Justice.
Siné hebdo du mercredi 20 mai 2009
Sitôt arrivé à la prison de Fresnes, il a eu droit à une piqûre. Pour calmer le délire. Des bêtes dans les oreilles ; un tympan crevé pour les retirer ; un micro qui pousse dans le ventre et l'empêche d'avancer ; un sexe « qui plait trop », serré dans une chaussette et ficelé sur le ventre pour ne violer personne. Indubitablement, le jeune homme ne va pas très fort. Pourtant le juge n'a rien vu. La comparution immédiate, ça file si vite qu'on n'a pas vraiment le temps de voir. Trois mois de prison pour vol et au diable la folie. Une chance pour le jeune homme. Pauvre chance. En prison, au moins, on va s'occuper de lui. Il vient de la rue, il y retournera – et de même au délire –, repassera à l'acte, reviendra en prison, et à nouveau la rue, et à nouveau la prison, et à nouveau..., et ainsi de suite.
Histoire singulière ? Tant s'en faut. Les prisons françaises sont pleines de malades mentaux. Un détenu sur cinq souffrirait de troubles psychotiques ; un tiers serait malade, voire très gravement malade ; un sur six a déjà été hospitalisé en psychiatrie avant l'incarcération.* Crime d'indifférence ? Crime du temps, plutôt. À une époque où l'émotion – et son corollaire la peur – trace le fil rouge de notre cohésion sociale, le fou, parce qu'il est fou et susceptible dans l'imaginaire collectif de toutes les transgressions, incarne l'une des figures contemporaines du mal.
Si la Révolution française avait donné naissance à la psychiatrie en séparant les fous des criminels, deux siècles plus tard la France a régressé comme avant la prise de la Bastille et la criminalisation de la maladie mentale est en cours. La psychiatrie hospitalière traverse une crisemajeure – manque de lits, manque de médecins, manque d'infirmiers, manque de repères : les politiques et les citoyens ne se scandalisent plus, bien au contraire, qu'on envoie les fous en prison, les magistrats et les experts psychiatres n'hésitent pas à les satisfaire. En cas de comparution immédiate, la justice est expéditive et n'a pas le temps d'étudier la psyché. Aux assises, où l'expertise est obligatoire, les non-lieux pour folie sont devenus l'exception. Et peu importe, au fond, la vie derrière les barreaux d'hommes hallucinés, persécutés, dissociés...
Les murs nous empêchent fort heureusement de les voir.
Mais si, par extraordinaire, on passe de l'autre côté, alors on découvre que certains, épouvantés, se terrent au fond de la cellule, ne parlent plus, fuient la promenade, délaissent la nourriture qu'ils croient empoisonnée, redoutent la télé qui leur parle tandis que d'autres décompensent de façon spectaculaire, mettent la cellule à sac, le feu au matelas, confondent les surveillants avec Satan, hurlent contre les djinns pressés aux fenêtres, écrivent avec leur merde sur les murs... Et souvent finissent au mitard pour « troubles à la détention ».
Si le sort qu'une société réserve à ses déviants et ses fous est l'un des meilleurs témoignages de son degré de civilisation, alors la nôtre, sans conteste, va très mal.
Catherine Herszberg**
*3o % des personnes vivant dans la rue souffriraient de troubles psychiatriques (chiffres du service « santé mentale et exclusion sociale „ de l'hôpital Sainte-Anne).
** Auteure de Fresnes, histoires de fous, Seuil, 2006.
à lire sur le sujet: Étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues, 2004, ministères de la Santé et de la Justice.
Siné hebdo du mercredi 20 mai 2009
Donald11- Admin
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