Chantal nous raconte son désespoir d'avoir vu son mari sortir de détention à chaque fois un peu plus brisé.

Quarante ans d'amour dont trente et un ans de parloirs. » Un silence suit. «C'est ainsi. Chacun, un côté de mur. Je n'ai pas d'autres explications que l'amour. » Chantal, une soixantaine d'années, raconte, émue, la rencontre avec Georges, dans un parc, en 1967, « il était si beau... ». À l'époque, il prend huit mois ferme pour détournement de mineure... Chantal n'a pas 21 ans. Elle deviendra sa femme, la mère de leurs enfants et la grand-mère de leurs 8 petits-enfants. Dans les années 8o, Georges défraye la chronique en prenant en otage la cour d'appel de Nantes. Il prend vingt ans. Sa femme maintient la vie de famille, lui rend visite aux quatre coins de la France avec les enfants, envoie de l'argent, fait des colis pour Noël, accepte les vexations aux portes des prisons, se débrouille avec son petit salaire. Chantal ne se plaint pas. Aujourd'hui, elle ajoute fièrement : « Aucun de mes enfants n'a fait de bêtises et n'a été en prison. » À sa façon, cette femme douce est un roc.
Pendant ces quarante années, Georges sort, à plusieurs reprises, chaque fois plus désorienté. Rien ne le prépare au monde du dehors. Surtout pas la prison. L'épouse souffre de le voir humilié par des petits riens. Pour acheter une babiole dans un supermarché, il doit introduire une pièce dans un chariot. Il l'ignore, s'agace, tire, provoque l'attroupement. Il a 5o ans. Il finit par comprendre, trop tard. Les gens ricanent. Ces scènes se reproduisent à l'infini. Chantal a mal pour lui. « À la maison, il n'utilise jamais son trousseau pour ouvrir. Par contre, il ne ferme pas la porte des toilettes parce qu'il "oublie" qu'il peut allumer la lumière... À l'intérieur, ils ne prennent aucune décision. » La tenue d'un budget se limite à « cantiner quelques cigarettes ou acheter un peu de nourriture ». À la sortie, difficile de comprendre qu'un salaire d'aide-soignante ne permet pas de folies... La prison n'a rien préparé. Elle se sent seule. « Il ne sait plus montrer ses sentiments. En cellule, entre hommes, ils prennent l'habitude de les cacher. » Le rapport au monde se déforme au fur et à mesure de l'enfermement. « Ils cultivent les souvenirs heureux pendant des années : les jeux avec leurs enfants. Ils ne se rendent pas compte que les gamins deviennent grands. À la sortie, ils retrouvent des adolescents, c'est un choc et c'est difficile pour tout le monde. » Aujourd'hui, après avoir rêvé de si longues années, elle a fini par décider qu'elle ne l'attendrait pas cette fois-ci. Elle explique tristement : « C'est terrible de décider qu'on ne revivra plus avec l'homme qu'on aime parce qu'il a été détruit par la prison. »
À ces mots résonnent ceux d'une magistrate : « De toutes les façons, on sait qu'après dix ans de prison, il y a toutes les chances pour que la vie dehors soit fichue ! » Et pourtant, les condamnations sont de plus en plus lourdes...
Stéphane Mercurio

Siné hebdo du mercredi 20 mai 2009